Billie Jean King, queen des courts

On ne compte plus ses innombrables trophées. Et pourtant, ce ne sont pas eux qui font de la tenniswoman Billie Jean King une véritable icône. Égalité salariale, sexisme sportif, visibilité LGBTQIA+ : elle était et est encore de toutes les luttes.

billie jean king in action at the clairol crown tennis tournament at la costa resort in carlsbad california in april 1980
Billie Jean King (©Diane Johnson/Alamy Stock Photo)

Au milieu de l’été 2009, le président des États-Unis, Barack Obama, distribue pour la première fois de son mandat les médailles présidentielles de la Liberté. Plus haute décoration civile du pays, elles récompensent cette année-là 16 lauréat·es, dont Harvey Milk, Desmond Tutu ou Stephen Hawking. Au milieu de cette belle brochette, une joueuse de tennis : Billie Jean King. La sportive née en 1943 possède l’un des plus impressionnants palmarès de sa discipline. Trente-neuf titres du Grand Chelem 1 en simple, double et double mixte. S’empressant d’embrasser sa médaille, la femme de 65 ans sait pourtant qu’il ne s’agit pas d’une récompense pour sa carrière sportive. Elle est là car elle est la première figure d’athlète féminine militante.

Une vie en service-volée

Figure reconnue tardivement, pour- tant décisive. « Les joueuses de mon époque – les années 1990 – ne se rendaient pas compte du travail de Billie Jean, témoigne Katrina Adams, ex-présidente de la Fédération de tennis des États-Unis (USTA) : « Nous étions trop concentrées sur nos carrières. Les générations suivantes sont beaucoup plus déférentes envers elle. Maintenant, tout le monde sait qu’elle est une icône. »

Raquette au poing, King misait sur son agressivité et montait frénétiquement au filet pour conclure rapidement ses points. Elle applique la même straté- gie en dehors des courts. Lors de sa dernière conférence de presse, sur Zoom, au printemps 2022, lunettes rouges pétantes sur le nez et bracelet de montre arc-en-ciel au poignet, elle se rappelait ses débuts à l’université : « Tandis que je devais jongler entre mes cours, mes entraînements et deux boulots, les hommes bénéficiaient de bourses. Et aucun d’entre eux ne se posait de question sur les différences de statut. » Pour que les femmes obtiennent des bourses également, elle va jusqu’à témoigner devant le Congrès pour faire passer un amendement, le Title IX (Titre IX), qui interdit toute discrimination sur la base du sexe dans les programmes d’éducation soutenus par l’État fédéral.

Katrina Adams en est une des nombreuses bénéficiaires. « Ma carrière, je la dois à Bille Jean. Sans elle, je n’aurais pas eu de bourse pour ne serait-ce qu’étudier à la fac et je n’aurais pas eu ce mentorat. » En 2022, le petit rectangle virtuel de la visioconférence Zoom n’affecte pas la verve de King. Derrière l’écran, la militante de toujours s’exclame : « Nous avons besoin du Title IX pour le monde entier, pas seulement aux États-Unis ! » En plus de l’égalité des chances, la queen se bat aussi pour l’égalité salariale. En 1968, le sport se professionnalise et entre dans « l’Ère Open », hommes et femmes pouvant désormais être payé·es pour leur talent. Sauf que… « Quand Rod Laver et moi remportons le tournoi de Wimbledon en 1968, il gagne 2000 livres sterling, et moi, 750 ! » s’insurge aujourd’hui encore la cham- pionne. D’autant qu’au fil des années, « il y avait de moins en moins de compétitions mixtes et donc de possibilités pour les femmes ».

