Podcast : Axelle Jah Njiké lève le voile sur le tabou des vio­lences intra­fa­mi­liales sur mineurs dans les com­mu­nau­tés noires

Dans son nou­veau pod­cast La fille sur le cana­pé, pro­duit par Nouvelles écoutes, l’autrice fémi­niste Axelle Jah Njiké lève le voile sur le dou­lou­reux sujet des vio­lences intra­fa­mi­liales sur mineurs dans les com­mu­nau­tés noires.

la fille sur le canape cover
© Nouvelles Ecoutes 

Cette fille sur le cana­pé, c’est elle. Axelle Jah Njiké. Elle est âgée de 11 ans lorsqu’elle est vic­time d’un viol par un proche au sein même de son foyer. C’est elle, qui, dans le pre­mier épi­sode de ce pod­cast en neuf épi­sodes, s’exprime, 38 ans plus tard, suite à un long che­min de rési­lience, de recons­truc­tion et d’acceptation. Après avoir réus­si ce lourd tra­vail du récit auto­bio­gra­phique, elle trans­met le bâton de parole à d’autres femmes, des afro­péennes, selon ses termes. En France, rappelons-​le encore et encore, 51% des viols et ten­ta­tive de viols déclaré.e.s par les femmes ont été subis avant leur 11 ans. Les agres­seurs sont en grande majo­ri­té des hommes membres de la famille, qui d’après les per­sonnes vic­times auraient fait d’autres victimes.

Déjà à l’initiative du pod­cast à suc­cès Me, my sex and I, Axelle Jah Njiké décide de mêler l’intime au poli­tique, puisque c’est la voca­tion de ces séries docu­men­taires épo­nymes lan­cées par la pro­duc­trice Lauren Bastide. Après qu’Ovidie a explo­ré la ques­tion de la trans­mis­sion des valeur fémi­nistes et Océan celle des travailleurs.euses du sexe, Axelle Jah Njiké, autrice et mili­tante fémi­niste païenne, ain­si qu’elle se défi­nit, s’attelle au silence et à l’invisibilisation qui entourent les vio­lences sexuelles sur mineures dans le cadre intra­com­mu­nau­taire. En l’occurrence la com­mu­nau­té noire.

Pourquoi un tel tabou, une telle omer­ta sur ce qui se passe, à l’abri des regards, dans le cadre fami­lial ou conju­gal ? Pourquoi la com­mu­nau­té noire pointe-​t-​elle rare­ment du doigt les méfaits des siens ? Pourquoi les jeunes vic­times sont-​elles condam­nées à se taire ? Existe-​t-​il un lien entre leur appar­te­nance cultu­relle et le poids, très lourd, du secret ?

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Axelle Jah Njiké © Olivier Ezratty- QFDN

« L’unité noire s’est construite sur le silence de la femme noire », écri­vait Angela Davis, figure incon­tour­nable du mili­tan­tisme afro-​américain, ici reprise par Axelle Jah Nijiké dont la série docu­men­taire est émaillée d’extraits lit­té­raires. La soli­da­ri­té com­mu­nau­taire primerait-​elle sur la dénon­cia­tion de vio­lences com­mises par des hommes noirs ? Parler ce serait être considéré.e.s comme des traitres et des trai­tresses à la cause ? Ce serait prendre le risque d’entacher l’image d’une com­mu­nau­té déjà rudoyée ? Porter plainte revien­drait à condam­ner un homme noir à la vio­lence poli­cière ? Autant de ques­tions posées par Axelle Jah Njiké aux femmes qui ont accep­té de lui livrer leur his­toire et aux expertes qui apportent leur éclai­rage à cette pro­blé­ma­tique spécifique.

C’est le cas de l’afro-féministe belge Aïchatou Ouattara, inter­ro­gée par Axelle dans le troi­sième épi­sode, et qui évoque la pres­sion exer­cée sur les femmes noires pour qu’elles sou­tiennent de manière indé­fec­tible les hommes de leur com­mu­nau­té, même en cas de vio­lence. La crainte ? L’instrumentalisation raciste qui pour­rait décou­ler de ces révé­la­tions de crimes sexuels. « Les femmes sont encore et tou­jours des agneaux sacri­fiés sur l’autel de la com­mu­nau­té. Les injus­tices racistes sont une réa­li­té et doivent être com­bat­tues mais cette lutte ne doit pas être incom­pa­tible avec la dénon­cia­tion d’agressions sexuelles, s’exclame-t-elle. Le crime, même si ce terme est fort, est por­té par celui qui impose le silence à une fille ou une femme abu­sée, sous pré­texte d’unité cultu­relle. » 

