HORS RADAR 10 LAO
Image issue du documentaire Hors Radar, réalisé par Aliénor Carrière au LAO. © France TV

À Bagnolet, le LAO, lieu d’accueil pour des jeunes femmes vic­times de vio­lences est mena­cé de fermeture

Depuis 2019, le LAO accueille et oriente de très jeunes femmes victimes de violences. Un refuge essentiel et unique en France pourtant aujourd’hui menacé de fermeture. La structure a lancé une campagne de financement le 8 mars dernier.

55 000 euros. C’est le premier objectif que doit atteindre la campagne de financement participatif pour que le Lieu d’accueil et d’orientation (LAO) Pow’Her puisse perdurer sereinement. Niché à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, depuis sa création en 2019, le LAO accueille et oriente des jeunes femmes de 15 à 25 ans victimes de violences, provenant de Paris ou du 93. C’est d’ailleurs aujourd’hui la seule structure en France à destination spécifiquement des adolescentes et jeunes adultes, alors même qu’elles sont selon les études à la fois les premières victimes de violences – intrafamiliales, conjugales, sexuelles – mais aussi les plus éloignées des structures d’accueil et d’accompagnement. Elles ne représentent pourtant que 11 % des appels au 3919, numéro national d’aide aux femmes victimes de violences et seulement 10 % des bénéficiaires de structures spécialisées, selon une enquête du centre Hubertine-Auclert publiée en 2016. 

Le LAO, géré par l’association “FIT une femme un toit”, a donc été conçu pour ces très jeunes femmes et peut prendre en charge 125 à la fois. Elles y bénéficient d’un accompagnement pluridisciplinaire adapté à leurs souhaits et à leurs besoins. Trois éducatrices spécialisées, une juriste, une psychologue, une gynécologue et une conseillère familiale et conjugale sont à disposition d’un public au parcours de vie déjà très abîmé. Des jeunes femmes souvent confrontées au continuum des violences depuis la petite enfance. “Dans la grande majorité, elles ont 20 ans, mais 20 ans de violences”, pointe la directrice du centre, Amandine Maraval, auprès de Causette. Il faut donc déconstruire une vie bâtie sur des schémas de violences répétitifs qu’elles n’ont souvent pas identifiés comme tels. Une banalisation et une normalisation des violences qui explique en partie le fait que les jeunes femmes soient les premières victimes.

C’est peu dire alors que la tâche est de taille et que la fermeture du LAO sonnerait le glas d’un accompagnement essentiel et durable pour elles. Depuis son ouverture il y a cinq ans, 537 jeunes femmes ont été accueillies et suivies individuellement. Pourtant, son avenir se voit aujourd’hui menacé. L’accueil de jour pourrait en effet fermer ses portes dans les mois à venir, faute de trésorerie suffisante. Urgence pour laquelle FIT, une femme un toit a lancé "Je soutiens le LAO Pow'Her" une campagne de financement participatif symboliquement le 8 mars dernier.

Constituer une trésorerie suffisante 

Cette dernière a atteint, ce mercredi 13 mars, 14 770 euros et a pu compter sur le soutien de nombre de militantes féministes et de personnalités à l’instar de l’actrice Julie Gayet. “J’étais très inquiète au départ, confie Amandine Maraval. Là, je le suis moins parce qu’on a reçu un soutien énorme, on ne s’attendait pas à ça. On se sent moins seules et on se dit qu’on va trouver des solutions. Ça nous donne beaucoup d’espoir.” Le lieu d’accueil de jour s’est donné un mois, jusqu’au 8 avril prochain, pour atteindre le premier palier de 55 000 euros. “55 000 euros, c’est l’équivalent d’un poste d’éducatrice spécialisée sur un an, mais nous avons besoin d’être pérennisés sur de nombreuses années, précise Amandine Maraval. Il faudrait réussir à constituer une trésorerie de 700 000 euros.”

Ladite somme représente le budget annuel du LAO. Un budget à la fois financé par le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, la Ville de Paris, la Ville de Bagnolet, la préfecture de la Seine-Saint-Denis, la région Île-de-France, mais aussi par des dons ponctuels de fondations. Des rentrées d’argent au fil de l’eau pressurisant l’association. Car le problème, pointe la directrice, c’est qu’aujourd’hui le LAO – comme les associations qui reçoivent des subventions annuelles – doit avancer cette somme. “On sait seulement au milieu de l’année si on va réellement percevoir ces subventions, explique Amandine Maraval. On doit donc prendre le risque d’avancer l’argent pour pouvoir payer les salaires sans certitudes.”

Confiance 

Si jusqu’à présent l’association FIT pouvait se permettre d’avancer cet argent, elle doit aussi soutenir financièrement un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et un centre d’hébergement d’urgence (CHU), qui ont, eux aussi, de grosses nécessités. “L’association ne peut plus tout porter”, pointe la directrice du LAO. Constituer un matelas financier de 700 000 euros permettrait donc de pouvoir payer sereinement les salariées sans crainte de ne pas recevoir de subventions, tout en continuant le développement de la structure qui accueille de plus en plus de jeunes femmes, notamment des mineures.

“Si le LAO s’arrête, ces jeunes femmes souvent déjà très isolées seront encore plus invisibilisées”, alerte Amandine Maraval. Le LAO mêle des accompagnements d’urgence en mettant à l’abri des jeunes femmes en danger dans des centres d’hébergement. Mais aussi des suivis sur le long terme avec, en ligne de mire, la nécessité de toujours tisser un lien de confiance entre les professionnel·les et les bénéficiaires. “On essaie de faire émerger des souhaits, mais on ne va absolument pas prendre de décisions à la place des jeunes femmes, ça a déjà été bien trop fait pour elles. L’idée, c’est de pouvoir leur redonner une place de sujet, qu’elles puissent créer leurs propres projets”, insiste la directrice

Lieu unique en France

Cette relation de confiance est d’ailleurs très bien dépeinte dans le documentaire Hors radar, diffusé en février sur France 3 et désormais disponible en replay sur la plateforme France.tv. La réalisatrice Aliénor Carrière a suivi le travail de deux éducatrices du LAO. Mathilde, par exemple, reste à l’écoute des jeunes femmes qu’elle suit même la nuit. “J’ai vraiment très très peur de ne pas te retrouver un matin”, confie-t-elle à l’une d’elles, avant de lui demander s’il est possible pour elle de couper tout contact avec son compagnon. Bien souvent, ces jeunes femmes subissent le contrôle coercitif de la part de leur compagnon et il faut plusieurs allers-retours avant de rompre définitivement la relation et d’entamer des démarches judiciaires et administratives.

Un documentaire qui prouve, s’il le fallait, que le LAO de Bagnolet est un lieu atypique, essentiel mais surtout unique. Lorsqu’il a été lancé en 2019, l’idée était qu’il soit expérimental pour ensuite être généralisé à toute la France à raison d’une structure dans chaque département. En 2021, la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes de l’époque, Élisabeth Moreno, avait d’ailleurs promis la création de dix centres semblables pour 2022. Trois ans plus tard, le LAO a fait plus que ses preuves mais est toujours seul dans le paysage. Pire, il est aujourd’hui en danger.

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