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Octavie Delvaux : "la pres­sion de la taille du sexe est très impor­tante pour les hommes entre eux"

L'autrice Octavie Delvaux publie Éloge des petites bites (édi­tions La Musardine): de la péno­plas­tie au "com­plexe du ves­tiaire," une reva­lo­ri­sa­tion des petits pénis dou­blée d'une savante décons­truc­tion de la masculinité.

Causette : D'où vient l'idée de consa­crer un ouvrage aux petits pénis ?
Octavie Delvaux :
Je l’ai pro­po­sé à la mai­son d'édition car c’était un sujet que j’avais en tête depuis très long­temps. Je par­tais sim­ple­ment d’un constat per­son­nel : en en par­lant autour de moi, il m'a sem­blé évident que ce sujet, peu abor­dé ailleurs méri­tait un éclai­rage nouveau. 

Causette : Avez-​vous ren­con­tré des dif­fi­cul­tés à récol­ter des témoi­gnages ?
O.D :
Oui, plu­tôt. Peut-​être que j’aurais du être plus cash… Cette ques­tion reste taboue tant du côté des hommes que des femmes. De manière géné­rale, il n’est pas simple d’aborder un homme pour le faire témoi­gner sur sa bite, et a for­tio­ri quand on sait qu’elle n’est pas très grosse. En ce qui concerne mes amants ou anciens amants, ce n'était pas évident non plus de les contac­ter pour leur demander.

Causette : Qu'est-ce qui vous a le plus éton­née, au cours de cette enquête ?
O. D :
Ce qui m’a le plus sur­prise, c’est à quel point la pres­sion de la taille du sexe était impor­tante pour les hommes entre eux : moi je pen­sais que c’était rela­tion­nel, entre hommes et femmes hété­ros. Mais je me suis aper­çue que la pres­sion était pré­sente avant le début de la sexua­li­té, dans les ves­tiaires, entre les petits gar­çons. Ce qu'on appelle le "com­plexe du ves­tiaire" n’est pas nom­mé comme ça pour rien : il faut avoir quelque chose à mon­trer au ves­tiaire. J’ai reçu pas mal de témoi­gnage d’hommes qui disent com­bien c’est com­pli­qué pour eux d’être celui qui ne se montre pas trop alors qu'il y en a qui se pavanent le sexe à l'air. Quand on est une femme, on n’imagine pas ce que c’est d’être dans un ves­tiaire d’hommes. Sans oublier les pis­so­tières : une méde­cin esthé­tique m'a dit avoir reçu dans son cabi­net un homme qui avait refu­sé un poste quand il avait consta­té qu’il y avait des pis­so­tières dans les locaux, parce qu’il n'assumait pas du tout de sor­tir son membre devant les autres hommes.

Causette : Y a t‑il des périodes de l'Histoire qui ne soient pas carac­té­ri­sées par le culte du gros phal­lus ?
O.D : Oui, l'antiquité grecque et romaine, où le petit sexe était syno­nyme de tem­pé­rance. On consi­dé­rait que, pour être un homme, il fal­lait faire preuve de tem­pé­rance sexuelle. Pourtant, c’était avant le catho­li­cisme, on pour­rait donc sup­po­ser que c’était la fête du slip car il n'y avait pas encore cette répu­gnance à la sexua­li­té qu’a appor­té la reli­gion chré­tienne. Mais, sous l'influence des phi­lo­sophes (Platon, etc), le citoyen devait maî­tri­ser ses pas­sions, notam­ment sexuelles, donc être un chaud lapin n’était pas par­ti­cu­liè­re­ment bien vu. À l’inverse, ceux que l’on repré­sen­tait avec un gros sexe étaient les satyres, les esclaves et les étrangers.