Trop nom­breuses

« Dans ma famille, le viol était la façon de deve­nir femme », lance Axelle Jah Njiké. Mère à son tour d’une jeune fille dont elle avait choi­si le pré­nom avant même sa concep­tion, son com­bat est de rompre à tout prix avec ce dra­ma­tique legs trans­gé­né­ra­tion­nel. L’écrivaine Maya Angelou, citée elle aus­si dans ce pod­cast, parle des « grandes œillères de l’enfance » qui enferment dans la soli­tude du trau­ma­tisme et l’impossibilité de s’en libé­rer. « Je pen­sais être seule à avoir subi un viol, conti­nue Axelle, mais j’ai com­pris que nous étions très nom­breuses. Trop nom­breuses. »

Grace à un appel à témoi­gnages lan­cé avant de démar­rer cette pro­duc­tion, Axelle a recueilli de nom­breuses confi­dences, qui libé­raient des his­toires trop lourdes à por­ter, et qui fai­saient caisse de réson­nance avec la sienne. « La charge émo­tion­nelle a été décu­plée par l’effet miroir. J’étais pour elles, ces femmes de 25 à 34 ans, la pos­si­bi­li­té de se racon­ter avec une oreille tota­le­ment empa­thique. Nous par­lions le même lan­gage. » Se replon­ger dans les sou­ve­nirs trau­ma­tiques et reprendre le contrôle de son récit, tel est le fil rouge cathar­tique de La fille sur le cana­pé. « Il y a deux portes d’entrée pour les audi­teurs, explique Axelle. Celle de la réa­li­té avec les témoi­gnages, et celle de la fic­tion avec les extraits lit­té­raires de grandes écri­vaines noires, mais quoi qu’il arrive nous sommes confronté.e.s au sujet des vio­lences sexuelles. »

La musique qui accom­pagne très judi­cieu­se­ment le pod­cast a été com­po­sée et inter­pré­tée par l’artiste franco-​camerounaise Sandra Nkaké. Elle uti­lise son corps comme seul ins­tru­ment et sert ain­si mer­veilleu­se­ment le pro­pos de l’intime. « Je suis super fan, s’enthousiasme Axelle. Quand je pré­pa­rais le pod­cast je savais que ce serait elle. J’ai trou­vé fort que le corps soit au centre, reprenne sa place. »

Investir le « je ».

Avec cette pro­duc­tion sonore, et en abor­dant ce sujet déli­cat, Axelle Jah Njiké fait figure de pion­nière. Et ne don­ner la parole qu’à des femmes afro­péennes, les concer­nées, donc, prend ici tout son sens. « L’afropéanité est une notion à laquelle je sous­cris tota­le­ment. », pré­cise la réa­li­sa­trice. Développé par l’autrice Léonora Miano, qui inter­vient éga­le­ment dans le pod­cast, ce terme défi­nit et légi­ti­mise toute une com­mu­nau­té afro­des­cen­dante, vivant en Europe. « Nous sommes là, nous exis­tons, conti­nue Axelle. C’est ain­si que je conçois plei­ne­ment mon appar­te­nance, dans un col­lec­tif où on peut mettre son indi­vi­dua­li­té au ser­vice de tous. » Face à la néces­si­té de faire valoir sa qua­li­té de sujet dans un groupe cultu­rel, Axelle tente de remé­dier à l’invisibilisation des femmes noires. « L’intimité des femmes noires est sou­mise à un groupe qui pré­vaut sur l’individu. Il est dif­fi­cile d’investir le « je ». Partout dans le monde des femmes se battent pour l’éradication des vio­lences sexuelles. On oublie trop sou­vent que le mou­ve­ment « Me too » a été ini­tié il y a 10 ans par une femme noire, Tarana Burke. Pour autant, les afro­des­cen­dantes ne se sai­sissent pas suf­fi­sam­ment de cette lutte, faute d’espace et de consi­dé­ra­tion. Cela reflète un pro­fond malaise. », ajoute-t-elle.

« J’ai fait un pod­cast que j’aurais aimé entendre, dont nous avons besoin. Et parce que j’étais prête, arri­vée au bon endroit, à 48 ans. C’est mon his­toire, mais elle est com­mune à de nom­breuses jeunes femmes », conclut Axelle Jah Njiké qui fait le pari, ample­ment réus­si, de faire entendre la voix des femmes noires à tous les publics, l’intime étant le lieu idéal pour créer des pas­se­relles et par­ler un lan­gage universel.

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