Témoignage : se recons­truire après une fausse couche

Coline est assis­tante sociale. La jeune femme de 32 ans vit avec Teddy à Lille. Le couple a un petit gar­çon de 4 ans, pré­nom­mé Octave. Il vou­lait un deuxième enfant mais les choses ont viré au cau­che­mar. Coline a été enceinte pen­dant quatre mois, puis… plus rien. Elle a fait une fausse couche en décembre 2018. Elle témoigne pour dire ce qu’on ne dit pas, cet évé­ne­ment tra­gique tou­jours tabou, et qu’on ne devrait pas vivre. Comme l’écrit si jus­te­ment Coline, « il n’y a rien de faux » dans la fausse couche.


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© DR

« Le ven­dre­di 28 décembre 2018, j’ai accou­ché d’un petit gar­çon, mort né, après 16 semaines de gros­sesse. Depuis ce jour, je tra­verse des moments contra­dic­toires, ambi­va­lents et sur­tout dou­lou­reux. J’ai pen­sé mou­rir avec lui tel­le­ment, cela a été dif­fi­cile et tel­le­ment je me sens vide. J’ai le sen­ti­ment d’avoir tra­hi mon enfant à naître en ne pre­nant pas assez soin de nous.

Petit à petit, j’ai eu besoin d’écrire. Écrire pour exor­ci­ser la dou­leur peut-​être, mais aus­si pour ne pas oublier. Mon récit com­mence la veille de cette ter­rible épreuve.

Le jeu­di 27 décembre après-​midi, j’ai eu des contrac­tions. Je ne savais pas ce que c’était, je dis contrac­tions aujourd’hui avec le recul. Sur le moment, j’avais juste mal et peur. Je ne com­prends pas pour­quoi nous ne sommes pas allés à l’hôpital à ce moment-​là. On a lais­sé la crise pas­ser. Rien. J’avais tel­le­ment mal que j’ai fini par deman­der à Teddy d’appeler les pom­piers à 2 heures du matin. Il a fal­lu les convaincre de nous emme­ner. J’ai ger­bé mes tripes devant eux sans grand effet. Je répé­tais : “ j’ai mal, j’ai mal”. Ils ont cédé. 

A l’hôpital, ça ne s’est pas vrai­ment arran­gé. J’avais l’impression que l’interne qui s'occupait de moi était per­du. Teddy m’avait rejointe, il avait pu faire gar­der Octave par sa mère. Il se sen­tait impuis­sant. Moi aus­si. On m’a don­né du Spasfon : j’avais fran­che­ment envie de rire. Puis du Doliprane : tou­jours une sacrée envie de me mar­rer. J’avais mal à en cre­ver… On a atten­du un cer­tain temps, sans trop savoir ce qui nous arri­vait. On a effec­tué une écho­gra­phie, la der­nière d’une longue série.

L’interne nous a dit que le bébé allait bien. Et c’était vrai. On l’a vu, tran­quille, dans mon ventre. Saloperie de pro­grès d’imagerie médi­cale. Qui nous a mon­tré notre bébé tel­le­ment de fois. Etant don­né que j’avais des pertes de sang au bout d’un mois et demi de gros­sesse, j’en ai fait des écho­gra­phies. On a eu le temps de se pro­je­ter. On l’a sur­nom­mé Numérobis. Merci Alain Chabat.

La fausse couche

Aux urgences, le 28 décembre, à 6 heures du matin, une sage-​femme nous a dit qu’on ris­quait la fausse couche : « Votre col est bien fer­mé, mais d’expérience, je pense à une fausse couche. » C’est la seule per­sonne qui nous l’a dit. On l’a écou­tée sans l’entendre. En tout cas, je n’ai jamais envi­sa­gé une fausse couche.

