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Mahaut Drama © Titouan Georges

Mahaut Drama, rire de survie

Dans son spectacle Drama Queen, l'humoriste de 28 ans virevolte entre sketches décoincés du cul, personnage d'aspirante bourgeoise sans le sous et commentaires aigres-doux sur l'actualité politique. Surtout, elle ose aborder frontalement la maladie mentale, pour un résultat aussi intense que son vrai moi.

Rendez-vous est pris dans le charmant salon de thé - librairie d'une rue menant au Panthéon. L'endroit a le bon goût de concilier le cosy d'un établissement british un peu snob et le militantisme féminisme, comme l'affiche l'intégralité de la vitrine composée des dernières sorties du genre. Deux éléments indispensables à l'équilibre de Mahaut, en quelque sorte. « J'ai beau eu avoir été assistante parlementaire et journaliste, c'est en intégrant le monde du stand-up que je suis devenue féministe radicale », se remémore-t-elle en croquant dans un succulent cookie maison qu'elle a commandé sans hésiter, en habituée. Dans le Vème arrondissement de Paris, celle qui a « du béton dans les veines » se sent chez elle. « Mes deux parents sont nés à Paris mais je suis un peu métisse parce que ma mère vient du 6 et mon père du 11, donc autant te dire qu’on est sur des milieux sociaux extrêmement différents », ironise-t-elle.

À 28 ans, l'humoriste brûle les planches dans Drama Queen, un seule-en-scène qu'elle joue à l'Apollo théâtre dans le Xème arrondissement de Paris tous les vendredis soirs. Volubile au débit mitraillette comme si elle avait peur de ne pas avoir le temps de tout dire, elle bouffe l'espace et fait rire pendant plus d'une heure en devisant donc féminisme mais aussi sexe, amour, galères de tunes, rêves de gloire, névroses familiales, drogue, politique, santé mentale... Des thématiques embrassées par d'autres mais traitées par Mahaut avec une franche dose de grandiloquence, instaurée dès le départ par la flamboyante tenue de soirée qui lui sert de costume.

Public OVS

Une politesse faite à son public pour celle qui, ado, se rêvait styliste. « Une vocation, c’est à la fois une bénédiction parce que ça dirige ta vie et une malédiction parce que ça te bouffe de l’intérieur », observe-t-elle, pensive, lorsqu'elle revient sur ce rendez-vous manqué. Après une licence d'histoire, l'étudiante avait bien réussi à décrocher une entrée dans une école de stylisme qui lui aurait permis de se lancer corps et âme dans la fabrication de la sape. Mais ses parents refusent de se porter garants et Mahaut bifurque vers une école de journalisme en s'accrochant alors à sa deuxième passion, le théâtre. Là aussi, l'expérience est frustration. La jeune femme rate l'entrée au conservatoire « trois années de suite, systématiquement lors du dernier tour » et continue à graffer en parallèle - des silhouettes au pochoir qui s'embrassent - pour « s'exprimer artistiquement » d'une manière ou d'une autre. Sauf que lors de sa dernière tentative pour pénétrer la sacro-sainte école publique de théâtre, l'une des membres du jury, professeur d'art dramatique, la rappelle pour lui conseiller de se mettre au stand-up. « Je l'ai écoutée, en commençant à me préparer pour des scènes ouvertes, en parallèle d'études de journalisme et sans me dire que ça pourrait être mon métier », se souvient Mahaut. Commence alors une vie rythmée par la cadence infernale des scènes ouvertes, avec ses premiers applaudissements et ses premiers bides, sous l'œil étonné de sa bande d'ami·es. « Lorsque j'ai rencontré Mahaut à l'option théâtre de la fac, elle m'a fait rire comme jamais je n'avais ri, raconte son meilleur ami Julien. Elle fait partie de ces personnes dont l'intelligence transparaît dans leurs blagues, dans leurs jeux de mots. Ceci dit, quand elle m'a parlé du stand-up, je ne l'y voyais pas trop, parce que mes connaissances sur le sujet étaient à peu près limitées à Franck Dubosc, j'avais en tête un truc un peu beauf. Mais il a bien fallu la suivre, ne serait-ce que pour qu'elle puisse jouer puisque la règle répandue, c'est de faire venir dans le public trois personnes pour avoir le droit de se produire pour un sketch de cinq minutes. » Comme tant d'autres débutant·es, Mahaut connait aussi les affres de devoir divertir dans « des caves » sans être attendue : « Mon premier public, s'amuse-t-elle, c'est aussi des gens qui ne se connaissent pas entre eux mais se sont donné rendez-vous sur OVS [On va sortir, site où on passe des petites annonces pour faire des rencontres amicales, ndlr]. »

"Quand j'ai débarqué dans le monde du stand-up, l'ambiance vestiaires m'a donné l'impression d'un voyage dans le temps dans la France d'il y a quarante ans."

