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Vénus sur la rive, de Wang Lin, présenté au FIFF.

Cinéma en Chine : « L’obscénité, un concept flou qui laisse une large marge de manœuvre aux censeurs »

Spécialiste du cinéma chinois, Bérénice M. Reynaud, à l’occasion de la programmation du FIFF, s’est penchée plus particulièrement sur la situation des réalisatrices. Rencontre.

Causette : Quelle est la situation du cinéma chinois aujourd’hui ? Est-il prolixe ?
Bérénice M. Reynaud 1 : Pour commencer, je tiens à préciser que lorsque je parle ici de cinéma chinois, je parle du cinéma de République Populaire de Chine, que je distingue de ceux de Hong Kong et de Taiwan. C’est un cinéma aussi dynamique que florissant. La fréquentation des salles reste très importante, au point que les blockbusters américains comptent en grande partie sur le public chinois pour rentabiliser leurs productions.

Y a-t-il un cinéma indépendant ?
B.M.R. : Le cinéma indépendant n’est pas en reste en termes de productions, mais est davantage diffusé à l’étranger en raison des sujets qu’il aborde, mais aussi parce que le réseau de cinémas d’art et essai n’est pas encore très important dans le pays.

Est-il davantage l’objet de censure que les autres arts ? Et qu’auparavant ?
B.M.R. : Le cinéma est un médium qui a toujours été l’objet de l’attention du Parti Communiste Chinois (ou PCC, l’Etat-Parti qui dirige le pays) depuis la fondation de la République Populaire de Chine (RPC) en 1949 car c’est un excellent outil pour diffuser des idées, notamment à l’époque, où la majorité des Chinois étaient illettrés. Depuis cette date, les médias et les productions culturelles sont soumis à la censure du PCC, qui évalue leur forme et leur contenu avant diffusion dans le pays. Pour le cinéma, on peut exiger des coupes, ou de re-tourner certaines scènes pour qu’elles soient conformes afin d’obtenir l’autorisation de projeter le film en salles. Les règles officielles de la censure sont souvent floues, ce qui fait que certaines œuvres sont autorisées et d’autres non d’une façon qui peut paraître aléatoire. L’application de ces règles peut ainsi dépendre des variations des tendances politiques au sein de la direction du PCC, des relations des réalisateur.rices ou encore des enjeux financiers. C’est un phénomène très complexe, et le ton s’est considérablement durci depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012.

Quels éléments peuvent être censurés par exemple ? Sont-ils genrés ?
B.M.R. : Le but de la censure est de préserver la moralité des Chinois. Par exemple, tout ce qui a trait à la sexualité est étroitement contrôlé. La représentation d’actes sexuels, voire même tout simplement la nudité, peut faire l’objet de coupes dans un film. La prostitution est également réprouvée, tout comme l’homosexualité, bien que plus discrètement. Tout cela est regroupé dans un article contre « l’obscénité », un concept flou qui laisse une large marge de manœuvre aux censeurs. Et à nouveau, d’un film à l’autre le traitement varie.

Dans ce contexte, quelle est la place des femmes cinéastes ? Leur condition est-elle différente de celle de leurs confrères-hommes ?
B.M.R. : Les réalisatrices ont été historiquement assez nombreuses en Chine depuis l’arrivée des communistes au pouvoir. En 1949, l’industrie du cinéma de la RPC était complètement à construire, et hommes comme femmes étaient encouragés à y prendre part. De nos jours, elles sont tout autant soumises aux contraintes du marché et de la censure que leurs confrères, mais elles subissent en plus l’oppression patriarcale. Elles sont beaucoup moins nombreuses à avoir une longue carrière ou à pouvoir tourner avec des gros budgets. De plus, les critiques ont tendance à louer leur style « délicat » et leur « conscience féminine », un concept essentialisant qui ne veut pas dire grand-chose, quand elles mettent en avant des personnages féminins et la condition des femmes en Chine. Les réalisatrices explorent néanmoins tous les genres, du thriller à la comédie romantique en passant par le film de guerre ou encore les drames historiques. Elles bénéficient de moins d’attention de la part des programmateurs et des critiques à l’étranger, d’où l’importance de festivals comme celui de Créteil ! Leurs représentations des femmes dans leurs films sont généralement plus éloignées des clichés et moins soumises au regard masculin, mais ce n’est pas non plus systématique.

