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Clara Luciani (Wikimedia Commons/ Selbymay)

Clara Luciani, Angèle, Camille Lellouche… Les vio­lences conju­gales, un sujet de plus en plus abor­dé dans la musique

De Clara Luciani à Camille Lellouche, de plus en plus de chanteuses osent parler, chacune à sa manière, des violences conjugales, à travers des chansons puissantes et engagées, reflétant l'importance qu'a pris ce sujet dans la société.

« Tu aimais me peindre les joues en bleu/Tu aimais les jolies choses/Le tableau te plaisait teinté d’ecchymoses. » Avec son titre Soleil noir, dont le clip est sorti ce mardi 18 janvier, la chanteuse Pauline Bisou dépeint, dans un texte poétique et cathartique, la relation toxique qu'elle a vécue, glissant par petites touches des allusions aux violences physiques qui en découlait.

L'artiste de 35 ans a écrit ce texte « d'une traite », peu de temps après avoir mis fin à sa relation. « Émotionnellement, c'était très fort. Je n'ai pas réfléchi. Il s'agissait d'un acte instinctif, thérapeutique, vital. Je suis très peu revenue sur les paroles. Je voulais en parler, sans être trop frontale, pour que le plus de monde puisse l'écouter », a-t-elle raconté à Causette.

Comme elle, de nombreuses chanteuses francophones ont abordé, ces derniers mois, la thématique des violences conjugales dans des chansons très différentes, tant du point de vue de l'écriture que de la musicalité. Camille Lellouche, avec son morceau autobiographique N'insiste pas. Clara Luciani et son titre Coeur, qui donne son nom à son deuxième album. Ou encore Angèle, avec Tempête, issu de son nouveau disque Nonante-Cinq sorti en décembre.

« Les chansons fixent l'air du temps »

« Il s'agit d'un thème qui est de plus en plus représenté en musique, mais ce n'est pas totalement nouveau », explique à Causette Céline Pruvost, maîtresse de conférences dont les travaux portent sur la chanson en langues italienne et française. En 1998, la Québécoise Lynda Lemay, dans son album éponyme, parlait déjà des violences conjugales avec son titre Pourquoi tu restes ? : « Pourquoi tu restes?/Si j'vaux pas grand-chose/Si j'suis qu'un bout de chair/Et un tas d'ecchymoses ».

Plus récemment, avant la vague Me Too, les rappeurs toulousains BigFlo et Oli abordaient également ce sujet dans leur chanson Dommage, écrite avec Stromae et issue de leur deuxième opus La Vraie Vie, sorti en juin 2017. Le quatrième couplet évoque ainsi Pauline, une femme « discrète », qui « a sur tout le corps des tâches de la couleur du ciel » : « Son mari rentre bientôt, elle veut même pas y penser/Quand il lui prend le bras, c'est pas pour la faire danser/Elle repense à la mairie, cette décision qu'elle a prise/À cette après midi où elle avait fait sa valise/Elle avait un avenir, un fils à élever/Après la dernière danse, elle s'est pas relevée ».

D'autres morceaux intégraient aussi de manière plus large les violences faites aux femmes, comme l'Aigle Noir de Barbara (1970) sur l'inceste, Douce Maison d'Anne Sylvestre (1978) sur le viol ou Noxolo de Jeanne Cherhal (2014) sur le féminicide d'une femme lesbienne. Mais, depuis 2019, Céline Pruvost note une accélération de l'apparition des chansons sur les violences conjugales, en lien avec un effet #MeToo et la place plus grande du féminisme dans la société, portant notamment les thématiques du corps et de l'intime dans les réflexions féministes. « Les chansons fixent l’air du temps et se saisissent des sujets qui irriguent la société », souligne-t-elle.

Trouver le bon ton

Pour Clara Luciani, c'est ainsi la prise de parole grandissante sur les violences conjugales, et la triste réalité de l'augmentation des féminicides, qui l'ont poussée à agir. « Le déclic s’est produit en suivant sur Instagram l’association Nous Toutes, qui recense les violences sexistes, raconte l'interprète de La Grenade au Journal du dimanche (JDD). Les chiffres sont impressionnants. On les voit gonfler de jour en jour, avec un sentiment d’impuissance totale. [...] Je voulais parler de ces drames que l’on appelle encore trop souvent "crimes passionnels", une expression qui me rend dingue. »

La jeune femme de 29 ans, qui estime écrire et composer généralement assez vite, s'est heurtée à quelques difficultés dans l'élaboration de Cœur, en raison de la gravité du sujet. « C'était très dur pour moi de trouver le bon ton pour en parler. Parce que rien ne me semblait suffisant : les mots, parfois, semblent tous trop faibles pour exprimer des horreurs pareilles », explique-t-elle à Marie Claire.