Causette : Aujourd'hui, vous expli­quez dans votre livre que les micro-​pénis sont en réa­li­té très rares. Qu'est ce que cela nous apprend sur les hommes ayant recours à la chi­rur­gie pénienne, la péno­plas­tie ?
O.D :
Cela nous montre que l'on a de très mau­vais modèles, en par­ti­cu­lier la por­no­gra­phie. Je pense aus­si que cela en dit long sur ce que les hommes se disent, entre eux, au sujet de ce qu'est cen­sée être la norme. Les méde­cins inter­ro­gés m'ont expli­qué que, dans qua­si­ment 95% des cas, les hommes qui viennent en disant que leur pénis est trop petit ont en fait un pénis nor­mal (entre 10 et 15 cm). Eux consi­dèrent que c’est trop petit. Il faut savoir que la péno­plas­tie n’est pas une pra­tique recon­nue par l’Ordre des méde­cins car elle est encore trop floue et qu'il y a trop d’accidents pos­sibles. Il n’y a que deux types de chi­rur­gies envi­sa­geables : d'abord, l'élargissement par injec­tion de graisse pré­le­vée ailleurs sur le patient ou d'acide hya­lu­ro­nique – pour cer­tains hommes, cela compte s'ils trouvent leur sexe trop fin ou que des par­te­naires ont dit qu’elles ne sen­taient pas grand chose. C’est plu­tôt maî­tri­sé, mais pas très esthé­tique. Ensuite, il y a l’allongement du pénis : ça, ce n’est pas pos­sible car c’est un membre qui n’aime pas être tron­çon­né. Donc rajou­ter des cen­ti­mètres est tota­le­ment impos­sible. On peut, en revanche, cou­per un liga­ment à la base de la verge qui va don­ner l’impression qu’elle est plus longue au repos, mais pas en érec­tion. La plu­part des sexo­logues et des andro­logues [spé­cia­listes de l'appareil repro­duc­teur mas­cu­lin, ndr] en décon­seillent la pra­tique, sauf dans des cas très extrêmes de micro-​pénis. Il faut plu­tôt s'orienter vers un sexo­logue ou un psy­cho­logue qui aident à reprendre confiance en soi et en sa sexualité.

"Il ne s'agit pas juste de 'rem­plir un trou'"

Causette : Au sujet du mythe de la "grosse bite" dési­rable, il y a le fan­tasme et la réa­li­té…
O. D :
Je n’ai pas inter­viewé beau­coup de femmes qui m’ont dit que c’était un gros fan­tasme chez elles. C’est rare. Les sexo­logues le disent éga­le­ment. Et dans la pra­tique, c'est sou­vent com­pli­qué et douloureux.

Causette : Les gros chibres que nous vend le por­no, c'est pour qui, fina­le­ment ?
O. D :
Les voyeurs et voyeuses. Peut-​être la com­mu­nau­té gay, je ne sais pas. Et aus­si les quelques femmes qui peuvent le sup­por­ter : j'ai récol­té le témoi­gnage d’une actrice por­no à ce sujet, pour elle, c’était plus simple de pra­ti­quer le sexe anal à cause des calibres qu’on lui proposait.

Causette : Vous évo­quez dans votre livre la théo­rie selon laquelle les hommes et les per­sonnes dotées de petits pénis seraient de meilleur·es amant·es …
O. D :
D'abord, on entend sou­vent cette idée com­mune selon laquelle les hommes "com­pen­se­raient" en fai­sant plus de pré­li­mi­naires ou en ayant une connais­sance plus poin­tue du corps fémi­nin. Il est vrai que cer­tains pensent davan­tage la sexua­li­té en dehors du phal­lus. J’ai aus­si reçu pas mal de témoi­gnages de femmes disant que les hommes ayant des petits phal­lus s’en sor­taient bien pen­dant la péné­tra­tion et étaient de bons amants. Car il ne s'agit pas juste de "rem­plir un trou", il faut connaître les bons angles, les bons rythmes, et tout cela n'a rien à voir avec la taille.

Causette : Depuis le mou­ve­ment #MeToo, le sujet est-​il de moins en moins tabou chez les hommes ? 
O. D :
Un peu moins. Je l’ai consta­té : on voit plus de forums, de blogs, de groupes de parole et c’est un sujet davan­tage trai­té dans les articles "sexos". Il y a une petite libé­ra­tion de la parole. 

Éloge des petites bites. Pour en finir avec la dic­ta­ture viri­liste, Octavie Delvaux, édi­tions La Musardine, 15 euros, disponible. 

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