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Examens de l’utérus : les femmes condam­nées à souffrir ?

Hystéroscopie, colposcopie, hystérosalpingographie… Volontiers présentés comme indolores, ces examens de la zone utérine se révèlent pourtant (très) douloureux pour nombre de patientes. Une souffrance minimisée, parfois niée, qui reste rarement prise en charge.

“C’était absolument horrible. Tellement douloureux que j’ai vomi. Pourtant, j’ai une tolérance à la douleur assez importante”, raconte Marie, 37 ans, lorsqu’elle évoque l’hystéroscopie diagnostique qu’elle a subie. Cet examen, qui consiste à visualiser l’intérieur de l’utérus à l’aide d’une fibre optique, peut permettre de repérer une anomalie ou une maladie (endométriose, cancer). Souvent prescrit dans le cadre d’un bilan d’infertilité, il est régulièrement dépeint par des patientes comme un chemin de croix. Tout comme la colposcopie – prescrite lorsqu’il y a suspicion d’anomalie (par exemple après un frottis pathologique), elle consiste à examiner le col de l’utérus à l’aide d’un microscope binoculaire. Et tout comme l’hystérosalpingographie (HSG), cette radio des trompes et de la cavité utérine, systématique dans le cadre d’un bilan d’infertilité. Comme des dizaines de milliers de femmes chaque année, Marie y a également eu droit, à deux reprises, dans le cadre de sa PMA. Et là aussi, elle dit avoir souffert le martyre.

“La première hystérosalpingographie n’a pas fonctionné, malgré vingt minutes d’acharnement – j’ai eu super mal, comme des douleurs de règles mais puissance dix. Dans la foulée, on m’a donc envoyée faire une hystéroscopie. Puis, directement après, j’ai refait une hystérosalpingographie. Comme le liquide de contraste refluait – mes trompes étaient bouchées – la médecin a fini par passer en force en mettant davantage de pression. J’ai cru que j’allais crever de douleur”, confie-t-elle. Sur les réseaux sociaux, nombreuses sont celles qui, comme elle, dépeignent une souffrance aiguë, parfois au mot près. “La pire douleur de ma vie”, rapporte ainsi une femme sur Twitter. “J’ai cru crever”, témoigne une autre. “Je me suis évanouie sur la table”, partage une troisième sur TikTok. “Dans mon top 3 des pires douleurs”, lit-on ici. “J’ai souffert, hurlé comme une dingue”, lit-on ailleurs. “Je me suis évanouie sur la table, c’était insoutenable”, raconte encore une autre Des témoignages à la pelle, qui interpellent d’autant plus que ces examens sont volontiers présentés par le corps médical comme étant généralement peu ou pas douloureux.

Invasifs et désagréables

“La colposcopie n’est pas un examen douloureux. Elle consiste simplement à regarder le col utérin à l’aide d’une loupe binoculaire (colposcope) après l’application de deux colorants : l’acide acétique et le lugol. Elle n’est pas plus douloureuse qu’un examen gynécologique normal”, indique notamment la Société française de colposcopie et de pathologie cervico-vaginale. “L’hystéroscopie est le plus souvent indolore. Parfois, l’examen est légèrement désagréable (comme des règles douloureuses). Dans moins de 5 % des cas, il peut être douloureux (obstruction du col nécessitant une dilatation ; patiente très stressée)”, explique une gynécologue sur son site. Et c’est exactement en ces mêmes termes qu’est aussi décrite l’hystérosalpingographie sur nombre de sites médicaux. En France, du moins.

Car ailleurs, le message adressé aux patientes n’est pas toujours aussi positif. Au Québec, par exemple, le ministère de la Santé prévient clairement : “La colposcopie peut causer de l’inconfort et parfois de la douleur”. En Espagne, certaines cliniques spécialisées dans la prise en charge de l’infertilité annoncent aussi la couleur : L’hystérosalpingographie est-elle douloureuse ? Pour dire la vérité, oui. C’est un examen douloureux”, lit-on ainsi sur le site du groupe IVF-Life. “Effectivement, ces trois examens sont particulièrement invasifs et désagréables. La douleur va varier d’une patiente à l’autre : pour certaines, ça va aller, mais il y en a d’autres pour qui c’est une expérience horrible, voire traumatique. Et toutes ces expériences sont vraies”, résume Maïa, sage-femme et membre du collectif Pour une médecine engagée, unie et féministe (Pour une M.E.U.F.).