Jusqu’à 15h30, j’ai hur­lé de dou­leur. Je me suis mor­due, arra­ché les che­veux. J’ai vomi. Et j’ai tel­le­ment pleu­ré. J’ai dit à Teddy que j’allais me taper la tête dans le mur. Ce n’était pas une parole en l’air. Il a alors sup­plié l’équipe soi­gnante : « Excusez-​moi, mais ma com­pagne s’automutile. Vous pou­vez faire quelque chose ? »

J’ai fini par avoir de la mor­phine, au bout de 12 heures. Trop sym­pa… Je crois que vers 15h, je n’avais plus de contrac­tions. A ce moment-​là, on a cru, Teddy et moi, que le pire était pas­sé. J’ai pro­po­sé à Teddy de ren­trer se repo­ser, « moi, ça va aller. »

Effectivement, j’allais mieux, car je n’avais plus mal. Je me suis même levée seule pour aller aux toi­lettes. Lorsque je me suis assise pour uri­ner, j’ai sen­ti que le bébé sor­tait. J’ai contrac­té pour l’en empê­cher mais c’était trop tard. J’ai regar­dé entre mes jambes et j’ai vu son pied. Son pied, putain ! J’ai hur­lé, j’ai pleu­ré. Impossible de mettre la main sur le putain de bou­ton d’urgence.

Alors, je ser­rais tou­jours. C’était d’une telle vio­lence. Mais je ne pou­vais plus le rete­nir, il fal­lait qu’il sorte. Je l’ai lais­sé tom­ber dans les toi­lettes, lit­té­ra­le­ment comme une merde. Je n’ai pas pu le prendre ni le regar­der. Impossible. Je n’étais plus que cris. On rede­vient vrai­ment des ani­maux à ces moments-là.

J’ai ouvert la porte de ma chambre en hur­lant. J’ai enfin réus­si à appuyer sur le bou­ton d’urgence de mon lit. J'ai expli­qué aux sages-​femmes que mon enfant était dans les toi­lettes. L’une d’elle est allée le chercher.

Moi, j’étais sous le choc. J’ai écrit un SMS à Teddy. Je lui ai dit que j’étais déso­lée. Pour mon bébé, pour Teddy, pour Octave et pour moi.

C’était un petit garçon

Comme la vie est bien faite. Après une fausse couche, on vous des­cend en salle d’accouchement. Là où j’ai accou­ché de mon pre­mier enfant et là où, au même moment, d’autres couples deviennent des familles.

J’ai encore subi une écho­gra­phie. J’ai vu que mon ventre était vide. C’est très choquant.

Les sages-​femmes ou infir­mières pré­sentes ont été très gen­tilles, et me disaient « vous êtes très cou­ra­geuse. » C’est con mais c’était impor­tant de l’entendre à ce moment.

J’ai échap­pé au cure­tage car Numérobis avait fait les choses cor­rec­te­ment. Ce gamin avait vrai­ment l’air cool. Aux écho­gra­phies, il a tou­jours eu l’air pei­nard : à essayer d’attraper la manette de l’écho ou les mains posées der­rière la tête comme un pacha.

Une pédiatre est venue me voir pour me dire qu’elle avait aus­cul­té mon bébé, qu’il allait bien, et qu’il n’y avait rien d’anormal à l’examen. Ça, c’est dur aus­si. Tu viens à peine de don­ner nais­sance à un bébé en bonne san­té mais non viable et on te dit qu’il allait bien. Ça fout sacré­ment le bordel.

Teddy est arri­vé. On a pleu­ré. On est res­té un moment en salle de tra­vail. Il a déci­dé d’aller voir le bébé. Moi, j’ai refu­sé. Il vou­lait aller lui dire au revoir pour nous : « Il a été notre bébé pen­dant quatre mois. Il a exis­té dans nos cœurs et nos pro­jets, il faut que je le fasse pour nous. » J’étais inquiète pour lui, mais il y est allé. Je pense qu’il a pleu­ré devant notre enfant.

Pendant ce temps, une sage-​femme est venue me voir. Sans le savoir, elle m’a appris que j’attendais un petit gar­çon. Ça m’a blessée.

Teddy est reve­nu. Il a dit que le bébé avait le petit nez d’Octave, qu’il était tout rouge mais bien formé.

J’ai aus­si­tôt regret­té de ne pas être allée voir Numérobis. La psy­cho­logue que j’ai vue après m’a dit qu’il fal­lait que je res­pecte mon choix de l’instant, que j’étais trop cho­quée, que c’était au-​dessus de mes forces à ce moment-​là. Je crois que c’est vrai. Il n’empêche que je regrette de ne pas lui avoir dit au revoir, moi aussi.

