patreon 1
Les femmes derrière ces comptes en guerre contre Instagram © Léane Delanchy (@leane_aime_dessiner sur Instagram)

Censure : des créa­trices de conte­nus délaissent Instagram pour Patreon

Impossibilité de com­mu­ni­quer avec l’équipe der­rière Instagram, raids numé­riques, cen­sure et alié­na­tion algo­rith­mique : cinq comptes fémi­nistes d’éducation sexuelle ou de créa­tion artis­tique annoncent ce 5 mai se désen­ga­ger d’Instagram pour s’établir sur Patreon.

Certes, elle a par­ti­ci­pé au for­mi­dable élan d’une infor­ma­tion sexuelle fémi­niste qui a fleu­ri ces der­niers temps sur les Internets mili­tants mais Elvire Duvelle-​Charles « n’en peut plus ». Depuis qu’elle a lan­cé avec sa com­parse Sarah Constantin le compte Instagram Clit Revolution en 2017, la jour­na­liste et mili­tante fémi­niste s’est spé­cia­li­sée dans la créa­tion de conte­nus d’éducation sexuelle pri­sés par une com­mu­nau­té de plus de 120 000 abonné·es… Mais s’est confron­tée maintes fois à la cen­sure aveugle d’Instagram, qui ne répond jamais aux contes­ta­tions de sup­pres­sion de publi­ca­tions ou de sus­pen­sion de comptes. « Instagram vit sur les créa­tions de conte­nus des influen­ceurs sans nous rému­né­rer, et à la base cela me conve­nait, je m’en sor­tais avec des par­te­na­riats, explique la jeune femme. Mais je suis désor­mais épui­sée par les raids numé­riques des anti­fé­mi­nistes durant les lives que je pro­pose à ma com­mu­nau­té, le fait de voir cer­tains de mes posts cen­su­rés sans aucune expli­ca­tion et l’opacité de l’algorithme qui par­fois fait des­cendre en flèche la visi­bi­li­té de mes publi­ca­tions en me for­çant à pri­vi­lé­gier la quan­ti­té à la qua­li­té de mes contenus. »

Alors ce 5 mai, c’est déci­dé, Clit Revolution et quatre autres comptes fémi­nistes – Merci Beaucul, Lusted Men, La Prédiction et Mécréantes – se désen­gagent d’Instagram pour ins­tal­ler leurs pénates sur la pla­te­forme Patreon. Mais ce réseau social qui pro­pose de s’abonner à des artistes et des influenceur·euses pour pou­voir accé­der à leurs créa­tions à par­tir de 5 euros par mois ne per­met­tra pas une audience aus­si large qu’Instagram qui repose sur un modèle gra­tuit. Il ne s’agit donc pas pour ces créa­trices de fer­mer leurs comptes Instagram. « Il n’est pas ques­tion de dire qu’on ne pos­te­ra plus jamais rien sur Instagram, d’autant que Clit Revolution est aus­si un espace où l’on peut relayer des causes mili­tantes qui demandent à être acces­sibles au plus grand nombre, pré­cise Elvire Duchelle-​Charles, mais il est ques­tion d’amorcer une tran­si­tion en inves­tis­sant ce nou­vel outil. » Avec Patreon, la créa­trice qui, comme d’autres, s’est peu à peu alié­née au flux constant des sol­li­ci­ta­tions de sa com­mu­nau­té à mesure qu’elle gros­sis­sait, espère pou­voir éta­blir une rela­tion plus per­son­nelle et pri­vi­lé­giée avec ses abonné·es les plus fidèles.

Chez Patreon, on dialogue

Surtout, un élé­ment capi­tal change gran­de­ment la donne : contrai­re­ment à Instagram, ces créa­trices ont des interlocteur·trices chez Patreon avec lesquel·les dis­cu­ter des règles d’utilisation, des moda­li­tés de créa­tion et des sou­cis tech­niques. Un sou­la­ge­ment pour ces jeunes femmes qui ont pu négo­cier avec la pla­te­forme le fait de pou­voir par­ler sexo à l’ensemble du public, même mineur. Patreon s’est en effet enga­gé, à par­tir du 12 mai, à dis­tin­guer les conte­nus rele­vant de l’éducation sexuelle des conte­nus por­no­gra­phiques, et à ouvrir les pre­miers à l’intégralité de ses utilisateur·trices. De son côté, un compte comme Lusted Men, qui pro­pose une pina­co­thèque éro­tique mas­cu­line pour ren­ver­ser le male gaze, pour­ra mon­trer ses images à un public majeur sans craindre la cen­sure d’Instagram, qui ne fait pas fran­che­ment le dis­tin­go entre la repré­sen­ta­tion artis­tique et la pornographie.

Lire aus­si l Lusted men : un col­lec­tif artis­tique en quête d’images éro­tiques d’hommes

Le report sur Patreon de ces créa­trices pro­voque la mise en som­meil de cinq comptes cumu­lant ensemble un mil­lion d’abonné.es. De quoi désta­bi­li­ser le tout-​puissant Instagram, qui jusque là a fait la sourde oreille aux plaintes répé­tées autour de la cen­sure des posts conte­nant de la nudi­té artis­tique ou mili­tante et des conte­nus sexo ? Pour l’heure, ni le réseau social de par­tage de pho­tos ni sa maison-​mère Facebook n’ont réagi. Mais il se pour­rait qu’ils sentent le vent tour­ner car à cette ini­tia­tive s’en ajoute une autre. Début mars, 14 influenceur·euses fémi­nistes dont Elvire Duvelle-​Charles ont assi­gné Facebook en jus­tice pour ten­ter d’obtenir des infor­ma­tions sur leurs opaques pra­tiques de modé­ra­tion. « A ce stade, on ne sait même pas dans quelle mesure nos posts sont sup­pri­més par des robots qui réagissent au moindre téton mal flou­té ou par des êtres humains qui reçoivent des signa­le­ments de per­sonnes cher­chant à nous nuire parce que nos mes­sages sont trop fémi­nistes à leur goût », détaille Elvire Duvelle-​Charles. La goutte d’eau qui a fait débor­der le vase de l’épuisement géné­ral de ces créateur·trices de conte­nus, est adve­nue il y a quelques mois, lorsque Clit Revolution et d’autres comptes fémi­nistes se sont vus cen­su­rer par Instagram lorsqu’ils ont relayé une ques­tion cru­ciale et émi­nem­ment poli­tique, appa­rue tout d’abord sur Twitter (et là aus­si cen­su­rée) : com­ment fait-​on pour que les hommes cessent de vio­ler ? Une pre­mière audience au Tribunal de grande ins­tance de Paris se tien­dra le 12 mai.

Lire aus­si l Clit Revolution, par­mi les nou­velles sexploratrices

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés