"À la recherche de Jeanne" : un roman gra­phique sai­sis­sant sur la vie fau­chée d'une dis­pa­rue de la Shoah

Zazie Tavitian adapte, avec brio, son podcast À la recherche de Jeanne en un roman graphique du même nom, illustré par la dessinatrice Caroline Péron et publié ce 14 septembre. À la faveur de la découverte d'un carnet de recettes, la journaliste plonge dans la vie de Jeanne Weill, son arrière-arrière-grand-mère, dont elle connaît très peu la vie, si ce n'est qu'elle est morte dans un camp d'extermination.

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(©CALMANN LEVY)

Jeanne Weill avait 58 ans quand elle est morte assassinée au camp d'extermination de Sobibór, en Pologne, en 1943. Elle a eu trois enfants, et a pu connaître une partie de sa descendance avant d'être déportée. C'est à peu près tout ce que savait Zazie Tavitian de son arrière-arrière-grand-mère, dont la vie avait été annihilée par la Shoah. À l'été 2019, Zazie Tavitian découvre l'existence d'un cahier de recettes qui appartenait à Jeanne, en discutant avec sa cousine Racheli, qui habite en Israël. Ce cahier sera le point de départ d'une longue enquête pour la journaliste, par ailleurs passionnée par la cuisine : « La Shoah est comme une grosse tache noire, douloureuse et indélébile. Elle s'octroie le monopole des souvenirs, même ceux qui n'ont rien à voir avec elle. C'est pour cela que l'été dernier, lorsque Racheli m'a parlé d'un livre de recettes qu'elle avait chez elle et qui avait appartenu à Jeanne, que Jeanne avait écrit, j'ai pensé pour la première fois : "Jeanne cuisinait, Jeanne a eu une vie. Avant d'être morte, Jeanne était vivante." »

Ces explications, Zazie Tavitian les donne dans le premier épisode de son podcast À la recherche de Jeanne (Binge Audio), médium qu'elle avait initialement choisi en 2020 pour retracer l'existence de cette lointaine parente. Deux ans et demi plus tard, ses recherches prennent la forme d'un roman graphique, illustré par la dessinatrice Caroline Péron, et publié ce mercredi chez Calmann-Lévy. L'excellent et foisonnant podcast est adapté avec le plus grand soin par les deux femmes, dans des tons pastels et un style de dessin plutôt réaliste, offrant une autre dimension au récit audio déjà captivant. Caroline Péron a pu s'appuyer sur les photographies, lettres, documents et recettes glanés par Zazie Tavitian au cours de son enquête, ainsi que sur un journal tenu par Jeanne pendant plusieurs années, pour redonner vie, avec force et vigueur, à la cinquantenaire fauchée par le si terrible événement historique.

Malgré l'ombre de la Shoah, dont la gravité prend une teinte bleu nuit dans les pages de la bande dessinée, on suit avec entrain les investigations de l'arrière-arrière-petite-fille de Jeanne, entre Israël - où une partie de sa famille s'est installée après la Seconde Guerre mondiale - et Dijon ou encore Paris, où elle retrouvera même l'appartement dans lequel vivait la mère au foyer. La cuisine, élément déclencheur de l'enquête, ponctue le récit à travers des scènes drôles et animées, au cours desquelles Zazie et sa famille essaient de reproduire les recettes de Jeanne : ses pets de nonne, sa charlotte aux pommes et son gâteau au chocolat. L'occasion de discuter, en douceur, de cette dernière, mais aussi de sujets plus personnels, de la transmission ou du judaïsme. En souhaitant rendre hommage à son arrière-arrière-grand-mère, Zazie Tavitian inscrit son podcast et son roman graphique dans la longue lignée des œuvres culturelles cherchant à rassembler les morceaux d'une mémoire que la France a longtemps voulu oublier et taire. Un travail passionnant, cathartique et ô combien nécessaire.

À la recherche de Jeanne, publié le 14 septembre chez Calmann-Lévy, 180 pages, 23 euros

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