"Avec le temps, j'ai appris à enle­ver mes bar­ri­cades" : notre inter­view "love" avec Eddy de Pretto

La solitude du célibat, l'ivresse des relations amoureuses, la difficile acceptation de soi... Eddy de Pretto passe au crible l'amour sur son troisième album Crash Cœur. Il s'est confié à Causette sur son rapport au sentiment amoureux, sur sa façon de se comporter en couple et sur sa quête d'amour de lui-même.

Eddy de Pretto ©Jesus Leonardo 3 1 1
© Jesus Leonardo

Sur la pochette de son troisième album Crash Cœur, Eddy de Pretto apparaît en gros plan en train de lécher une sucette en forme de cœur, comme en extase. Le chanteur annonce la couleur : ses treize nouveaux morceaux parleront d'amour. Mais il ne s'agit pas d'un amour mièvre, dégoulinant de bons sentiments. Comme à son habitude, l'artiste utilise son écriture, tour à tour poétique et clinquante, pour disséquer tous ses à-côtés : la solitude du célibat, les relations tarifées, le difficile amour de soi... Quand on le rencontre dans les locaux de l'agence d'artistes Grand Musique Management, dans le 10e arrondissement de Paris, Eddy de Pretto, amusé par le manège autour de l'installation de notre matériel vidéo (un entretien filmé sera publié dans quelques jours sur notre page Instagram) essaie de deviner nos signes astrologiques. Lui est taureau. "Je suis très autoritaire", rigole-t-il. Si on n'a, malheureusement, aucune question horoscope à lui proposer, le jeune trentenaire s'est tout de même prêté avec entrain à nos interrogations love.

Causette : Après avoir ausculté de nombreux sujets sociétaux à travers votre musique, vous vous êtes tourné vers la thématique de l’amour. C’est encore possible, après tant de chansons d’amour, d’écrire là-dessus ? Comment se renouveler ?
Eddy de Pretto : Quand je me suis rendu compte que j'avais écrit pas mal de chansons qui traitaient des sentiments, de la quête de soi, je ne me suis pas du tout demandé si ça avait déjà été fait ou pas. Assez rapidement, je me suis posé la question de savoir comment moi j'aimais. Peu importe les milliards d'histoires d'amour qui existent. C'est le point de vue qu'on y met le plus important : d'où ça vient, d'où ça part, qui parle... Cette thématique m'intéressait car elle me permettait d'analyser quel genre d'émotion, quel genre de sentiment, quel genre d'amour j'avais en moi. De là est arrivé Crash Cœur. J'y parle d'un amour parfois tordu, parfois toxique, parfois qui se crashe, qui se tend, dégoulinant. Je trouvais important de ne pas proposer que des chansons d'amour "cui-cui les petits oiseaux". Parce que je crois que je ne suis pas comme ça dans mes relations.

Justement, ça représente quoi l'amour pour vous ?
E.P. : Je viens d'une famille où l'amour, la tendresse, la douceur, n'étaient pas du tout des sentiments faciles. Il s'agissait de mots qu'on ne mentionnait pas. Avec le temps, j'ai appris à enlever mes barricades, mes propres murs, que j'avais érigés pour avancer. Car comme je n'avais connu ni l'amour, ni la tendresse, je m'étais dit que j'allais devoir me construire seul et avancer sans que personne ne puisse m'arrêter. Ce sont mes amis, dans ma vingtaine, qui m'ont dit que j'étais dur, que je filais droit, que je n'étais pas souple. Du coup, le temps est passé, les amours et les relations sont beaucoup passés aussi par là. Et à 30 ans, l'âge de la tendresse, ça fait un peu de bien de se donner ça, de s'autoriser ça, de le comprendre. Ça passe par s'aimer soi un petit peu plus, et puis ensuite, pouvoir aimer les autres.

Que trouvez-vous le plus joyeux dans l'amour ?
E.P. : J'ai envie de dire un truc à la Frenchie Shore [une nouvelle téléréalité trash de MTV, ndlr] : le sexe (rires). Je rigole. Plus sérieusement, ce qui me fait le plus du bien aujourd'hui dans le relationnel, c'est la confiance qui se crée avec une autre personne. Je découvre le fait de maximiser cette confiance mutuelle. Plus les jours passent, plus on peut compter l'un sur l'autre. C'est quelque chose qui est assez nouveau pour moi : avoir confiance en quelqu'un, que ce dernier te fasse confiance en retour, et que ce soit acquis. Plus jeune, je sabotais très vite cela, dans mes relations. Dès que ça devenait "cui-cui les petits oiseaux", je me disais : "Mon petit il faut partir !" (rires). Ce n'est pas simple la confiance. Mais grâce à cet album, qui explore ce thème, j'y gagne.