Je suis res­tée col­lée à Teddy jusqu’à son départ. Bizarrement, cette nuit-​là, j’ai bien dor­mi à l’hôpital. Bien sûr, à chaque éveil, j’ai pleu­ré mais je me sen­tais repo­sée au réveil. Cette ambivalence-​là est com­pli­quée. Parfois, j’aurais vou­lu avoir des com­pli­ca­tions, que mon état phy­sique soit grave lui aus­si, contrai­re­ment à ma détresse invisible.

La détresse de Teddy, elle, est peu visible. Il veut être le roc sur lequel je m’appuie. Je lui suis très recon­nais­sante. Et en même temps, j’ai peur pour lui et pour nous. Pour lui, parce que je ne veux pas qu’il garde tout en lui, et pour nous parce que je suis tel­le­ment vul­né­rable, laide et absente. Et j’ignore com­bien de temps ça va durer.

Tous res­pon­sables, moi la première

Je suis sor­tie de l’hôpital le len­de­main. Octave était chez la mère de Teddy, ce der­nier est venu me cher­cher. On est donc ren­trés tous les deux .

J’étais juste une boule de pleurs qui conti­nuait de se vider de son sang. Aller aux toi­lettes était hor­rible car je per­dais des caillots et tout me rame­nait à mon bébé. J’ai vrai­ment pleu­ré pen­dant une semaine de façon incon­trô­lable. Le mot incon­trô­lable résume par­fai­te­ment la situa­tion, tout était hors de contrôle, mon corps, mes nerfs, ma vie.

Je ne vou­lais voir per­sonne et j’étais inca­pable de tenir une conver­sa­tion. Absolument tout me ren­voyait à la fausse couche. Nous n’avons regar­dé que Harry Potter pen­dant quatre jours. Ces his­toires de sor­ciers et de mol­dus m’ont per­mis de ne pas pen­ser, et c’était bien là l’essentiel.

Teddy avait annon­cé à nos familles que nous avions per­du le bébé. C’était dur. Je ne pou­vais pas leur par­ler. J’avais trop de peine. Pour les autres, on s’en est char­gé au fur et à mesure. J’ai com­men­cé à l’annoncer par tex­to au bout d’une semaine. J’étais tel­le­ment inca­pable d’en par­ler qu’il m’a fal­lu ce sas.

Puis, il y a tou­jours ces conne­ries de bien­séance. Entre un « Joyeux Noël ! » et une « Bonne année ! » c’est quand même com­pli­qué de répondre : « Moi, j’ai fait une fausse couche, je suis à deux doigts de la ten­ta­tive de sui­cide, mais tous mes vœux, bande de bâtards ! »

Octave est reve­nu à la mai­son quatre jours après que j’ai per­du Numérobis. Il a remis plus de vie et de gaie­té à la mai­son mais il m’exaspérait beaucoup.

Je lui en ai vou­lu à un moment de m’avoir « acca­pa­rée » donc « détour­née » de ma gros­sesse et ain­si contri­bué à la perte du bébé. On pense des choses très dures quand on va mal. J’ai ren­du tout le monde res­pon­sable de ma fausse couche et moi, la pre­mière. Faut bien en vou­loir à quelqu’un vu que rien n’a de sens !

J’ai beau­coup engueu­lé Octave la pre­mière semaine. Il ne me lais­sait pas tran­quille, je le trou­vais pénible. Je crois fina­le­ment qu’il vou­lait m’occuper. Si j’étais occu­pée avec lui, je n’étais pas occu­pée à chialer.

On lui a expli­qué, Teddy et moi, qu’il ne serait plus grand frère, que le bébé n’était plus là. On lui a dit notre tris­tesse. Il a enten­du et com­pris me semble-​t-​il. Il a répon­du : « moi, je ne suis pas triste. »

J’ai trou­vé ça sain. Comment pourrait-​il être triste pour quelque chose d’aussi abs­trait ? En plus, je ne crois pas que j’aurais pu sup­por­ter ses pleurs et le conso­ler. A la place, je l’ai affec­tueu­se­ment trai­té de sociopathe.