C'est vers un texte poétique, avec des formules marquantes (« L'amour ne cogne que le cœur » et « L'amour n'a jamais tué personne/Et les seuls coups que l'amour pardonne/Sont les coups de foudre »), que s'est finalement dirigé l'auteure-compositrice-interprète, choisissant un rythme à la fois rock et disco, pour mettre en valeur ses mots.

Le bleu, un motif commun

Angèle a également écrit et composé Tempête après avoir vu « les chiffres des féminicides exploser » lors du premier confinement. « J’ai eu envie d’écrire pour les victimes, mais aussi parce que c’est un problème public et politique. Je veux continuer d’écrire des chansons féministes, car je le suis, et je soutiens ce combat dans ma vie de tous les jours », explique-t-elle au Parisien.

L'artiste belge de 26 ans raconte, le temps d'un titre épuré, une histoire de relation violente et toxique, invisible aux personnes extérieures au couple. Elle utilise des mots simples mais bien choisis, centrés autour de l'image très parlante de la tempête et de son champ lexical : « Encore une tempête, encore une alerte/L'orage la guette et s'abat sur elle/Encore une tempête, encore une alerte/Sa rage la guette ».

Le mot « bleu », et ses différents sens, est également présent dans son texte (« Les bleus, c'est rien, c'est juste une belle couleur/Plus douce que celle de ses yeux/Quand il se met en colère »). « Un fil rouge » commun aux titres sur les violences conjugales, note Céline Pruvost. C'est en effet le cas pour la plupart des chansons citées dans cet article, comme Pourquoi tu restes ? (« Ecchymoses »), Dommage (« Elle a sur tout le corps des tâches de la couleur du ciel ») et Soleil noir (« Tu étais le soleil noir, le soleil noir de mes nuits/Qui m’enveloppait de maux bleus que je cachais à l’ennemi »).

"Devoir de l'artiste"

Avec N'insiste pas, Camille Lellouche se démarque des autres artistes. Elle chante des paroles plutôt dures et directes, sur un contrastant piano-voix, répétant à plusieurs reprises à la fin de la chanson : « Tu m'as cassé la gueule ». « On ne peut pas faire plus clair. À un moment ça suffit, les mots simples sont importants, il faut dire les choses comme elles sont. Quand on te casse la gueule, on te casse la gueule. Donc disons-le », lançait-elle sur Europe 1.

La chanteuse et humoriste, qui a elle-même vécu une relation violente et toxique, estime, toujours sur cette radio, que « les langues commencent à se délier, on en parle de plus en plus, mais pas encore assez ». D'où cette volonté d'écrire une chanson « pour ces femmes qui n'arrivent pas à partir ou qui y arrivent tard ». « C'est tellement horrible que je ne peux pas ne pas me battre contre ça », résume-t-elle avec émotion.

Camille Lellouche pointe aussi du doigt le « devoir de l'artiste » de transposer en musique ce sujet de société et d'incarner un « modèle » pour une partie du public. Une position que partagent Angèle et Clara Luciani, cette dernière affirmant à Paris Match : « On me tend un micro, je suis plus écoutée que la plupart des gens et, du coup, c’est bien de faire quelque chose de ce temps d’écoute. Effectivement, je parle de moi, mais j’aimerais aussi que mes chansons puissent aider. [...] Quand vous êtes une jeune femme au milieu d’une histoire nocive, si vous tombez sur une fille comme moi qui vous martèle ce message, ça peut vous aider à vous libérer. »

Lire aussi : Relations toxiques : « Soleil noir », le premier titre cathartique de Pauline Bisou

Pauline Bisou se félicite de voir toutes ces chanteuses aborder aujourd'hui les violences conjugales. « La parole se libère, on ressent toutes le besoin de parler au même moment. On se sent enfin légitimes et libres de le faire. Ce qui n'était pas le cas il y a encore quelques années », se réjouit-elle, soulignant l'importance de la musique pour faire avancer les choses autant sur un plan personnel que collectif.

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