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© Vitolda Klein / Unsplash

Décryptage : le RSA sous condi­tion, une double peine pour les mères solo

Aurélie Gonnet, sociologue au Conservatoire national des Arts et Métiers, décrypte la réforme du RSA : une mesure “inapplicable”.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi “Plein emploi” à l’Assemblée nationale, un amendement LR a été adopté jeudi : il s’agit de l’une des mesures les plus contestées de la réforme du RSA (Revenu de solidarité active), soit quinze heures d’activités obligatoires pour ses bénéficiaires.

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© Capture écran B Smart

Causette : Conditionner le RSA à une activité, est-ce une idée récente ?
Aurélie Gonnet : C’est une idée que l’on retrouve depuis longtemps : il s’agit de conditionner l’aide aux pauvres à une forme de contribution de leur part, un engagement à se réinsérer. Cette idée est quasiment présente depuis qu’on prend en charge la pauvreté. Il y a depuis longtemps ce vieux débat entre “bons” et “mauvais pauvres” : les profiteurs et ceux qui seraient capables de travailler. Des tentatives d’intégrer du bénévolat contraint ont déjà existé. C’est en tout cas une idée qui vient de la droite.

En quoi consistent exactement ces activités, le fameux “contrat engagement” ?
A.G : C’est un peu flou. A priori, les analyses disent que cela va être inapplicable. J’ai étudié un peu le CEJ, le Contrat d’engagement jeune, qui est une sorte de test de cette formule du RSA, car on y retrouve déjà ces quinze heures d’activités obligatoires. En l’occurrence, il s’agit plutôt de prestations d’accompagnement, de formations, de mettre à jour son CV… des choses que, bien souvent, les demandeurs d’emploi exécutent déjà. Mais tout ceci, avec un accompagnement plus précis et individualisé.

Une mesure "inapplicable"

Comment Pôle Emploi, déjà débordé, va-t-il pouvoir absorber ces nouvelles exigences ?
A.G : On évoque l’embauche de trois cents personnes à temps plein pour l’accompagnement dit renforcé à Pôle Emploi. Or, il y a 1,8 million de personnes au RSA, c’est donc complètement déconnecté des moyens d’accompagnement concrets pour appliquer cette mesure.

À gauche, on entend qu’il s’agit surtout de faire des économies et de radier des allocataires…
A.G : Il est vrai que quand le RMI (Revenu minimum d’insertion) a été transformé en RSA, c’était avec l’idée de pousser à l’activité avant tout (c’est la logique “work first”, d’abord l’emploi, le reste ensuite). On se rend compte aujourd’hui que la plupart des politiques qui vont dans ce sens-là conduisent soit à des radiations, soit à du non-recours [les personnes ayant droit aux allocations ne les demandent pas, ndlr]. Déjà que l’on stigmatise beaucoup les bénéficiaires des minima sociaux, alors si en plus on vient les contrôler, on peut imaginer que des gens vont faire autrement et ne pas demander ces aides.

"C’est faire l’impasse sur le rôle social que tiennent les femmes, y compris les femmes sans emploi dans des équilibres familiaux précaires"

Cette obligation d’activité devrait comporter des exceptions, notamment pour les parents isolés d’enfants de moins 12 ans : qu’en est-il pour celles et ceux ayant des enfants à charge de plus de 12 ans ? Les parents isolés sont majoritairement des femmes, ces mesures vont-elles discriminer et précariser davantage les femmes ?
A.G : Cela montre bien le caractère irréaliste de cette politique. Il devrait, a priori, y avoir trois dérogations dont on attend encore les contours précis : la maladie, le handicap et les enfants à charge de moins de 12 ans, ce qui recouvre, finalement, une bonne partie des situations de RSA. La majorité ne sont pas des bénéficiaires dans la force de l’âge, autonomes, sans aucune contrainte et qui préfèrent rester chez eux. Faire l’impasse sur les contraintes liées à l’entretien d’un enfant de plus de 12 ans, c’est faire l’impasse sur le rôle social que tiennent les femmes, y compris les femmes sans emploi dans des équilibres familiaux précaires. Elles s’occupent de la prise en charge du travail domestique et d’autrui (les enfants, les parents, le voisinage…). Au travail comme au chômage, les femmes prennent en charge l’essentiel de l’aide à autrui et du travail domestique tandis que les hommes ont davantage de temps disponible pour eux. Or, les équilibres familiaux tiennent grâce à elles car, bien souvent, on n’a pas les moyens d’avoir une nounou ou un·e aide soignant·e. À partir du moment où l’on a quinze heures d’activité à réaliser, cela peut compliquer ces équilibres. Il y a une utilité sociale du chômage : c’est bien parce que ces personnes sont au chômage qu’on peut se passer d’avoir recours à des services rémunérés.

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