Une période de la vie de Mahaut qui a tout de Drôle, la série Netflix qui raconte les déboires d'apprenti·es stand-uper. À moins que ce soit l'inverse... « Fanny Herrero [la scénariste, ndlr] suivait pas mal de débutants dont moi sur les réseaux sociaux, elle regardait nos stories... Je trouve qu'il y a beaucoup de similarités entre mon personnage de Mahaut Drama et celui d'Apolline [jouée par Elsa Guedj], sourit-elle. J'ai d'ailleurs passé le casting pour le rôle de cette bourgeoise un peu paumée mais n'ai pas été retenue. » La galère du milieu, elle la raconte aussi dans un court portrait-documentaire que Francetv Slash lui consacre en 2019, dans le cadre de sa série Stand-up vie. Le nom de l'épisode est pour le moins évocateur : « J’ai failli arrêter le stand-up à cause du sexisme ». « Quand j'ai débarqué dans le monde du stand-up, j'ai eu l'impression d'un voyage dans le temps dans la France d'il y a quarante ans, dit-elle aujourd'hui à Causette. Il y avait très peu de meufs, c'était ambiance vestiaires et certains de mes "camarades" ont eu des gestes déplacés vis-à-vis de moi. »

Survient alors une rencontre solaire et salutaire, à l'occasion d'un concours de stand-up pour décrocher une collaboration avec Thierno Thioune, metteur en scène des spectacles d'Haroun, que Mahaut adore, ou encore Morgane Cadignan. La collaboration ne se fera pas mais Mahaut assiste au sketch d'une certaine... Tahnee, autour de son identité lesbienne. Une révélation professionnelle pour Mahaut, mais aussi intime. « Je vais la voir dans les coulisses et je lui dis que je suis tombée amoureuse d'une fille récemment et que ça me bouleverse. J'avais beaucoup d'homophobie intériorisée en moi à ce moment-là, ayant baigné dans un milieu catho. Elle m'écoute et me dit : “Tu sais quoi, on devrait créer une scène où tu pourrais en parler, ça te dirait ?” » « Au départ, on s'est abordées comme des concurrentes à cause du contexte, se souvient Tahnee, interrogée par Causette. Puis je la vois sur scène et je remarque son talent, elle est pour moi l'une des plus gonflées et sa ligne féministe me ravit. Nous sommes rapidement devenues amies, je me souviens qu'en soirée, elle me demandait mes techniques pour draguer les filles. »

Pull col Claudine et collants filés

Ainsi nait le Comédie love fin 2018, une scène conçue comme un espace safe mais tordant pour les minorités sexuelles et de genre. Aux manettes : Mahaut, Lucie Carbone (remplacée depuis par Noam, qui fait du voguing comme un dieu) et Tahnee, l'autre. En guest, des humoristes qui, comme elles, ont aujourd'hui « percé » : Marine Baousson (du podcast Vulgaire), Laura Domenge (chroniqueuse sur France inter), Laurent Sciamma (qu'on ne présente plus)... « On a montré aux personnes LGBT que le stand-up pouvait aussi s'adresser à elles, on voulait proposer un truc bienveillant où elles ne seraient pas moquées », dit avec fierté Tahnee. « Le Comédie love, c'est une histoire de sororité, incroyable de libération, qu'il s'agisse de moi ou du public, renchérit Mahaut. Je me souviens d'un sketch que j'avais sur la grossophobie. Il m'a vraiment réconciliée avec mon corps car lorsque je le jouais, la connexion avec le public de meufs lesbiennes était très forte, c'était très émouvant. On était les seules à proposer une scène pour les personnes marginalisées et aujourd'hui, le Comédie love a fait plein de bébés, il a donc accompli sa mission. »

Si l'expérience donne à Mahaut le courage de faire son coming-out pansexuel (c'est-à-dire une attirance envers quelqu'un quel que soit son genre) sur scène, elle occasionne une drôle de réaction chez sa mère. « Elle a carrément fait un déni, elle a oublié, j'ai dû lui redire trois fois, raconte Mahaut. Nous avons eu une relation conflictuelle lorsque j'étais ado parce que je me suis rebellée contre le conservatisme de ma mère qui m'avait scolarisée chez les bonnes sœurs et que je m'entendais très mal avec mon beau-père. Je me suis plongée dans le monde de la nuit, j'ai beaucoup fait la fête et avec beaucoup d'excès. À 18 ans, je cultivais un look de bourgeoise décadente (pull col Claudine de ma grand-mère adorée Mimi sur collants troués et j'étais inscrite aux alcooliques anonymes. Avec ma mère, les liens ont été rompus quand je me suis mise au stand-up. La réconciliation a été longue mais ce qui est chouette, c'est que j'ai un peu essuyé les plâtres pour mes deux petites sœurs. L'une d'elles est lesbienne et n'a eu aucune difficulté à présenter sa copine à ma mère, sans doute parce que j'avais cassé les codes familiaux avant elle. »

"Dès que j’avais une baisse de moral, je me disais "ah bah voilà, phase dépressive" et dès que j'étais joyeuse, je me croyais en phase maniaque."

