« La Deuxième femme », de Louise Mey : sublime des­cente aux enfers

Louise Mey, autrice de polars engagés et de la pièce Chattologie, offre, avec La Deuxième Femme, son œuvre la plus aboutie : un roman noir saisissant sur les violences faites aux femmes.

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© D. Ipomée

C’est un coup de génie que réalise Louise Mey avec La Deuxième Femme, l’un des romans les plus puissants de cette rentrée de janvier. Déjà saluée par Causette pour ses trois polars féministes et pour son spectacle d’humour, Chattologie, la romancière accompagne ici la lente descente aux enfers d’une femme battue, racontée de l’intérieur. Pourquoi est-ce si haletant ? Parce que Louise Mey câble nos cerveaux de lecteurs et lectrices au fond de la cage thoracique de son héroïne, déroule chaque détail de cette mécanique amoureuse et criminelle de façon si douce et irrémédiable qu’on en vient, nous-mêmes, à nier le danger.

« Il était très important pour moi de raconter cette histoire depuis son point de vue à elle, explique la romancière. Pour chaque femme dont on apprend la mort sous les coups de son mari dans les journaux, il y a une histoire, une emprise qui s’est installée lentement entre la victime et son bourreau. Cela ne se passe jamais du jour au lendemain. C’est ce que je voulais faire sentir à travers l’histoire de cette jeune femme. »

Aveuglement collectif

La jeune femme, c’est Sandrine, trentenaire célibataire qui se déteste, se traite elle-même de « grosse moche » et de « tête de conne ». Un profil type de victime ? Certainement pas pour Louise Mey, qui estime que ce phénomène transcende les milieux sociaux et que toutes les femmes peuvent en arriver là. Non, Sandrine est, comme tant d’autres, façonnée par les stéréotypes dans lesquels elle a grandi. « Elle ne serait sûrement pas tombée dans les bras d’un type aussi dangereux si on ne lui avait pas répété à longueur de temps, comme à beaucoup de femmes, qu’elle n’avait aucune valeur tant qu’un homme ne la regardait pas. »

L’homme en question, ce n’est pas n’importe qui. Les journaux, la télé, tout le monde parle de lui : sa première femme a disparu dans un terrible fait divers. Le veuf éploré est immédiatement présenté comme un héros tragique, érigé en victime par les médias. Et si le coupable, c’était lui ? Louise Mey fait de lui le symbole même de l’aveuglement collectif qui consiste à justifier les actes les plus atroces en les désignant sous le nom de « crimes passionnels ». « Il ne m’intéresse pas, ce type, je ne lui ai même pas donné de -prénom », explique l’écrivaine.

Tabou persistant

À l’heure où le gouvernement a annoncé un plan de lutte contre les féminicides, la romancière, hantée depuis toujours par ce phénomène, considère que la route est encore très longue. Elle réussit à attirer notre attention sur ce qui reste tabou : la violence avant le drame, que seule la littérature peut appréhender d’aussi près. « On ne s’intéresse aux femmes battues qu’après leur mort. Les policiers sont peu ou mal formés pour recevoir la parole d’une femme tant qu’elle n’a pas encore été défigurée par une beigne ; je lis des témoignages de femmes qu’on a renvoyées chez elles, alors qu’en théorie on ne peut pas vous refuser de porter plainte. Quelle est la solution ? Répondre au flic “Merci Monsieur, j’y retourne alors et je reviens quand il m’aura défoncée” ? C’est tout un système qu’il faut reconstruire pour apprendre à repérer la violence à temps. Pour cela, il faut de l’argent. Et l’État n’engage pas les moyens nécessaires. » 

Par son œuvre magistrale, Louise Mey dévoile un pan invisible des violences faites aux femmes et offre une réponse essentielle à toutes celles et ceux qui disent et répètent qu’elles auraient simplement dû partir.

La Deuxième Femme, de Louise Mey. Éditions du masque. 

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