Sans être systématique, la douleur ressentie par certaines femmes ne tient pas seulement à leur possible état de stress ou à leur supposée “sensibilité”, mais bien à la nature même de ces examens. Jugez un peu : lors d’une hystéroscopie, on va poser un spéculum, puis introduire une fibre optique d’environ 3 mm à travers le col de l’utérus – dont le passage peut s’avérer plus ou moins compliqué. Et si des lésions suspectes sont observées, des tissus sont alors prélevés pour être analysés. Pour la colposcopie, c’est un peu le même principe : comme pour un frottis, la patiente se voit poser un spéculum. Sauf qu’ici, l’examen peut durer une vingtaine de minutes et qu’on va utiliser des produits réactifs pouvant provoquer une sensation de brûlure. Là aussi, si des lésions apparaissent, une ponction sera directement réalisée – à vif, donc. Quant à l’hystérosalpingographie, elle nécessite de passer un cathéter à travers le col de l’utérus, puis d’injecter un liquide contraste (possiblement irritant, lui aussi) dans l’utérus et les trompes de Fallope, qui sont ensuite radiographié·es. Tout ça sans anesthésie ni prise en charge particulière de la douleur.

Spasfon et Doliprane

Aujourd’hui, lorsqu’elles doivent réaliser l’un de ces trois examens, les patientes se voient seulement prescrire en amont du Spasfon – cet antispasmodique très vendu en France, mais dont l’efficacité est remise en cause. Éventuellement un peu de Doliprane ou d’Ibuprofène à la sortie, si les douleurs persistent. “Après mon hystérosalpingographie, je ne tenais quasiment pas sur mes jambes et j’avais des crampes vraiment très douloureuses dans le ventre. Les soignants étaient plutôt gentils, ils m’ont proposé de m’asseoir, de boire un verre d’eau… C’est tout. Il a fallu que mon conjoint leur demande de me prescrire un antidouleur. Je suis repartie avec une ordonnance pour du Doliprane. Et je suis restée paralysée par la douleur quasiment jusqu’au lendemain, incapable de faire quoi que ce soit”, témoigne Myriam, 31 ans, dont les larmes ont coulé pendant l’examen. “Quand je suis ressortie de mes trois examens (deux HSG et une hystérographie), j’étais blême tellement j’avais souffert. Le médecin est venu me voir en me disant : “on sait que ça fait mal”. J’avais pris deux Spasfon avant, et je suis repartie sans rien, ni médocs ni arrêt de travail”, rapporte Marie qui, après avoir serré les dents sur la table d’examen, a donc fait de même pour aller travailler.

“La question de la douleur est complètement occultée. Déjà parce que ces examens ont en commun d’être en deuxième ligne : par définition, ils interviennent après avoir vu un premier professionnel en gynécologie, qui a orienté la patiente. Dans la majorité des cas, on n’a pas, ou peu, expliqué le déroulé de l’examen, on n’a pas parlé de la douleur, on n’a pas prescrit ne serait-ce que des antidouleurs en amont. La question de la douleur est totalement occultée. Globalement on considère que, puisque certaines n’ont pas mal, alors les autres exagèrent. Donc que ce n’est pas la peine de les prévenir ou de leur proposer une prise en charge pour la douleur”, pointe Maïa, du collectif Pour une M.E.U.F. C’est précisément ce que dénonce, outre-Manche, le collectif Hysteroscopy Action. Porté par des patientes, soutenu par certain·es élu·es, il fait campagne depuis 2014 pour que soit donnée aux femmes qui le souhaitent la possibilité d’être sédatées ou anesthésiées durant une hystéroscopie. Comme c’est le cas, par exemple, lors d’une coloscopie ou d’une biopsie de la prostate.

Alors, pourquoi ces examens gynécologiques ne sont-ils pas pratiqués sous anesthésie ? Lorsqu’elle est générale, cette dernière est une procédure relativement lourde, non dénuée de risques, qui implique une prise en charge de plusieurs heures pour des examens censés durer une quinzaine de minutes – et, en prime, réputés peu douloureux. C’est pourquoi, en France, on la propose seulement dans certains cas particuliers, et uniquement pour l’hystéroscopie. L’anesthésie locale ? Elle est parfois proposée par certains praticiens mais, là aussi, seulement pour l’hystéroscopie. Parce qu’elle nécessite plusieurs injections au niveau du col utérin, elle peut toutefois être désagréable. Et si, en théorie, elle pouvait être proposée pour la colposcopie, rien n’indique qu’elle serait efficace dans le cadre de l’HSG (qui concerne l’utérus et les trompes. Quant à la péridurale ou la rachianesthésie, elles nécessitent quatre à six heures de surveillance post-examen (et seulement deux dans le cadre d’une anesthésie générale). Qu’elles soient jugées trop lourdes, trop risquées, trop coûteuses (en personnel, en soins, en lits) et/ou pas adaptées à la nature de l’examen, ces solutions ne sont donc pas proposées aux patientes dans un protocole classique.

