Mary Anning : aux ori­gines de la paléontologie

Peu reconnue pour ses recherches de son vivant, Mary Anning a pourtant activement participé à la preuve de l’extinction de certaines espèces. Au départ loisir pour amateurs éclairés, la paléontologie devient une discipline scientifique au XIXe siècle. La jeune Anglaise en est l’une des précurseures.

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Peinture posthume de Mary Anning par B. J. Donne, en 1847.
© GL Archive / Alamy Stock Photo

Avoir survécu à la foudre à l’âge d’un an aurait pu demeurer le seul fait hors du commun dans l’existence de Mary Anning. Pas du tout. En 1811, à 12 ans, elle découvre le premier fossile complet d’un ichtyosaure, reptile marin vieux de 200 millions d’années. En réalité, la surprise n’est pas si inattendue.  

Née en 1799, Mary grandit dans une famille pauvre dans la ville côtière de Lyme Regis, au sud de l’Angleterre. Une région célèbre pour ses falaises, faites de lias bleu, des couches d’argile et de calcaire qui renferment de nombreux fossiles. L’époque est aux collections de ces débris et son père, ébéniste, arrondit ses fins de mois en les vendant aux touristes de cette station balnéaire. Très tôt, il initie ses deux enfants, Mary et son frère aîné Joseph, à la recherche et à l’extraction de fossiles, pour alimenter, puis développer son petit commerce. En 1810, Richard Anning meurt brutalement et laisse la famille endettée. Mary et Joseph se consacrent alors à plein temps à cette chasse. La jeune fille a l’œil et ses talents sont appréciés par les collectionneurs. Un an après le décès de leur père, les deux adolescents font une découverte inhabituelle.  Un crâne de crocodile, pensent-ils. Quelques mois plus tard, ils mettent à jour une colonne vertébrale. Un étrange animal, qui intrigue dans le milieu.  

Chasseuse de fossiles 

Le spécimen est acquis par un collectionneur, Henry Henley, qui le revend rapidement au naturaliste William Bullock. Cette découverte fait beaucoup de bruit et éveille la curiosité autour de Mary Anning. Thomas Birch, un collectionneur, achète régulièrement des fossiles à la famille Anning depuis plusieurs années. Il se prend d’affection pour la jeune Mary. Il met la famille à l’abri du besoin en vendant son immense collection et en leur reversant les bénéfices. Nous sommes en 1820. Désormais, la jeune Anglaise ne se consacre plus qu’à ses fouilles. 

En 1821, elle découvre le squelette presque entier d’un monstre des mers, une sorte d’immense tortue avec un long cou, proche du serpent. Il s’agit d’un plésiosaure, espèce alors inconnue. Le fossile est acheté par le duc de Buckingham et mis à la disposition des membres de la Société géologique de Londres. Sa découverte passionne la communauté scientifique. Dans une note de 1824, la Société géologique dit de Mary Anning que « cette jeune Anglaise, par son zèle et son intelligence, a su créer avec ces objets un commerce aussi utile pour la science qu’il est honorable et lucratif pour elle. Elle nous a permis d’en prendre un dessin que nous nous sommes empressés de communiquer à Conybeare [un paléontologue britannique, ndlr] et à Cuvier ». Ce dernier, anatomiste et paléontologue français, suppose depuis quelques années que certaines espèces du passé ont tout simplement disparu. L’idée fait scandale, car elle sous-entend que toutes les créations de Dieu ne sont pas parfaites, ce qui est impensable à l’époque. 

Les découvertes de Mary Anning ont un rôle primordial dans ce débat, d’autant que, fin 1823, elle sort de terre le squelette, cette fois complet, d’un nouveau spécimen de plésiosaure. Georges Cuvier ne parvient pas à y croire, il déclare : « Mary Anning a dû mélanger deux animaux, ce n’est pas possible d’avoir un cou aussi long. » Le travail de la jeune paléontologue est désavoué et sa réputation mise à mal. Il faut l’intervention de scientifiques britanniques pour convaincre le Français de la véracité de la découverte. C’est finalement Georges Cuvier qui achète le fossile, aujourd’hui au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Prises ensemble, les découvertes de Mary Anning aident à confirmer la thèse d’une extinction d’espèces. 

La jeune femme travaille sans relâche, lit des articles scientifiques, apprend l’anatomie et échange avec les plus grands spécialistes de l’époque, comme le géologue William Buckland. Jamais scolarisée, l’adolescente n’apprit à lire et à écrire qu’à 13 ans. Et est devenue une paléontologue aguerrie. Son amie Elizabeth Philpot, elle aussi chasseuse de fossiles et habitante de Lyme Regis, l’a beaucoup aidée à s’instruire et à approfondir sa maîtrise des sciences. Elle possède une étonnante collection de poissons fossilisés. D’un milieu aisé, elle intercède plusieurs fois dans les négociations pour faire reconnaître le travail de sa protégée, de vingt ans sa cadette. 

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Crâne fossile d’un ichtyosaure découvert par Joseph et Mary Anning en 1812. © Granger Historical Picture Archive / Alamy Stock Photo
Scientifique jamais reconnue 

En 1834, le paléontologue suisse Louis Agassiz se rend dans la région et est particulièrement impressionné par les connaissances des deux femmes. En hommage, il nomme plusieurs espèces de poissons fossiles de leurs noms. Mais Mary Anning reste une femme, qui plus est issue d’un milieu pauvre, s’adonnant à ce que l’on considère être un loisir de riches et non un gagne-pain, comme ce fut le cas pour sa famille. Les scientifiques européens s’appuient sur ses travaux et ses interprétations pour publier leurs articles, mais ne la mentionnent jamais dans leurs écrits. Son nom est cité pour la première fois, en France, en 1825, par Georges Cuvier dans la légende d’une illustration d’un plésiosaure et, en 1829, dans un article de William Buckland.

Pourtant, jamais Mary Anning ne s’arrête, même quand elle échappe de peu à la mort lors d’un éboulement en 1833, alors qu’elle fouille le long d’une falaise. Ses découvertes se poursuivent sur cette côte du Dorset, une sorte de Jurassic Park où, deux millions d’années plus tôt, chassaient d’énormes reptiles aujourd’hui disparus. N’ayant pas publié d’articles scientifiques, elle ne sera jamais reconnue comme telle. Malgré son rôle de pionnière dans la paléontologie anglaise, elle n’est considérée que comme une simple amatrice. Mary Anning reçut tout de même une rente annuelle, à partir de 1830, de la part de l’Association britannique pour l’avancement de la science. En 1847, elle tombe gravement malade. La Société géologique de Londres, qui lui doit beaucoup, organise alors une souscription pour pourvoir à ses besoins. Elle décède la même année, d’un cancer du sein. 

Aujourd’hui, les fossiles qu’elle a découverts sont dans les plus grands musées du monde et le Musée d’histoire naturelle de Londres a inauguré, en 2018, la salle Anning. Car il a fallu attendre les années 1980 pour que ses travaux soient redécouverts et appréciés des scientifiques et des historiens. Il faudra sans doute encore quelques années avant que son influence sur la pensée scientifique soit reconnue, à la hauteur de celle de ses collègues masculins. 

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