Ce jour-​là, une per­sonne de l’état civil de l’hôpital m’a appe­lée. Elle vou­lait savoir si on sou­hai­tait recon­naître notre enfant. Dans le cas d’une fausse couche consi­dé­rée comme tar­dive au regard des stan­dards médi­caux fran­çais, on peut ins­crire son bébé mort sur le livret de famille et orga­ni­ser des funé­railles. On ne le sou­hai­tait pas, dans le sens où il n’était pas assez mature pour vivre, il n’a pas exis­té au sens propre. Il fait par­tie de notre his­toire pour tou­jours, mais pas de l’histoire de l’administration fran­çaise. Ça aurait aus­si impli­qué de lui don­ner un pré­nom. Or, pour nous, il était Numérobis, notre deuxième enfant pour lequel nous avions tout le temps de trou­ver un prénom.

La vie conti­nue tant bien que mal

15 jours après la fausse couche, j’ai essayé de reprendre contact avec le monde réel. Ayant été ali­tée, je n’étais pas sor­tie depuis deux mois. C’était une expé­rience étrange, je me sen­tais si peu connec­tée. Je détes­tais bien sûr les femmes enceintes et les nour­ris­sons. D’ailleurs, les pleurs de nour­ris­sons m’étaient réel­le­ment et phy­si­que­ment insupportables.

Je par­lais aux gens en étant au bord des larmes, mais je m’en fou­tais. J’ai réus­si à ne balan­cer aucun gosse ou femme enceinte dans la Deûle [cette rivière qui prend sa source à Carency, tra­verse toute la région des Hauts-​de-​France en pas­sant notam­ment par Lille et Lens, ndlr], ce qui est un sacré exploit.

J’ai repris acti­ve­ment la clope et le cham­pagne, ques­tion de principe.

Ma gyné­co m’a mise en arrêt 15 jours. J’avais envie de lui dire : « Waouh ! Tout ça !? Putain, j’ai juste accou­ché mon bébé dans les chiottes, mais ça va aller, mer­ci ! ». Mais, cet arrêt s’est avé­ré néces­saire, et j'ai deman­dé à ce qu'il soit prolongé.

Après une fausse couche, on perd toute confiance en soi. J’étais si sûre d’avoir un bébé, de pour­suivre notre pro­jet de famille avec des enfants qui n’auraient pas trop d’écart comme on l’imaginait. Mon corps m’a tra­hie. Il a reje­té le bébé que je por­tais. Je n’ai rien pu y faire. J’ai subi.

Plus tard, une psy­cho­logue est par­ve­nue à me faire entendre que mon corps ne m’avait pas tra­hie mais sau­vée. Je le savais, mais pen­dant les six mois après la fausse couche, mon intel­lect et mes émo­tions n’étaient pas du tout rac­cord. J’arrivais à prendre du recul sur la perte du bébé, mais je n’arrivais pas à être joyeuse, la tris­tesse pre­nait le des­sus sur tout.

Si vous connais­sez le film d’animation Vice ver­sa, c’est comme si le petit bon­homme de la colère dans mon cer­veau pas­sait son temps à dire au bon­homme de la tris­tesse : « mais t’es com­plè­te­ment con ou quoi ? Il est par­ti, c’est comme ça ! Arrête de chialer ! »

Je savais que le méca­nisme ayant conduit à la fausse couche était inévi­table, et même sou­hai­table au final, puisque, sinon l’infection se serait déve­lop­pée, mais je n’arrivais pas à digé­rer cette information.

La reprise d’une vie sexuelle est un pas. Un pas dif­fi­cile en ce qui me concerne. Les contacts phy­siques ont été éprou­vants, car tou­cher l’autre, c’est se ser­vir de son corps. Un corps qui me dégoûte. Il est laid. J’ai un ventre de femme enceinte, une peau de merde, et je suis grosse.

Me rap­pro­cher de Teddy, c’était devoir me rap­pro­cher de moi, et quand on s’inspire un tel dégoût, c’est pas gagné. Exprimer cette idée du dégoût à son par­te­naire, c’était pour moi prendre le risque qu’il en convienne.

