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Kinésiologie : du gou­dron et des plumes

La kinésiologie appliquée, discipline psychocorporelle holistique volontiers foutraque qui s’inscrit dans une nébuleuse de médecines parallèles, peut conduire à des retards de soin ou être une porte d’entrée vers les dérives sectaires.

Si, quand on vous dit « kinésiologue », vous pensez à un·e kinésithérapeute qui aurait poussé ses études un peu plus loin, vous n’y êtes pas. La kinésiologie et la kinésithérapie ont en effet une chose en commun : la racine « kiné » (du grec « kinesis », le mouvement). La similitude s’arrête là. Présentée comme une méthode « d’éducation à la santé » – le terme santé recouvrant tout à la fois la qualité de vie, le bien-être et le développement du potentiel –, la kinésiologie appliquée est une discipline floue et protéiforme, une technique psychocorporelle holistique fondée dans les années 1960 par un chiropracteur américain et née dans la mouvance new age.

Muscle, ô mon beau muscle…

Difficile de savoir exactement ce que l’on va trouver quand on pousse la porte d’un·e kinésiologue, tant les pratiques sont hétéroclites. Mais le test dit « musculaire » est le pilier de la discipline. En pratique, le·la praticien·ne vous demande de contracter un muscle. Souvent, il·elle fait plier le coude pour mettre le biceps en tension. Il·elle vous pose alors une question, fait référence à un épisode ou une caractéristique de votre vie et exerce en même temps une pression douce sur votre coude pour le déplier. C’est là que votre biceps est censé « parler ». « S’il y a une baisse d’énergie et que le coude ne reste pas plié, c’est que le cerveau et donc le corps ne gèrent pas l’information », explique Bernard Ophoven, kinésiologue et directeur de l’école française de kinésiologie professionnelle. La kinésiologie, selon ses adeptes, permettrait donc d’aller débusquer des événements « non digérés » par le cerveau et qui se seraient enkystés dans le corps (qui, lui, garderait la mémoire de tout). « La kinésiologie, c’est un peu un instrument divinatoire, résume Didier Pachoud, président du Groupe d’étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l’individu (Gemppi). Le praticien questionne les énergies du corps par des rituels et surtout par un ressenti complètement subjectif qui relève de la voyance. » 

En bref, comme d’autres lisent dans le marc de café, le·la kinésiologue lit dans vos muscles. Il ou elle se propose ensuite de vous remettre les énergies à l’endroit, par la parole, la médecine chinoise ou divers exercices énergétiques. Perdue ? C’est normal. « La kinésiologie est une sorte de labyrinthe dans lequel il est très difficile de se retrouver. Elle mélange des éléments musculaires, articulaires et beaucoup d’autres plus immatériels et ésotériques », explique Nicolas Pinsault, kinésithérapeute, maître de conférences à l’UFR de médecine de l’université de Grenoble et auteur de Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles (éd. PUG). 

Sans aucune rationalité scientifique et ­exercée par des praticien·nes volontiers new age – ils seraient entre deux mille et trois mille en France –, la kinésiologie vole souvent en escadrille avec des disciplines plus douteuses les unes que les autres. Vous trouverez ainsi des kinésiologues qui s’adonnent au reiki, à l’astrologie, aux thérapies quantiques, à la reprogrammation cellulaire, à la bioénergie ou à d’autres excentricités. Bernard Ophoven l’admet lui-même, dans la kinésiologie, « il y a des discours allumés ». Au point de faire passer les adeptes du côté obscur de la force ? « Ces techniques, qui s’inspirent toujours des religions panthéistes, sont la porte d’entrée principale des sectes », alerte Didier Pachoud. « Nous ne pouvons pas dire que la kinésiologie est vraiment un facteur de dérive sectaire. Elle n’est pas dangereuse en tant que telle, nuance Anne Josso, secrétaire générale adjointe à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Mais comme elle est souvent pratiquée avec d’autres choses, nous avons reçu quelques signalements où elle a produit des choses assez désastreuses. »

Vraie-fausse thérapie

Les kinésiologues, dans leur immense majorité, ne sont pas des professionnel·les de santé et, officiellement, ne se revendiquent pas comme thérapeutes. Mais, pour Anne Josso, il faut appeler un chat un chat. « Ils disent prendre en charge et régler beaucoup de choses. Ils ont des prétentions thérapeutiques évidentes. » Et c’est là que le bât blesse, surtout quand les kinésiologues détournent les personnes de la médecine traditionnelle. « Beaucoup de kinésiologues sont critiques envers la médecine et ne vont pas inciter à avoir un suivi médical. Le retard, voire l’abstention de soin, est le premier danger pour les personnes qui empruntent cette voie », souligne Didier Pachoud. Et si ce n’est pas le corps qui pâtit de ces propositions de soin, il y a fort à craindre que ce soit l’esprit. « Je trouve, à titre personnel, que ce genre de pratiques affaiblit les défenses intellectuelles des gens, avance Nicolas Pinsault. En laissant penser que quelque chose de magique peut fonctionner en tant que médecine, on ouvre une brèche à des choses immatérielles et à un niveau de croyance très élevé, qu’on aura du mal à refermer. Et il est très difficile de savoir ce que les gens font de l’information qui prétend que quelque chose d’immatériel peut être pertinent. » Prudence, donc.

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