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© Priscilla Du Preez

L’anxiété ali­men­taire : presque une femme sur deux a déjà connu un dés­équi­libre lié à son alimentation

A l’occasion de la jour­née mon­diale des troubles du com­por­te­ment ali­men­taire (TCA), Qare, l’entreprise de télé­con­sul­ta­tion, a orga­ni­sé un talk pour mettre en lumière une zone grise de l’alimentation encore trop taboue : l’anxiété ali­men­taire. Une pri­va­tion du plai­sir de man­ger qui touche en majo­ri­té les femmes, et sur­tout les plus jeunes.

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© Margaux Motion pour Qare

Compter toutes les calo­ries ava­lées, suivre des régimes dras­tiques puis s'arrêter bru­ta­le­ment, être obsédé·e par la qua­li­té des ali­ments, com­pen­ser tous les petits plai­sirs par des séances de sport, sau­ter un repas… Toutes ces petites pré­oc­cu­pa­tions men­tales ont un nom : l’anxiété ali­men­taire. Une expres­sion un peu bar­bare qui désigne pour­tant une situa­tion lar­ge­ment répan­due chez les femmes fran­çaises : quand l’alimentation devient une obses­sion au point d’impacter la san­té men­tale et/​ou physique. 

Dans le cadre de la jour­née mon­diale des troubles du com­por­te­ment ali­men­taire (TCA) du 2 juin, la socié­té de télé­con­sul­ta­tion Qare a coor­don­né une table ronde autour du sujet, avec des spé­cia­listes de la san­té. La confé­rence a pris pour point d'appui une récente étude Ipsos, aux résul­tats frap­pants : 44% des femmes fran­çaises déclarent avoir déjà vécu des périodes de dés­équi­libre ali­men­taire dans leur vie. Ces pré­oc­cu­pa­tions exces­sives peuvent per­mettre de détec­ter des signes avant cou­reur de TCA, comme le pré­cise la doc­teure Fanny Jacq, mais elles ne consti­tuent pas une patho­lo­gie, à l’instar de l’anorexie ou de la boulimie. 

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De gauche à droite : Dr Fanny Jacq, la dié­té­ti­cienne Flavie Brochard et la socio­logue Camille Adamiec © Louise Huet
Une charge men­tale pour les femmes et les jeunes

Chez les jeunes femmes, l’anxiété ali­men­taire prend une toute autre ampleur, puisque le chiffre passe de 44% à 61% pour les 16–24 ans. Le poids des dik­tats qui pèsent dans notre socié­té patriar­cale sur les jeunes adultes y est pour beau­coup. « La socié­té actuelle est rem­plie d’injonctions sur le corps, sur la beau­té, et donc sur l’alimentation, qui se réper­cutent prin­ci­pa­le­ment sur les femmes. Evidemment, les réseaux sociaux ren­forcent leurs dif­fu­sions », sou­ligne la socio­logue spé­cia­liste des ques­tions d’alimentation, Camille Adamiec, lors de la conférence. 

Ces périodes de dés­équi­libre sont tout sauf momen­ta­nées. Au contraire, 53% des femmes vic­times d’anxiété ali­men­taire en souffrent pen­dant au moins plus d’un an. Des pen­sées obsé­dantes autour de la nour­ri­ture qui ren­voient une image de son corps tota­le­ment biai­sée, et qui obligent par exemple cer­taines femmes à pas­ser à côté d'un repas entre proches, à renon­cer à mettre cer­tains vête­ments ou maillots de bain. 

Pour la dié­té­ti­cienne Flavie Brochard, les recom­man­da­tions contra­dic­toires autour de la nour­ri­ture en sont la prin­ci­pale cause : « On voit plein de conseils sur inter­net, ou même don­nés par des nutri­tion­nistes, qui créent un flou com­plet pour les femmes, sur quoi faire avec le sucre, le gras, le gri­gno­tage… Les régimes sont en grande par­tie res­pon­sables des dés­équi­libres car ils ali­mentent les frus­tra­tions, donc le risque d'une future com­pen­sa­tion exces­sive », défend-​elle. Le pre­mier effet néfaste ? Le sen­ti­ment d’échec, la baisse d’estime de soi, la culpabilité… 

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© Margaux Motion pour Qare
La solu­tion, en parler

Face à cette sen­sa­tion de honte, Fanny Jacq alerte sur le besoin de mettre des mots sur l’anxiété ali­men­taire, sou­vent mal diag­nos­ti­quée. « Les per­sonnes n’ont pas for­cé­ment conscience de ce qu’elles tra­versent, que leurs pen­sées ne sont ni nor­males, ni ano­dines. Surtout, très peu de femmes en parlent autour d’elles », indique la direc­trice san­té men­tale de Qare. Et pour cause, 53% de ces femmes n’ont jamais men­tion­né leur dés­équi­libre ali­men­taire à qui que ce soit. 

Alors, une solu­tion : ver­ba­li­ser ses pen­sées. « Quand on est obsé­dé par la nour­ri­ture, un moyen d’essayer de s’en libé­rer est d’intégrer un groupe de parole ou de suivre une thé­ra­pie com­por­te­men­tale avec des pro­fes­sion­nels for­més », recom­mande Flavie Brochard. Le maître-​mot de cette réédu­ca­tion est de retrou­ver du plai­sir en man­geant. Renouer avec nos ins­tincts, de faim et de rassasiement. 

Au coeur de cette anxié­té, le para­doxe culi­naire français

Malgré les injonc­tions à la nour­ri­ture heal­thy, la France reste prise dans son his­toire de la cui­sine, du goût, de sa gas­tro­no­mie. En même temps que des comptes Instagram injectent leur feed de pho­tos de plats ultra-​sains, la ten­dance du food porn conti­nue de battre son plein. Burger dégou­li­nant d’un côté, petite salade de qui­noa de l’autre. Un para­doxe qui pousse soit à (trop) man­ger, soit à faire (trop) atten­tion. « On vit dans une socié­té d’abondance où tout est dis­po­nible en conti­nu et cela signi­fie que l’individu doit constam­ment faire des choix. Autant de pos­si­bi­li­tés, pour autant d’inquiétudes de choi­sir la mau­vaise. C’est pour ça que cer­tains se tournent vers des régimes très res­tric­tifs, où les choix culi­naires sont for­cé­ment limi­tés », constate Camille Adamiec. 

Ce para­doxe devient jus­te­ment pro­blé­ma­tique quand tous ces dis­cours contraires génèrent de l’angoisse et de l’anxiété. Malgré tout, « une socié­té a besoin de ces contra­dic­tions, de ne pas être uni­forme. On peut jus­te­ment pio­cher des deux côtés et trou­ver ce qui semble bon pour nous. »

Le plus impor­tant semble avant tout de se par­don­ner. De com­prendre que ce rap­port mal­sain à la nour­ri­ture relève en par­tie d'un sys­tème patriar­cal qui fait his­to­ri­que­ment peser la charge de l'alimentation sur la figure mater­nelle, en plus de toutes les injonc­tions au corps « par­fait » tour­nées vers les femmes. 

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