Pour autant, rien n’empêche qu’elles soient mieux accompagnées. “Sans aller jusqu’à l’anesthésie générale, il existe des solutions pour réduire la douleur et l’anxiété. Par exemple, il y a la possibilité de proposer une prémédication à base d’antalgiques et/ou de relaxants. Il existe aussi des méthodes de sédation qui sont tout à fait adaptées à ce type d’examens, comme l’utilisation du protoxyde d’azote (le fameux “gaz hilarant”) ou le recours à l’hypnose. Mais cela suppose d’avoir un praticien supplémentaire qui soit formé à ces pratiques, de prendre plus de temps en amont avec la patiente et de la gérer davantage pendant l’examen. Ce qui explique en partie pourquoi ce n’est pas pratiqué couramment”, explique Maïa, la sage-femme de Pour une M.E.U.F.

“C’est pour la bonne cause”

Selon elle, cependant, cette non-prise en charge de la douleur n’est pas seulement liée à ces enjeux techniques. “Le cœur du problème, c’est la non-considération du corps des femmes et de leurs ressentis, qui s’applique à ces examens comme à l’ensemble du champ de la médecine”, résume cette professionnelle. Si elles ont mal, s’entendent régulièrement dire des patient·es, c’est parce qu’elles seraient trop stressées, trop anxieuses ou tout simplement trop douillettes. “C’est un gynécologue reconnu qui m’a fait mon hystérosalpingographie. Quand il m’a injecté le produit de contraste, j’ai eu tellement mal que j’ai hurlé de douleur. Sa seule réponse a été de me dire : ‘n’en faites pas trop, quand même’”, relate ainsi Lydia, assistante administrative de 34 ans, “traumatisée” par cet examen. “Quand j’ai changé de couleur [sous l’effet de la douleur, ndlr], le gynéco m’a expliqué que c’était parce que j’étais stressée, que ça ne faisait pas ça aux autres”, raconte une autre femme sur Twitter. “J’ai eu une hystéroscopie franchement douloureuse. Pendant l’examen, le mec m’a carrément dit en toute détente : “il faut souffrir pour devenir maman”. Ça m’a sciée”, confie quant à elle Hannah, 37 ans.

Subir sans (trop) broncher : voilà ce que demandent certain·es professionnel·les à leurs patientes, parfois explicitement. Comme ce centre d’imagerie médicale bordelais qui, sur son site, prévient que l’HSG “peut être un examen douloureux”. À défaut de proposer une solution palliative, il conseille : “Rappelez-vous : [cet examen] est bref, et c’est pour la bonne cause. Essayez de vous détendre”. Donnerait-on le même conseil à un homme qui s’apprêterait à subir un examen potentiellement douloureux ? Il est permis d’en douter. Largement documentée, cette minimisation de la douleur des femmes a encore été démontrée, en mars 2021, dans une étude parue dans Journal of pain. À l’issue de deux expériences, les chercheuses et chercheurs ont constaté que la douleur des femmes a non seulement tendance à être sous-évaluée par rapport à celle des hommes, mais aussi que les stéréotypes sexistes conduisent les professionnel·les chargé·es de traiter cette douleur à prescrire davantage de psychothérapies aux femmes, et de médicaments antidouleur aux hommes. Une minimisation qui, en plus d’être franchement sexiste, peut avoir des conséquences sur la santé des femmes.

“Je ne veux plus jamais entendre parler d’hystéroscopie ! Si je dois en refaire une, j’accepterais seulement si on peut la faire sous anesthésie. Sinon, c’est mort”, témoigne Hannah, alors même que cet examen peut permettre de diagnostiquer une endométriose ou un cancer. De son côté, Marie, aujourd’hui enceinte, n’envisage pas de repasser un jour par la case HSG. “Je me suis dit que, si j’envisageais une deuxième grossesse, je ne le referais pas. En tout cas, pas comme ça : soit on me propose une autre méthode, soit il n’y aura pas d’autre grossesse”, confie-t-elle. Des renoncements aux soins qui découlent, comme ici, d’une expérience douloureuse, mais sont aussi favorisés par le manque d’informations transmises aux patientes. “Comme on a peu d’informations fiables et accessibles sur ces examens, les femmes s’en remettent aux témoignages qu’on trouve sur internet et qui sont souvent les plus horribles. Cela peut clairement en décourager certaines”, constate Maïa, du collectif Pour une M.E.U.F.

Pour elle, il y a donc urgence à mieux les informer, en amont comme pendant l’examen. “Les personnes ont le droit d’avoir un avis sur la façon dont elles sont prises en charge. La base, c’est d’expliquer aux patientes le pourquoi de cet examen, de leur expliquer comment il va se dérouler, de les rassurer et, bien sûr, de prendre en considération leurs ressentis. Parfois, on n’a pas de solution pour éviter la douleur : mais ça n’empêche pas d’expliquer, de s’en excuser, de la considérer. Le simple fait de respecter et d’accompagner les patientes, ça représente un monde dans leur vécu”. Un monde auquel les femmes aimeraient, enfin, pouvoir accéder.

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