En plus de la culpa­bi­li­té que je res­sens suite à la perte de mon bébé, j’ai eu la bonne idée d’ajouter une seconde rai­son de culpa­bi­li­ser. Je pense sou­vent que c’est mieux que mon bébé soit mort, car j’aurais été inca­pable d’élever deux enfants. C’est une pen­sée hor­rible qui contri­bue à se trou­ver laide.

Entre 15 à 20 % des gros­sesses se sol­de­raient par une fausse couche. Pour le corps médi­cal, une fausse couche, ce n’est pas grave. C’est, en tout cas, ce que j’ai res­sen­ti. Effectivement, phy­si­que­ment, on se remet rela­ti­ve­ment vite. On saigne comme une truie, on se purge, et on n’en parle plus…

Mais la vio­lence psy­cho­lo­gique, parlons-en.

« T’en auras d’autres »

La vio­lence psy­cho­lo­gique est par­tout. Elle est dans les « t’en auras d’autres ! », dans les « rien n’empêche une nou­velle gros­sesse », dans les « aucun pro­blème avec le fœtus, ce qui vous est arri­vé est très rare, ça ira. »

Lorsque j’étais à l’hôpital, pen­dant mes contrac­tions, une infir­mière m’a par­lé d’Octave. Elle vou­lait me faire pen­ser à autre chose, et sur­tout à du posi­tif. C’était une très mau­vaise idée. Beaucoup de gens le font : « Il faut pen­ser à autre chose, se concen­trer sur Octave… » Putain ! C’est vrai­ment très con.

« Ah ok, mon bébé est mort, je ne sais pas pour­quoi, je ne le ver­rais jamais, je n’ai pas été fou­tue de le tenir dans mes bras, et on me dit de pen­ser à mon mer­veilleux petit gar­çon ? Alors que je suis triste aus­si pour lui, qui ne sera pas grand frère ? »

On ne peut pas se conso­ler d’un enfant mort, unique, en se concen­trant sur le pre­mier. On est triste, c’est tout. Dévasté à cer­tains moments.

Mon enfant n’a jamais vécu. Je dois faire le deuil d’un enfant qui n’a jamais exis­té ailleurs que dans mes entrailles et nos cœurs. Octave est là, et bien là. Il est beau, drôle et intel­li­gent. Il était fier de deve­nir grand frère… Combien de fois j’ai eu les larmes aux yeux en croi­sant une famille avec deux garçons ?

Un enfant vivant ne per­met pas de com­pen­ser un enfant mort, et puis c’est tout. J’ai deman­dé à l’infirmière d’arrêter de m’en par­ler. Dans ma tête, je hur­lais « TA GUEULE !!! » mais je par­viens à gro­gner ça poliment.

Après la fausse couche par contre, je me tai­sais, lorsqu’on me disait : « Vous avez déjà un petit gar­çon ! » A quoi bon ? Je n’avais plus de rai­son de me battre. Chacun pense ce qu’il veut. Personnellement, je les emmerde. Je leur réponds ce qu’ils veulent entendre.

Survivre

J’ai par­fois vou­lu expri­mer mon impuis­sance en me bar­rant. Tout réin­ven­ter pour oublier. Pendant mon arrêt mala­die, j’ai lu le livre : Partir de Tina Seskis (édi­tions Le Cherche Midi, 2015). Cette his­toire tra­gique a beau­coup réson­né en moi. Je n’avais pas ache­té ce livre par hasard, il reflé­tait mon état d’esprit, je n’arrivais pas à vivre mon pré­sent. Alors, voir une femme le réa­li­ser dans une fic­tion a eu pour moi quelque chose de réconfortant.

J’ai lu éga­le­ment Une Fausse couche et après, de Micheline Garel et Hélène Legrand (édi­tions Albin Michel, 1995). C’est un livre qui me paraît rela­ti­ve­ment froid mais qui a le mérite de ten­ter de répondre à chaque cas de figure des fausses couches, si vastes. Il per­met de prendre du recul et de s’appuyer sur le res­sen­ti d’autres femmes. Il ne faut pas res­ter seule après une fausse couche et dépas­ser le tabou des trois pre­miers mois. On a le droit d’être mal­heu­reuse après la perte d’un bébé à un mois de gros­sesse. On a même le droit de dire bébé au lieu de fœtus parce qu’on n’est pas méde­cins, merde.