En parlant de sexe. Est-ce que vous dissociez le sexe et l’amour ? Est ce que vous avez besoin d’aimer pour avoir des relations sexuelles ?
E.P. : Ouh là, c'est intime, ça (rires) ! J'ai une chanson sur cet album, personne pour l'hiver, qui traite un peu de ce sujet : user les corps, mélanger les fluides... J'en ai toujours un peu parlé dans mes albums de cette hyper-sexualité. Elle ne m'a jamais dérangé, ça a toujours été en moi. Peu importe s'il y a de l'amour ou du relationnel, ce sont des rencontres aussi, les corps. Et puis il y a des moments où tu tombes amoureux aussi. Ce n'est pas des choses qui pour moi se mêlent. Ce ne sont, en tout cas, pas les mêmes relations : il existe des relations de corps, et d'autres de cœur.

À lire aussi I “J’adore les femmes, le sexe, mon but c’est de les ouvrir” : la télé­réa­li­té de l’enfer “Frenchie Shore” débarque sur MTV

Quel rapport entretenez-vous avec le célibat, lorsque vous êtes célibataire ?
E.P. :
J'en parle beaucoup dans l'album, de cette extrême solitude. C'est une sensation qui m'a toujours un peu fait paniquer : être soi avec soi-même. J'examine cela dans plusieurs chansons, comme sur les titres maison ou heureux :))), à savoir comment trouver son propre équilibre... J'ai eu un peu de mal. Mais je pense que ça se règle avec le temps.

Est-ce que vous avez eu du mal à vous aimer, comme vous le chantez dans votre titre être biennn ? Est-ce que c’est encore dur de s’aimer en tant que personne queer dans notre société ?
E.P. : J'ai eu beaucoup de mal. Il y a des jours où je me déteste encore beaucoup. Pour plusieurs raisons : la sexualité, mon physique aussi, qui a fait ma singularité. Quand on était au lycée ou même tous les jours, ce n'est pas d'une évidence folle. Même les gens qui ont des physiques normés, je pense qu'ils ont des journées où ils n'arrivent pas à être OK avec eux-mêmes. Je pense que ça arrive un peu à tout le monde. Tenter de s'aimer, c'est une recherche très personnelle et très intime. S'il existe un amour total, complet de soi, je le cherche encore. Je fais tout, au quotidien, y compris avec ma carrière, pour y arriver. Mais quand bien même, j'entends encore des petites voix, parfois, des petites douleurs qui restent.

La musique vous aide dans cette quête d'amour de soi ?
E.P. : Oui, la musique, la reconnaissance des gens, une certaine validation du milieu, tout cela y participe. Dans mes textes, même quand ils traitent de sentiments, il existe toujours une spécificité, quelque chose de différent. Des médias me qualifient de "spécial". D'un côté, je me réjouis de cette spécialité-là, parce que ça me démarque dans un milieu professionnel très prisé. Mais d'un autre côté, ce n'est pas tous les jours facile à porter.

Est-ce que c’est encore dur d’aimer un homme dans l’espace public en 2023 ? De se montrer démonstratif, d’avoir des gestes d’affection ? Ou vous n'êtes pas forcément quelqu'un de démonstratif en soi ?
E.P. :
C'est une question délicate. Un peu comme demander à une femme si elle s'épile les jambes ou les dessous de bras : est-ce que c'est à cause de la société ou est-ce que cela vient d'elle-même ? On ne sait pas à quel niveau la société nous influence ou si c'est vraiment dans notre personnalité. Je ne l'ai jamais su. Dans un monde majoritairement homosexuel, je ne sais pas si j'aurais des marques de tendresse dans la rue. En tout cas, je suis assez pudique, je crois, assez timide, je montre rarement des signes d'attention. Mais je me rends compte aussi que plus je grandis, plus c'est quelque chose dont j'apprends à me foutre aussi, du regard de l'autre. Mais je ne saurais pas dire d'où ça vient, pourquoi c'est là ou pourquoi il y a une crainte.

Le couple classique, monogame qui habite ensemble, c’est une chose à laquelle vous aspirez ? Sur Parfaitement, de votre précédent disque, vous chantez un peu l'inverse ?
E.P. : C'est drôle parce que je me rends compte que plus on grandit, plus on apprend à moins pointer du doigt les choses qui ne nous concernent pas, en tout cas à tolérer un peu plus les choses extérieures. Parfaitement traitait un peu, justement, de cette vie parfaite qui ne me correspondait pas. Mais j'ai toujours été dans l'acceptation des choix des autres. Moi ça n'a jamais été mon objectif de former une famille. Je dirais que je suis plus carriériste. Mais aujourd'hui, une maison à la campagne, en couple, pourquoi pas (rires) ! Je ne sais pas si c'est parce que j'ai 30 ans. Mais je comprends qu'au lieu de rager, il faut comprendre et mettre des choses en place pour aller mieux. L'album tend vers ça, réussir à être en phase avec qui j'ai envie d'être. J'ai l'impression que ça bouge en moi, j'ai un peu moins un côté aigri, c'est appréciable. Ça change en moi, mais je ne sais pas où ça va me mener. Je n'ai, en tout cas, toujours pas envie d'un monospace avec les enfants derrière, comme je le chantais sur Parfaitement.

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