Survivre entre potes

Dans La Chute de l’empire humain, sor­ti le 20 août, dix figures de l’écologie confrontent leurs façons de se pré­pa­rer aux pires heures de la crise cli­ma­tique.
Un paquet de conseils utiles qu’on n’a pas l’habitude de lire.

114 conseils crise climatique erik smits
© Erik Smits

Pour pré­pa­rer ses vacances, il y a le Guide du Routard. Pour pré­pa­rer l’effondrement, à part les tutos catas­tro­phistes du type « abri nucléaire », pas grand-​chose. Alors Manon Commaret et Pierrot Pantel, duo d’écolos corses, ont déci­dé d’interroger dix grandes figures de l’écologie. Du gla­cio­logue Jean Jouzel, à la psy­cho­logue amé­ri­caine Carolyn Baker, jusqu’au fon­da­teur de la Deep Green Resistance (mou­ve­ment radi­cal de résis­tance éco­lo), ou à Nicolas Hulot. Manon et Pierrot leur ont posé des ques­tions basiques, celles de M. Tout-​le-​Monde sur l’avenir de la pla­nète. Le résul­tat donne La Chute de l’empire humain (éd. Rue de l’Échiquier) et 217 pages d’interviews. L’intérêt de ce recueil tient dans le mélange entre les connais­sances et les expé­riences per­so de celles et ceux qui connaissent le mieux la ques­tion. Soyons clair : ce n’est pas une lec­ture zen. Mais parce qu’il vaut mieux savoir les choses pour (re)construire, on vous livre leurs prin­ci­paux conseils. 

Ce qui revient le plus dans les entre­tiens, c’est avant tout la néces­si­té de bous­cu­ler nos ima­gi­naires. La plus qua­li­fiée pour en par­ler est la psy­cho­logue amé­ri­caine Carolyn Baker, spé­cia­li­sée dans l’approche du risque. Elle est directe : « Le plus dur sera la sen­sa­tion de perdre le contrôle. » Pour ne pas par­tir en caca­houète, nous devons « nous orien­ter vers des méthodes spi­ri­tuelles et apprendre des tech­niques de soin ». Tenir un jour­nal est à ce titre un « for­mi­dable outil d’introspection », qui aide à beau­coup mieux digé­rer nos angoisses, écrit-​elle. Ou des­si­ner, qui per­met de « révé­ler ce qui est ins­crit dans notre incons­cient ». Plus ori­gi­nal, elle incite à orga­ni­ser des « groupes de deuil » bien­veillants (faire son « deuil » de l’avenir tel qu’on nous le vend – enfants, réus­site pro, voyages… – est une idée qui revient dans moult interviews).

Révolutionner l’imaginaire

Arthur Keller, ingé­nieur et ana­lyste des vul­né­ra­bi­li­tés des socié­tés humaines – plus riche inter­view de l’ouvrage en matière de conseils – invite, lui, à « inva­li­der nos ambi­tions décon­nantes ». Entre autres, « ne pas trop se poser de ques­tions pour cher­cher à s’inscrire dans un plan de car­rière ». Enfin, p’tit conseil glis­sé par la zoo­logue et euro­dé­pu­tée écolo-​anarchiste Isabelle Attard, on peut lire Entropia (éd. Libre et Solidaire, 2017), de Samuel Alexander, « seul livre » qui l’ait aidée à « créer un ima­gi­naire posi­tif post-​effondrement ». Fait notoire : jamais, dans le livre, il n’est ques­tion de stage sur­vi­va­liste ou de bat­tue à la hache. Le conseil numé­ro un en matière d’orga, c’est plu­tôt de se mettre d’accord sur un plan de crise en petit groupe. Cette entraide col­lec­tive, fon­dée sur la bien­veillance, Yves Cochet la nomme « sophro­lo­gie poli­tique ». Sans aller, comme lui, jusqu’à vivre dans un hameau auto-​organisé de quinze âmes en vue de l’effondrement, Arthur Keller, Isabelle Attard et Pablo Servigne incitent tous et toutes, éga­le­ment, à bâtir un plan. Avec sa famille ou « son quar­tier, entre­prise ou rési­dence » pour « dési­gner des per­sonnes res­sources » choi­sies « en fonc­tion des com­pé­tences et des points forts de cha­cun », résume Arthur Keller. Et c’est avec celles et ceux pour qui nous res­sen­tons le plus de loyau­té que nous coopé­re­rons le mieux. Alors bichon­nons nos « rela­tions pro­fondes, construites depuis l’enfance », ajoute Derrick Jensen, acti­viste fon­da­teur de Deep Green Resistance.

Transmettre les recettes

À tout ça, il faut y asso­cier les petit·es. C’est là un autre consen­sus du bou­quin. Il faut trans­mettre les connais­sances culi­naires ou les recettes de remèdes au fil des géné­ra­tions (#ViveLesSorcières !), et incul­quer les gestes de sur­vie à l’école, répond Nicolas Hulot. « Parce que la vraie richesse, c’est d’être capable de construire sa mai­son, de se chauf­fer, de se nour­rir et éven­tuel­le­ment de se soi­gner. » C’est orga­ni­ser un « conseil de famille », comme l’a fait Isabelle Attard, pour vider ses peurs et expli­quer aux enfants com­ment on compte gérer. C’est aus­si, pré­cise Arthur Keller, pré­pa­rer avec son gosse « un sac de pre­mière urgence à la mai­son, lui faire pas­ser une attes­ta­tion de pre­miers secours, lui apprendre à savoir gérer les situa­tions impré­vues ». Une fois de plus, la pré­pa est men­tale. Il faut entraî­ner les petit·es à la « modé­ra­tion et la soli­da­ri­té », ajoute Yves Cochet, mathé­ma­ti­cien et membre d’Europe Écologie-​Les Verts, seules voies vers le par­tage en situa­tion de manque.

Le “réen­sau­va­ge­ment”

Et les petites actions de tous les jours, faut-​il y croire ? À lire les inter­views : pas trop. Mais la « part du Colibri », en réfé­rence au livre de Pierre Rabhi, c’est « mieux que rien ». Le vrai chan­tier à entre­prendre est le « réen­sau­va­ge­ment », lit-​on beau­coup. « Développer ses com­pé­tences manuelles », résume Isabelle Attard, en s’instruisant auprès de ceux qui savent (« menui­sier, pay­san, bou­lan­ger, sou­deur »). Puis se désan­crer peu à peu du numé­rique au pro­fit du vivant : réap­prendre à pas­ser du temps avec la nature, à obser­ver la rivière du coin, les arbres… Jusqu’à en faire une spi­ri­tua­li­té du quo­ti­dien. Nicolas Hulot y tient par­ti­cu­liè­re­ment : « plus que toutes sortes de lec­ture », c’est en nageant avec des baleines qu’il a pris conscience de notre « matrice com­mune », ce qui lui donne aujourd’hui, dit-​il, la force de se battre.

En vrai de vrai, les réponses les plus néces­saires seraient les réponses « struc­tu­relles », s’accordent une fois de plus presque tous et toutes les participant·es. Du genre « dé-​bitumer » nos périphs pour en faire des jar­dins, repas­ser à un modèle d’agriculture domi­nante ou, tout sim­ple­ment, arrê­ter le libre-​échange. Mais celles-​ci ne dépendent pas de nous. Et si nos lea­ders étaient prêt·es à les enga­ger, ce livre n’aurait pas de rai­son d’être. 

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