Mauvaises filles : « Au Bon Pasteur, la honte, l’enfermement, l’humiliation, la mal­trai­tance avaient pour objec­tif de contrô­ler les corps féminins »

Dans un documentaire droit, digne, puissant, Émérance Dubas donne la parole à cinq femmes placées adolescentes dans des maisons de correction d’une congrégation religieuse.

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Emerance Dubas © Caroel Bellaïche

Causette : Quelle est la genèse de Mauvaises filles ?
Émérance Dubas : Tout a commencé lors de ma rencontre avec l’historienne Véronique Blanchard. Elle rédigeait alors sa thèse de doctorat, Mauvaises filles. Portraits de la déviance féminine juvénile (1945-1958), soutenue en 2016 et publiée en 2019 sous le titre Vagabondes, voleuses, vicieuses. Adolescentes sous contrôle [éd. Les Pérégrines]. Véronique y révèle la violence systémique exercée à l’encontre des adolescentes dites « à problèmes » dans les années 1950 et 1960 en France... En prenant connaissance de ses travaux, j’ai tout de suite cherché à mettre en lumière ces invisibles de l’Histoire sur grand écran. Je devais faire ce film !

Que connaissiez-vous alors des maisons de correction pour jeunes filles, et du Bon Pasteur en particulier, avant de commencer ?
E. M. :
Presque rien ! J’avais vu The Magdalene Sisters, le film de Peter Mullan qui traite d’un sujet similaire dans l’Irlande catholique des années 1960. Mais j’ignorais qu’en France une multitude de filles de la génération de ma mère avaient connu le même sort. J’ai donc été sidérée lorsque j’ai découvert le calvaire des filles mises au ban de la société derrière les hauts murs de la congrégation du Bon Pasteur. Même si j’ai grandi à Angers, la ville où se trouve la maison mère de cette congrégation religieuse, personne n’en parlait dans mon entourage. Il s’agissait d’une histoire collective taboue.

Un silence que vient justement combler votre documentaire, qui s’ordonne autour de la parole de cinq anciennes « mauvaises filles »...
E. M. :
Oui, c’est un film de paroles. Sur la parole. Et ce n’est pas un hasard s’il sort en 2022. Cela fait sept ans que je travaille dessus. J’ai commencé en 2015, mais à l’époque, personne n’en voulait... Jusqu’à #MeToo. Après 2017, j’ai senti un changement, du côté des institutions comme du côté des protagonistes de mon film. Aucune n’a évoqué #MeToo explicitement, mais c’est dans l’air du temps. Je pense aussi qu’elles voulaient rétablir la vérité avant qu’il ne soit trop tard...

Précisément, qu’est-ce qui vous a décidé à choisir Édith, Michèle, Éveline, Fabienne et Marie-Christine, vos cinq grands témoins ?
E. M. :
Disons qu’on s’est choisies les unes les autres ! Ce qui m’intéressait, au départ, c’était de travailler avec des femmes qui ont pu être en colère, mais qui ont dépassé cette colère. Bien sûr, j’avais à cœur de recueillir leur parole, mais je ne voulais pas les enfermer dans leur traumatisme. Ce n’est pas du tout un film de pathos. Au contraire, il est traversé par une grande force de vie !

Diriez-vous de Mauvaises filles que c’est un film politique ?
E. M. :
C’est même un film extrêmement politique ! Mon but, ici, était de montrer en quoi l’intime est politique. La honte, l’enfermement, l’humiliation, la maltraitance avaient pour objectif de contrôler les corps féminins. Ce qui était visé chez ces adolescentes, c’était avant tout leur sexualité. Et bien sûr, au travers de la rééducation des filles jugées « déviantes », le film raconte la place des femmes dans la société française, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1970...

Mauvaises filles, d’Émérance Dubas. Sortie le 23 novembre.

Lire aussi l "She said" et "Saint-Omer" : les immanquables de ce 23 novembre au ciné

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