drought and severe hunger in southern madagascar
© WFP/Tsiory Andriantsoarana

A Madagascar, une famine d’ampleur inédite due au chan­ge­ment climatique

Dans le Sud de l’île, la sécheresse qui dure depuis 2 ans a détruit les récoltes et affame les populations locales. Selon le Programme alimentaire mondial, cette crise alimentaire est le visage du changement climatique.

Une femme fait bouillir une marmitte à même le sol. Autour d’elle, des dizaines d’enfants attendent. Dans l’eau, des semelles de sandales en cuir de zébu qui cuisent. Ces déchets jetés par les cordonniers vont servir de repas de survie pour une population qui n’a plus rien à manger. Cette scène, filmée par Gaëlle Borgia, journaliste française récompensée du Prix Pulitzer en 2020, se déroule à Ambovombe, dans la région d’Androy, au Sud de Madagascar et illustre la crise alimentaire qui sévit dans cette partie de l’île. 

A seulement 1000 kilomètres de La Réunion, plus d’1 million de personnes sont confrontées  à une insécurité alimentaire aiguë et 14 000 sont en situation de catastrophe, le niveau le plus élevé du Cadre Intégré de classification de la sécurité alimentaire de l’ONU. La famine touche tout particulièrement les enfants. Selon le Programme alimentaire mondial, la malnutrition aiguë globale chez les enfants de moins de 5 ans dans le pays est de 16,5%, ce taux alarmant atteignant 27% dans le district d'Ambovombe.

Pour tenter de survivre, beaucoup de familles quittent leur village pour se rendre dans les zones urbaines, malgré l’important attachement à la terre qui existe dans cette région. « C’est partir ou mourir », explique à Causette Gaëlle Borgia, présente à Madagascar depuis 10 ans. Par manque de nourriture, les populations trompent la faim en avalant des épluchures, des déchets de manioc, de la boue ou se mettent à creuser la terre pour y trouver des tubercules ou des noix sauvages. Les habitant·es parlent de kéré, qui signifie « être affamé » dans la langue locale.

Une famine liée au dérèglement climatique

Pour les organismes onusiens, il s’agit là de la première famine causée par le changement climatique. « Il y a ici des gens au bord de la famine et il n'y a pas de conflit. Il y a juste le changement climatique avec ses pires effets, qui les affecte gravement », a dénoncé Lola Castro, directrice régionale du Programme alimentaire mondial pour le sud de l'Afrique, lors d’une conférence de presse le 25 juin.

Pour la deuxième saison agricole consécutive (d’octobre à mai), il y a eu un fort déficit pluviométrique qui a entraîné la pire sécheresse depuis plus de 40 ans dans le pays. Dans certaines zones, il n’a quasiment pas plu depuis octobre 2019. En résulte « une très faible production agricole et donc des ménages qui n’ont ni produit pour eux-mêmes ni pour vendre sur les marchés », nous explique Xavier Poncin, directeur adjoint pour Madagascar de l'ONG Action contre la faim. Dans cette région enclavée où peu de denrées alimentaires sont importées et où la grande majorité de la population vit de l’agriculture ou de l’élevage, cette situation conduit à une crise nutritionnelle majeure.

En plus de la sécheresse, cette année, le sud de l’île est touché par des tempêtes de sable d’ampleur exceptionnelle. « Elles existent depuis toujours, à défaut de quelques jours en fin de saison sèche, mais cette année, c’était en continu pendant 4 mois. Personne n’a jamais connu ça ici, c’est totalement inédit », précise Xavier Poncin. Conséquence, les cultures sont asséchées. A l’aide d’une comparaison d’images satellites, Action contre la Faim a pu observer que 94% des terres agricoles de l’année présentent un retard de croissance par rapport à la normale.

Des facteurs multiples

Pour Xavier Poncin, le dérèglement climatique vient toutefois s’ajouter à des facteurs structurels déjà difficiles, le climat aride rendant la région très vulnérable aux moindres changements. Les contextes politique, social et économique jouent beaucoup. Tout d’abord, la pandémie de Covid-19 a entraîné une contraction de l'économie notamment à cause des restrictions de déplacements qui ont fait baisser drastiquement le tourisme et compliquent la réponse humanitaire. Des communautés comme celles vivant sur le littoral et qui dépendent de la pêche ont vu leurs revenus fondre face aux manques de débouchés.

Les populations locales sont également affectées par un phénomène de banditisme qui peine à être freiné. Les Dahalos, ces bandits ruraux armés, sévissent dans tout le Sud de l’île en pillant les villages isolés. Ils s’emparent des chèvres, des zébus, des marmites ou du riz. Les familles sont dépossédées du peu qui leur reste et cela aggrave le phénomène de crise alimentaire.

L’inaction des autorités malgaches est parfois pointée du doigt. Lorsque la journaliste Gaëlle Borgia poste une vidéo sur son compte Facebook dévoilant l’ampleur de la famine chez les déplacés climatiques, elle est accusée par le gouvernement de mentir. « Le kere et la malnutrition qui sévissent ne doivent pas être un prétexte pour colporter de fausses informations et insulter la culture malgache. Considérez-vous vraiment que vous êtes en train d’effectuer un travail de journalisme ou une campagne de dénigrement du régime et d’humiliation de Madagascar ? », lui rétorque alors le gouverneur de la région d’Androy. Un reportage est même diffusé sur la télévision nationale, seule chaîne accessible sur toute l’île, pour la discréditer.

Selon la journaliste, c’est le côté inédit de la situation qui pousse les pouvoirs publics à cette réaction. « C’est une région souvent touchée par la faim. On connaît les méthodes de survie comme vendre les derniers biens qu’ils restent, manger de la cendre etc. Mais là, la consommation de chute de cuir, c’est quelque chose que personne n’a jamais relaté », précise-t-elle.

Tout cela montre bien l’extrême gravité de la situation, digne d’un « film d’horreur », selon David Beasley, directeur exécutif du Programme alimentaire mondial. « On est très inquiet maintenant parce qu’on fait face à une crise nutritionnelle mais aussi car on sait que dans l’année à venir la situation va se détériorer encore », déplore Xavier Poncin. À moins que des mesures urgentes ne soient prises dès maintenant, le nombre de personnes en situation de « catastrophe » devrait doubler au cours de la prochaine période de soudure1, dès le mois d’octobre 2021, selon l’ONU.

  1. période de l'année précédant les premières récoltes et où les réserves de la récolte précédente peuvent venir à manquer[]
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