Cette mère avec qui l'humoriste entretient un lien encore ambivalent, Mahaut la raconte comme un personnage un peu fantasque aux valeurs de droite - elle est élue d'opposition d'une grande ville - qui s'est octroyé des libertés qu'elle a visiblement eu peur de permettre à ses quatre filles. À 20 ans, elle se marie contre l'avis de ses parents (qui l'envoient se marier en province, pour ne pas choquer le cercle parisien) et accouche de son aînée. Dix ans après nait Mahaut, d'un autre père. Suivront les deux dernières à 40 ans passés et avec un troisième époux. « J’aimerais bien être une grande bourgeoise folle et me marier quatre fois, une fois de plus que ma mère », réfléchit tout haut la stand-upeuse. Ajoutez à ce terreau un père bohème, qui évolue dans sa jeunesse dans le milieu des radios libres et a plus tard été diagnostiqué bipolaire, vous comprendrez d'où lui vient ce goût de la démesure, du panache et du drama. « Ils se sont rencontrés dans un musée, je ne sais pas comment ils s'y sont pris, retrace-t-elle. Ils se sont séparés peu après ma naissance mais ont eu le temps de vivre une passion, qui a été l'occasion d'un moment vachement jet set dans la vie de ma mère : ils avaient célébré leur amour au Lido, ce que je trouve vachement bizarre pour ma daronne. Mon père a toujours été grandiloquent, il vivait au-dessus de ses moyens. Quand j'étais ado, sa décapotable rouge lui a été confisquée par le fisc, les huissiers sont souvent venus à la maison. » Elle dit n'avoir pas été plus traumatisée que ça par les déboires paternels avec l'autorité fiscale, semble avoir fait siennes les excentricités du bonhomme : il y a quelques semaines, son père est venu la chercher après son spectacle sur une Harley Davidson dorée.

Celle qui a parfois dû prendre soin de son père aux prises avec la maladie dans un renversement des rôles s'est longtemps inquiétée pour sa propre santé mentale. Lorsqu'elle fait hospitaliser le paternel en 2020, elle consulte une psychologue à qui elle demande si elle aussi est bipolaire. « La psy m'a demandé de remonter mon arbre généalogique pour comprendre et il se trouve qu'il y a beaucoup de fous et de suicidés dans ma famille. Dès que j’avais une baisse de moral, je me disais "ah bah voilà, phase dépressive" et dès que j'étais joyeuse, je me croyais en phase maniaque », sourit Mahaut, à qui finalement ne sera diagnostiqué aucune pathologie mais une « personnalité forte ». De ces questionnements, elle a fait un sketch où elle raconte cette épée de Damoclès. « Quand elle m'a annoncé qu'elle allait faire un sketch sur la bipolarité en parlant de son père, j'avoue que j'ai trouvé ça casse-gueule, se souvient Julien. Mais elle a réussi à faire ça subtilement, sans rendre la chose blessante pour les concernés. Ça a été un tournant sur scène parce que jusque là, elle jouait surtout la connasse parisienne érotomane, ce qui est un de nos points communs. »

Voir Venise après un burn out

Une mise à nu qui la distingue et constitue même aujourd'hui son équilibre, aux yeux de son meilleur ami : « Quand ils la rencontrent, les gens pensent parfois "cette fille n'est pas stable", mais je crois que c'est au contraire parce qu'elle assume sa fragilité et l'exprime que Mahaut va bien aujourd'hui. » Pour aller bien, la jeune femme a aussi fait un pacte avec elle-même : après un burn out il y a un an, elle s'est promis de ne courir les scènes ouvertes plus que six jours par semaines - mais il lui arrive encore d'enchaîner quatre scènes le même jour. Une routine encore essentielle pour se faire connaître et remarquer, puisque c'est grâce à l'une de ces expériences qu'elle avait décroché une chronique régulière sur radio Nova. Aujourd'hui, c'est sur le média d'infotainment Pangäa (dont les contenus vidéos, à l'adresse des 18-25 ans, sont uniquement diffusés sur Instagram et TikTok) qu'elle lie ses passions pour le rire et pour l'actualité, avec sa pastille Gossip Mahaut reprenant la recette de son succès sur scène : un personnage drama-bitchy qui manie l'ironie pour dénoncer ce qui ne tourne pas rond dans note société.

En janvier, en parallèle de la reprise de son spectacle à l'Apollo théâtre tous les jeudis, elle reprend l'animation en duo d'un podcast de pop culture féministe, même si elle ne peut pas encore tout à fait dévoiler son nom. Pas de quoi chômer, donc, mais cet été, Mahaut a pris des vacances pour la première fois depuis trois ans. Un garçon l'a amenée à Venise mais la drama queen n'en dira pas plus sur la nature de leur relation « afin de rester un objet de désir ». Ce qui compte, c'est que Venise était magnifique et que le goût du beau nous sauvera tous·tes de nos névroses et de la folie du monde. « Ces derniers temps, mon spectacle se conclut sur un éloge de la futilité. Je suis persuadée qu'un bel environnement, l'odeur d'une poudre, le galbe d'un sein peuvent, le temps d'un instant, nous sortir de l'insoutenable supplice de l'existence. »

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Drama Queen de Mahaut Drama à l'Apollo Théâtre. Complet jusqu'à fin décembre, reprise en janvier tous les jeudis.

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