J’ai dû tra­vailler pour reve­nir et je tra­vaille pour être là. Numérobis fait encore par­tie de mon pré­sent même si Teddy a besoin de le mettre plu­tôt dans le pas­sé. Je ne veux pas res­sas­ser et me com­plaire dans le mal­heur mais c’est ma réalité.

Une fois le terme pré­vu de la gros­sesse pas­sé, je trouve que mon état s’est amé­lio­ré. J’étais fina­le­ment allée au bout de cette période, et j’ai sur­vé­cu. Survivre, c’est par­fois le mot. Parce que je me suis sen­tie « sur » ma vie, à côté, déta­chée. J’ai sou­vent dû me rame­ner par la main, prendre la petite bulle qui flot­tait au-​dessus de moi, et la rame­ner vers le réel.

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« J’ai mis tout ce qui concerne Numérobis dans une belle boîte.
Je pen­se­rais tou­jours à lui, alors autant que je sache où il est. » © DR

Trois mois après la fausse couche, on a eu rendez-​vous à l’hôpital pour en connaître la cause. La pre­mière hypo­thèse des méde­cins était la bonne. J’avais un héma­tome qui a cau­sé une infec­tion. Du coup, à ce qu’il paraît, comme le corps, cette machine fonc­tionne bien, bah il a sor­ti l’infection et le bébé. C’est beau la vie !

Je suis allée à cet entre­tien sur­tout parce que à ma sor­tie d’hospitalisation, les sages-​femmes m’avaient dit que j’aurais lors de ce rendez-​vous le bra­ce­let de nais­sance de mon enfant et un DVD de photos.

Je les vou­lais. Teddy et la gyné­co­logue n’étaient pas hyper flex, voire oppo­sés à l’idée que je les prenne.

Moi, je m’en fou­tais, je les vou­lais. C’est fou au final, qu’on soit enceinte, ou qu’on ait per­du le bébé, on veut encore déci­der pour nous.

Je les ai eus. Elle a sou­hai­té m’examiner. J’ai dit non, j’étais venue par­ler, pas subir.

Je n’ai tou­jours pas regar­dé les pho­tos. Peut-​être que je ne les regar­de­rais jamais. J’ai mis tout ce qui concerne Numérobis dans une belle boîte. Je pen­se­rais tou­jours à lui, alors autant que je sache où il est.

La perte d’un bébé change pro­fon­dé­ment une femme. Je suis à fleur de peau mais je n’en ai pas honte. Je l’assume. Je me sens plus soli­taire aus­si, et plus son­geuse. J’ai beau­coup son­gé à vivre en autar­cie d’ailleurs. Je me fous de plus de trucs qu’avant.

On a essayé autant que pos­sible que Numérobis ne soit pas un sujet tabou. Numérobis, c’est nous, c’est notre famille. On en parle à nos proches.

J’ai bien res­pec­té le prin­cipe à la con vou­lant qu’on annonce sa gros­sesse après les trois mois « à risque ». J’ai même jugé celles qui l’annonçaient très tôt. Alors qu’au final, une gros­sesse qu’on annonce tôt, qu’elle aille au terme ou non, c’est pas mieux que nos proches soient au cou­rant ? N’est-ce pas dans ces moments qu’on a besoin du sou­tien de notre famille, des amis et collègues ?

J’ai pu comp­ter sur les marques de sym­pa­thie, et la bien­veillance de mes col­lègues à mon retour. Plusieurs d’entre elles m’ont confié avoir vécu une fausse couche éga­le­ment, on se sent moins seule, et un peu moins moche.

J’ai pleu­ré sou­vent. Je pleure encore par­fois. Il m’a fal­lu six bons mois pour ne plus pleu­rer de façon quotidienne.