Lire aussi l Créteil : au Festival International des Films de Femmes, focus sur les réalisatrices chinoises

Avez-vous constaté une évolution du discours cinématographique en Chine depuis Metoo ?
B.M.R. : Il faut déjà noter que le mouvement Metoo n’a pas vraiment pris en Chine. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela. Déjà, internet est très surveillé. Des mouvements féministes populaires avaient commencé à prendre de l’importance pendant la première moitié des années 2010, portés par des jeunes femmes utilisant les réseaux sociaux pour discuter et diffuser leurs idées, avant d’être stoppés brutalement par l’arrestation des Feminist Five2 en 2015. Après cela, il est devenu plus difficile de prendre ouvertement position sans se mettre en danger. Ensuite, Metoo a été perçu, et a été ainsi présenté par les médias officiels, comme un phénomène spécifiquement occidental et donc ne concernant pas la Chine. Enfin, 2017 correspond aussi à l’année où Xi Jinping s’est octroyé un mandat permanent, et les rares personnes qui ont tenté de prendre la parole ont été immédiatement réprimées. Le dernier exemple en date, c’est celui de la joueuse de tennis Peng Shuai.
Le cinéma officiel (approuvé par la censure) n’a ainsi pas été affecté, et, à ma connaissance, cela n’a pas non plus été le cas du cinéma indépendant. Mais un film très intéressant à voir sur le sujet, et qui est d’ailleurs sorti exactement à cette période, c’est Les Anges portent du blanc de Vivian Qu (sorti en France en 2017 et programmé au FIFF cette année). Autour d’une sordide histoire du viol de deux jeunes filles, il questionne l’aspect systémique des violences sexuelles et se distingue par son style plus axé sur la réflexion que l’émotion.

Y a-t-il malgré tout un cinéma féministe chinois ?
B.M.R. : Oui, il en existe de nombreux exemples depuis les années 60, et surtout à partir des années 1980, même si la définition de ce que l’on entend par féministe varie selon les époques. Il faut cependant noter qu’il s’agit généralement de l’analyse de critiques et de chercheurs, car très peu de réalisatrices chinoises se revendiquent ouvertement comme féministes en raison du contexte évoqué plus tôt. Elles peuvent avoir peur d’être cataloguées et donc ensuite limitées dans la suite de leur carrière, peur d’être censurées ou encore tout simplement ne pas se reconnaître dans la notion de féministe.

Quel film recommandez-vous en particulier parmi la sélection de films de réalisatrices chinoises du FIFF ?
B.M.R. : J’ai personnellement eu un coup de cœur pour Vénus sur la rive de Wang Lin, tant pour sa forme que pour son histoire, mais les films Bipolar de Queen Li et Ascension de Jessica Kingdon, tous les deux en compétition officielle, me paraissent aussi très prometteurs.

Lire aussi l Créteil : au Festival International des Films de Femmes, 10 jours d’histoires d’amour(s) !

  1. Chercheuse associée, Docteure en études chinoises IETT - Institut d'Etudes Transtextuelles et Transculturelles, Université de Lyon - Jean Moulin Lyon 3 []
  2. Cinq activistes féministes qui ont été arrêtées par la police alors qu’elles s’apprêtaient à faire une performance pour dénoncer le harcèlement sexuel dans les transports en commun. Détenues pendant plusieurs mois et accusées de complot avec l’étranger car travaillant dans des ONG financées par des pays étrangers, elles n’ont dû leur libération qu’à l’importante mobilisation en Chine et à l’international.[]
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