Une de "Playboy" : en défen­dant une démarche fémi­niste, Marlène Schiappa nous tend un piège

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ÉDITO. Alors comme ça, poser en Une de Playboy en dévoilant un bout de hanche quand on est secrétaire d'État serait une manière d’œuvrer pour notre liberté à toutes ? Si on a bien compris, c'est un acte de liberté parce que c'est Playboy mais sans les oreilles de bunny girl, c'est ça ?

Face à la pluie de critiques lui reprochant un manque d'à propos dans un temps social si électrique et alors que le climat n'a jamais été aussi hostile envers le gouvernement, Marlène Schiappa ne s'est, comme à son habitude, pas démontée. « Défendre le droit des femmes à disposer de leur corps, c'est partout et tout le temps, a-t-elle tweeté. En France, les femmes sont libres. N'en déplaise aux rétrogrades et aux hypocrites. » Ainsi, il serait forcément « rétrograde »  ou « hypocrite »  d'estimer que le statut de membre du gouvernement, qu'il soit celui d'une femme ou d'un homme, n'est pas compatible avec la mise en scène de « [son] corps » sur le papier glacé d'un magazine de charme passablement anachronique. Déjà que la glamourisation des politicien·nes au pouvoir dérangeait lorsqu'elle s'étalait en pleine page de Paris Match ou dans de complaisants reportages télévisés, il faudrait maintenant, nous demande Schiappa, la souffrir dans Playboy.

Sauf que, comme l'a observé la ministre de l'Égalité Isabelle Rome dans une interview au Figaro, donner de sa plastique dans une revue faite par et pour le sacro-saint male gaze quand on se déclare féministe n'a aucun sens : « Pourquoi avoir choisi Playboy pour faire avancer le droit des femmes alors que ce magazine est un condensé de tous les stéréotypes sexistes ? Nous sommes en plein dans la culture de la femme-objet. De même, Playboy a une histoire : je rappelle que son fondateur, Hugh Hefner, a été poursuivi pour agression sexuelle. À un moment donné, il faut choisir ses supports. » Et d'enfoncer, cinglante : « À mes yeux, défendre les droits des femmes dans Playboy reviendrait à lutter contre l’antisémitisme en accordant un entretien à Rivarol. » 

On aimerait, au nom de la sororité universelle, tenter de sauver l'iconoclaste soldate du Féministan Schiappa du piège qu'elle nous tend à toutes. À nous, en nous expliquant que sa démarche d'égo serait féministe. À elle, en précipitant une nouvelle fois la risée sur sa communication « disruptive » qui la décrédibilise en tant que secrétaire d'État (à quoi, déjà ?). Mais il est bien difficile de voler à son secours quand on sait qu'elle-même a été instrumentalisée par le patron d'un journal vivotant qui compte sur ce coup de com' pour se sauver d'ennuis financiers. Ou quand on apprend, de surcroît, que l'interview fleuve « droit des femmes » de Schiappa côtoie la fine fleur des « intellectuels » français bien réacs, bien poisseux : Gilbert Collard, Marc-Edouard Nabe et Ivan Roufiol ont chacun la parole dans ce numéro collector. Auxquels s'ajoute Jawad Bendaoud (le logeur des terroristes du 13 novembre), pour le côté wahou.

Alors non, plutôt que d'évoquer le fond de son entretien à Playboy (désolées, la forme a pris le dessus), on pointera comme d'autres avant nous l'avantageuse coïncidence temporelle entre ce badbuzz et un autre : celui des révélations de franceinfo et Marianne qui, la semaine précédente, démontraient la totale opacité de l'attribution des deux millions d'euros du fonds Marianne. Ce fonds, créé par Marlène Schiappa après l'assassinat de Samuel Paty alors qu'elle était ministre déléguée à la citoyenneté, était destiné à des associations promouvant les valeurs républicaines. Selon les journalistes qui se sont penchés dessus, il aurait en fait été distribué à des associations dirigées par des proches du cabinet de la ministre, qui n'en ont, et c'est un euphémisme, pas fait grand chose. Après ces révélations, l’inspection générale de l’administration (IGA) a ouvert une enquête. La diversion Playboy suffira-t-elle à étouffer l'affaire ?

Lire aussi l "Sa façon d'être à moi" : quand la ministre déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa, se met à la chicklit'

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