“The Original Nine”

En 1970, face au refus des joueurs masculins de fusionner les circuits pour partager équitablement les gains, et malgré des menaces de suspension de l’USTA, neuf femmes vont s’unir. Billy Jean King et huit consœurs (avec le concours d’une journaliste spécialiste du tennis) lancent leur propre compétition : le Virginia Slims Tournament. Elles seront dès lors surnommées « The Original Nine ». « Nous savions qu’il fallait renoncer à quelque chose d’im- portant – l’autorisation de jouer – pour obtenir ce que l’on souhaitait, retrace Billy Jean King. Et cela se résumait en trois points : pouvoir vivre de son sport, pouvoir participer aux compétitions et être jugée pour ses accomplissements et non son apparence. Chaque fois qu’une femme gagne de l’argent sur le circuit du tennis américain aujourd’hui, on peut revenir à cette journée fondatrice. »

Allant au bout de son combat, King fonde en 1973 la Women’s Tennis Association (WTA), organisme qui dirige encore aujourd’hui le circuit féminin, et dont elle devient la première présidente. Grâce à d’innombrables prises de parole et démarchages, elle obtient des partenariats avec des chaînes de télévision et des marques, pour mieux financer les joueuses.

Si les avancées sont réelles et concrètes, le circuit féminin pâtit toujours de la misogynie de la société. En témoigne l’incroyable affaire de « la bataille des sexes », qui propulse King dans une autre dimension de célébrité. Le pitch : joueur de tennis professionnel retraité de 55 ans, l’Américain Bobby Riggs affirme qu’il peut encore gagner contre les meilleures joueuses du moment. « Le mâle est suprême, le mâle est roi, peu importe l’âge ! » clame-t-il lors d’une conférence de presse en amont de la rencontre. Il défie donc Billie Jean King pour prouver la supériorité des hommes.

La reine et le bouffon

Ce 20 septembre 1973, la championne de 29 ans fait son entrée dans l’Astrodome de Houston (Texas) devant 30000 personnes (le match est diffusé à la télé nationale, et restera jusqu’en 2010 le match de tennis ayant rassemblé le plus de spectateur·rices). Le service de sécurité assure, clope au bec, et Billy Jean arrive sur le court, portée par des hommes torse nu. De son côté, Riggs est affublé d’une veste brodée « Sugar Daddy ». Il lui offre une sucette géante avant le match. Elle lui offre… un porc.

Et c’est elle qui l’emporte confortablement en trois petits sets (sur cinq prévus). « J’avais peur que ça fasse du mal au tennis féminin si je perdais, se souvient-elle dans Battle of the Sexes, le documentaire de James Erskine et Zara Hayes sorti en 2013. Je ne jouais pas que pour moi, mais pour tout le monde. » Et la bataille continue. En 1979, Billie Jean quitte sa compagne Marilyn Barnett. Celle-ci l’attaque en justice pour récupérer une pension, et dévoile du même coup leur homosexualité. Billie Jean King décide de faire clairement son coming out lesbien, devenant ainsi la première athlète célèbre à le revendiquer. Mais malgré l’étalage de sa vie intime sur la place publique, et la perte immédiate de tous ses sponsors, la joueuse continue de s’engager. Elle devient dans les années 1980 une fervente militante des causes LGBTQIA+ et rejoint la Elton John AIDS Foundation pour lutter contre le VIH.

Membre du comité de direction de la Gay and Lesbian Tennis Alliance (GLTA), une association LGBTQIA+ qui organise des tournois amateurs à travers le monde, Merit Lõokene est admirative : « Je suis trop jeune pour l’avoir vue jouer, mais je suis impressionnée par sa ferveur. Je prends très au sérieux toutes ses déclarations, que ce soit à propos de tennis ou des inégalités. » C’est grâce à elle, estime-t-elle, que « les joueuses actuelles ont des revenus et une voix qui porte. Personne ne sera aussi influent, c’est impossible ». Et Billie Jean King accepte le fardeau. « Je n’ai pas envie de m’arrêter de lutter, confie-t-elle encore dans son petit rectangle Zoom. On ne comprend l’inclusion que lorsqu’on a été exclu·e. Chaque matin, au réveil, j’ai le feu sacré. »

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