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© Instagram @lena_h_30

Lipœdème : ce mal mécon­nu qui touche (au moins) 10 % des femmes

Reconnu par l’OMS depuis 2018, le lipœdème, aussi appelé “maladie des jambes poteaux”, ne l’est toujours pas par la Sécurité sociale. Une situation qui condamne les patientes à errer dans un désert médical entre silence, endettement et grossophobie.

Inès a passé sa vie à se dire qu’elle était grosse. Juste grosse. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, la jeune femme de 34 ans a toujours complexé sur son corps et surtout sur ses jambes, qui ont pris beaucoup de volume à la puberté. Et il n’y a pas que l’aspect physique. Il y a la douleur, de plus en plus présente ces dernières années. Difficile pour elle de marcher ou de tenir debout longtemps. Certaines nuits, il lui est presque impossible de dormir. Elle a consulté de multiples médecins et s’est heurtée aux mêmes conclusions – et à la sempiternelle grossophobie médicale : “Madame, si vous voulez perdre le gras de vos jambes, c’est très simple, il faut perdre du poids”.

Perdre du poids, Inès a bien essayé. Elle a enchaîné les rendez-vous chez des nutritionnistes, s’est mise au sport de façon intensive et s’est épuisée dans des régimes alimentaires draconiens. Mais rien n’a changé. Elle reste fine du haut du corps, mais ses jambes, elles, ne maigrissent pas. “La seule chose que ça m’a apporté, ce sont des troubles du comportement alimentaire, déplore-t-elle auprès de Causette. Je suis passée par l’anorexie, la boulimie et l’hyperphagie sans jamais perdre de poids au niveau des jambes.”

Après une énième consultation chez un angiologue, médecin spécialiste des vaisseaux sanguins, le diagnostic tombe un matin de juillet dernier. Inès n’est pas grosse, elle est malade. Elle souffre d’un lipœdème de stade 2. Aussi appelée “maladie des jambes poteaux”, cette maladie chronique inflammatoire touche environ 10 % des femmes dans le monde selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). “C’est une estimation, indique toutefois le Dr Alexis Delobaux, chirurgien esthétique, spécialisé dans le lipœdème, auprès de Causette. La prévalence de la maladie est difficile à appréhender du fait de sa méconnaissance au sein du corps médical, ce qui tend à sous-estimer le nombre de personnes atteintes.”

Cause hormonale 

On sait cependant que le lipœdème se caractérise par une accumulation de graisse sous la peau au niveau des jambes ou des bras dont les causes sont multifactorielles. “Il y a une cause génétique, mais principalement une cause hormonale”, explique le Dr Alexis Delobaux. Ce qui explique pourquoi le lipœdème touche quasi exclusivement les femmes. “Le lipœdème évolue par poussée inflammatoire lors des changements hormonaux, à la puberté, au moment de la grossesse ou à la ménopause, précise-t-il. Ces poussées peuvent aussi être liées à un choc psychologique ou à une inflammation liée à la sphère intestinale.” Surtout, on sait que c’est une maladie qui ne disparaît jamais et qui ne peut aller qu’en s’aggravant.

Une aggravation qui rend l’errance médicale d’autant plus douloureuse. Comme Inès, Pascale Etchebarne a vécu, sans le savoir, avec le lipœdème une bonne partie de sa vie. Pour, elle aussi, la maladie s’est localisée dans les jambes. En tee-shirt, elle faisait une taille 38, en pantalon, une taille 50. “J’ai 54 ans, j’en souffre depuis l’adolescence et j’ai été diagnostiquée d’un lipœdème de stade 3 il y a seulement deux ans, je vous laisse faire le calcul, lance ironiquement à Causette celle qui est aujourd’hui présidente de l’Association du lipœdème en France. J’ai vécu trente-cinq ans avec pour seule réponse médicale : ‘Mettez un cadenas devant votre frigo’.”

Pour Pascale, le diagnostic ne viendra pas d’un énième médecin, mais d’une esthéticienne chez qui elle se rendra dans le but d’essayer une nouvelle technologie visant à éliminer les graisses stockées dans ses jambes. “Et là, elle me dit : ‘Mais Madame, je peux vous faire vingt séances, ça ne servira à rien, vous avez une maladie’, indique Pascale. Un déclic qui la mènera enfin, à l’âge de 52 ans, vers un premier diagnostic médical.

Manque de formation 

Comment expliquer les errances médicales d’Inès et de Pascale ? Pour le Dr Delobaux, cela vient en premier lieu d’un manque de formation. “C’est une maladie qu’on connaît depuis les années 1940, même si elle a très probablement existé depuis les tous débuts de l’humanité, mais ce n’est toujours pas enseigné dans les facultés de médecine, alors que ça devrait l’être, ça touche quand même des millions de personnes, déplore-t-il. Il faut aussi noter que la mise en lumière des troubles du comportement alimentaire (TCA) a ensuite brouillé le spectre, on a longtemps cru qu’il s’agissait de surpoids.”

Selon lui, bien souvent, les patientes doivent consulter deux ou trois angiologues avant d’être diagnostiquées. “Beaucoup de médecins confondent encore le lipœdème avec l’obésité gynoïde, ajoute Pascale Etchebarne. Pire, pour certains, le lipœdème est le nouveau mot à la mode pour justifier que l’on est grosse. C’est pour ça que beaucoup de femmes sont orientées vers la chirurgie bariatrique. On vous enlève l’estomac très bien, mais les symptômes sont toujours là, avec, souvent, une dépression en prime.” Les femmes atteintes de lipœdème souffrent de graves douleurs en position debout ou assise prolongée. “En tant qu’infirmière de bloc opératoire, c’était très handicapant au quotidien, je ne pouvais pas suivre toute l’opération, au bout d’un moment, je ne sentais plus mes orteils”, se souvient-elle.