J’ai repris le bou­lot un mois après avoir per­du mon bébé. J’avais encore des sai­gne­ments. Du 10 novembre 2018 au 28 jan­vier 2019, j’ai sai­gné, par­fois beau­coup, par­fois peu. Avec tou­jours cette même peur en allant aux toi­lettes, cette crainte à chaque perte de sang et après la fausse couche, ces pertes de sang, comme une piqûre de rappel.

Se recons­truire

En mai, j’étais tel­le­ment triste que j’ai été voir une sage-​femme spé­cia­li­sée en sophro et sur le tra­vail des émo­tions après une fausse couche. Je vou­lais sor­tir de mon état dépres­sif. Manque de pot, le pre­mier rendez-​vous a eu lieu dans une mater­ni­té. Pour un sym­bole, on a vu mieux. Ceci dit, cette pro­fes­sion­nelle a ver­ba­li­sé la vio­lence d’une fausse couche, et ça m’a beau­coup aidée.

Elle m’a conseillé éga­le­ment des actions sym­bo­liques telles que gra­ver le nom de Numérobis sur un bâton avant de le brû­ler et de répandre les cendres. Elle m’a pro­po­sé d’imaginer accou­cher de lui ailleurs que dans les chiottes.

Teddy a été très patient et à l’écoute de mes émo­tions. J’avais le droit d’aller mal. C’est un droit important.

Six mois après la fausse couche, deux émo­tions res­tent. La culpa­bi­li­té d’une part. J’estime sin­cè­re­ment que j’aurais pu faire plus atten­tion. Teddy sait tout ça et voit mon mal-​être. Une fausse couche, pour ce qui nous concerne, a sacré­ment sou­dé le couple mais ça a aus­si sacré­ment fou­tu le bor­del. Quelle place laisse-​t-​on aux hommes, aux pères en deve­nir dans cette his­toire ? On n’est déjà pas sûr de la place qu’on doit lais­ser aux femmes…

La vio­lence, d’autre part. Celle d’avoir lais­sé tom­ber mon bébé dans les toi­lettes. J’ai essayé de le rete­nir comme pour l’empêcher de mou­rir. Je me suis beau­coup excu­sée auprès de lui. J’essaie de dépas­ser l’envie de mou­rir que j’ai res­sen­tie. Teddy et Octave m’aident beau­coup. J’essaie de m’aider aussi.

Un an après être tom­bée enceinte pour la deuxième fois, j’ai retrou­vé de la confiance en moi, ça c’est cool. J’ai gar­dé mes kilos de gros­sesse fic­tive, ça c’est beau­coup moins cool.

Je gueule moins sur Octave. Je suis pas Maria Montessori non plus, faut pas exa­gé­rer, mais je cor­res­ponds plus à mon idée de ce qu’est une maman. Enfin, j’ai quelqu’un à mes côtés à qui je peux expri­mer mes doutes et mes peurs, mes joies et mes envies, et c’est bien là le principal.

J’ai vu la psy­cho­logue quatre à cinq fois. Elle m’a aidée à limi­ter mes mono­logues inté­rieurs. J’ai vou­lu arrê­ter car j’avais le sen­ti­ment que j’allais la voir uni­que­ment par rap­port à la fausse couche.

Je chia­lais presque à l’idée d’y aller… Je ne sais pas si j’ai eu rai­son d’arrêter, et j’espère que si j’ai besoin, je m’autoriserais à l’appeler. De toute façon, lorsque je lui ai dit au revoir, j’ai dit que je l’appellerais pour qu’elle fasse la pré­face de mon livre. En réa­li­té, si une per­sonne devait rédi­ger cette pré­face, ce serait Teddy. Qui mieux que lui pour­rait intro­duire ce que nous avons vécu ?

Numérobis aurait eu un an en mai 2020. Quel petit gar­çon aurait-​il été ? Facétieux comme son grand frère, j’imagine. Je ne le sau­rais jamais.

J’ai appris beau­coup de choses sur qui je suis, qui je sou­haite être et quel monde j’emmerde. J’ai réa­li­sé à quel point l’humain est fort, incroya­ble­ment rési­lient, et plein d’empathie. Je suis contente d’avoir pu cou­cher mes émo­tions sur le papier, et d’en avoir fait une histoire. »

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