Comme pour la présidente de l’Association du lipœdème en France, l’annonce récente du diagnostic a aussi été accueillie avec soulagement par Inès. Une respiration toutefois de courte durée : elle apprend dans la foulée que le lipœdème, bien que reconnu par l’OMS depuis 2018 (seulement) ne l’est toujours pas par la Sécurité sociale. Ce qui condamne les patientes enfin diagnostiquées à choisir entre souffrir en silence ou s’endetter. “Ça m'a plongée dans une grande colère et une profonde solitude, confie-t-elle. On venait de mettre un mot sur ce qui me faisait tant souffrir, mais on me refusait en même temps le droit de pouvoir me soigner correctement.”

S’endetter pour se soigner

Question traitement, il existe bien les bas de contention, le drainage lymphatique, le bain écossais, la cure thermale ou encore le brossage de la peau à sec, mais ce sont là des solutions temporaires pouvant atteindre un certain coût. Seule la chirurgie par liposuccion permet une élimination quasi définitive de la graisse et une disparition quasi complète des symptômes. Une chirurgie lourde, d’autant qu’il faut en moyenne trois opérations pour obtenir un résultat et que chacune coûte entre 5 000 et 15 000 euros. “Certaines patientes à des stades avancés ont parfois besoin jusqu’à sept interventions”, pointe le Dr Delobaux.

Un poids colossal à la seule charge des patientes. “La Sécurité sociale considère cette opération comme une intervention de chirurgie esthétique, une opération de confort. Ce n’est pas le cas, le lipœdème est très douloureux, il m’empêche de bouger, de me déplacer, de vivre tout simplement, dénonce Inès. Aujourd’hui, une réduction mammaire peut-être remboursée par la Sécurité sociale, cela devrait être le cas pour le lipœdème, qui touche des milliers de femmes en France.”

Marine, aka Métaux lourds sur Instagram, s’est justement fait opérer dernièrement. Comme Pascale et Inès, elle a appris qu’elle souffrait de lipœdème tardivement, en novembre 2022. Un mois plus tard, la jeune femme de 37 ans passait sur le billard. “Je ne pouvais pas rester comme ça, raconte-t-elle à Causette. Quand je suis sortie du rendez-vous où l’on m’a diagnostiquée, j’ai fondu en larmes. C’était super violent. D’abord par ce que, pendant des années, on me disait que ma morphologie et mes douleurs étaient de ma faute, parce que j’étais grosse. Là, on m’enlevait ma culpabilité et on me laissait la rage face à la grossophobie médicale que j’avais subie. Ensuite, parce que je ne voyais plus mon corps comme avant : c’est dur à dire, mais j’avais l’impression de porter deux énormes sacs de cellules toxiques. Je ne pouvais plus me voir, je ne supportais plus que ma meuf me touche.”

“Dysphorie de jambe”

Désireuse de se débarrasser de cette “graisse toxique”, Marine n’a cependant pas les moyens de s’offrir les soins. Elle doit emprunter 15 000 euros pour subir deux opérations en France, une première des chevilles jusqu’aux genoux, extrêmement douloureuse avec dix-neuf incisions, puis une seconde des genoux jusqu’aux hanches. Entre les deux, Marine a vécu ce qu’elle appelle “une dysphorie de jambe”. “Je pensais que je serais ravie, mais en fait, ça a été super difficile à vivre, je ne reconnaissais plus mes jambes et je me suis demandé si ça en valait vraiment la peine”, raconte-t-elle. Alors que dans le cadre d’une chirurgie bariatrique, où le·la patient·e voit son corps se transformer très rapidement, un accompagnement psychologique est obligatoire, dans celui du lipœdème, rien n’est prévu, la maladie n’étant pas reconnue par la Sécu.

Marine tente tout de même la seconde opération et c’est après qu’est venue la révélation. “Devant le miroir j’ai pris des photos et là, je me suis dit “mais elles sont comme ça tes jambes en fait”, se souvient-elle. Je ne regrette absolument pas, cette opération m’a changé la vie : plus de douleurs permanentes, plus de difficultés à marcher, plus de cuisses qui frottent et la disparition d’un de mes plus gros complexes.” La jeune femme met tout de même en garde : “On n’est pas sur de la chirurgie esthétique, c’est de la chirurgie réparatrice : on ne vise pas des jambes de mannequin. Par exemple, moi, j’ai du relâchement cutané, des petites cicatrices… Mais mes jambes sont fonctionnelles, et c’est ce qui importe.”

Rajeunissement des consultations

De son côté, Inès est en train de réfléchir à contracter un prêt pour se lancer, elle aussi, dans la chirurgie. “Bien sûr, j’aurais préféré mettre cet argent dans un achat immobilier, mais vivre sans le lipœdème, c’est tellement important, ça représente tellement d’espoir pour moi”, explique-t-elle.

Autre espoir : la sensibilisation sur la maladie a fait un bond ces dernières années. Le Dr Delobaux l’atteste : il voit de plus en plus de jeunes femmes, entre 20 et 30 ans, pousser la porte de son cabinet. “Avant, c’étaient plutôt des femmes de 50 ou 60 ans, qui venaient consulter au bout d’une longue errance médicale”, précise-t-il. Pour lui, ce rajeunissement montre donc que les choses progressent en matière de prise en charge et de rapidité du diagnostic. Mais il reste tant à faire. “Si je ne faisais que ça, je pourrais en voir plus de cent par mois”, rappelle le chirurgien.

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