La can­tine des femmes bat­tantes, trai­teur social à Saint-Denis

Mariame, Aminata, Fatou et Maïté sont les fon­da­trices de La Cantine des femmes bat­tantes à Saint-​Denis. Livraison de repas, cui­sine lors d’événements… Grâce à ce suc­cès, elles veulent don­ner la chance aux femmes pré­caires de s’émanciper.

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De gauche à droite, Mariame, Fatou et Maïté
à La Cantine, sur l’Île-Saint-Denis.
© La Cantine des femmes battantes

Quatre femmes à qui la vie n’a fait aucun cadeau. Elles s’appellent Mariame, Aminata, Fatou et Maïté. Arrivées en France il y a quelques années, elles ont connu les squats en Seine-​Saint-​Denis, un quo­ti­dien ryth­mé d’expulsions et de relo­ge­ments. En 2018, elles croisent le che­min de Lucas et Tarik, deux béné­voles qui tra­vaillent dans le milieu associatif. 

De là naît une pre­mière expé­rience un peu folle. Elles décident de mettre en com­mun leurs com­pé­tences en cui­sine pour sor­tir de la pré­ca­ri­té. Pendant une année, elles par­courent les mani­fes­ta­tions pour vendre des plats tra­di­tion­nels d’Afrique de l’Ouest. Menus mafé ou yas­sa se vendent comme des petits pains à Saint-​Denis, Aubervilliers et Bobigny. Elles éta­blissent des par­te­na­riats avec des asso­cia­tions telles que Queer Food for Love (qui orga­nise des repas pour les per­sonnes LGBT+ les plus pré­caires), Genepi (asso­cia­tion fémi­niste anti­car­cé­rale) ou encore les Colleuses.

« On a tout de suite pris conscience de notre richesse. Du riz, un peu d’alloco, du pou­let et un jus de bis­sap fait mai­son. Tu es obli­gé d’aimer », vante Fatou en sou­riant. Alors qu’elles n’ont elles-​mêmes pas encore de loge­ment fixe, elles ins­tallent leur cui­sine en décembre 2018 dans un local situé dans une petite ruelle de L’Île-Saint-Denis (Seine-​Saint-​Denis). La Cantine des femmes bat­tantes vient de naître. « Femmes bat­tantes car nous avons toutes galé­ré, mais sans jamais bais­ser les bras », avoue timi­de­ment Mariame, les larmes aux yeux. « Chacune d’entre nous a son his­toire, cer­taines ont tra­ver­sé la mer Méditerranée pour fuir des vio­lences conju­gales. Quand tu as un mari violent et que tu dois fuir avec tes enfants sous les bras, tu n’as pas le droit d’échouer », confie-t-elle.

Livraisons dans des squats

La Cantine devient un lieu de vie à part, où cha­cune peut créer et inno­ver des plats comme bon lui semble. Fatou, qui a long­temps tra­vaillé en cui­sine dans un hôtel 5 étoiles de Dakar (Sénégal), gère la cui­sine et les com­mandes. Maïté et Mariame, ori­gi­naires de Côte d’Ivoire, confec­tionnent des plats ins­pi­rés de leur cui­sine mater­nelle. Après son arri­vée à Paris en 2001, à l’âge de 10 ans, Aminata s’est quant à elle for­mée dans de pres­ti­gieux res­tau­rants pari­siens tels que le Royal Monceau (VIIIe arron­dis­se­ment), l’hôtel Amour (IXe) ou le Tambour (IIe), avant de se spé­cia­li­ser dans la comp­ta­bi­li­té de l’association. La petite entre­prise se déploie rapi­de­ment, et la bande se dégage un petit salaire d’environ 400 euros chacune. 

En mars 2020, l’arrivée du Covid-​19 met bru­ta­le­ment les évé­ne­ments clients à l’arrêt. Elles décident alors de mon­ter sur le pouce un ser­vice de livrai­son à domi­cile. Aminata, seule à pos­sé­der le per­mis de conduire, s’en occupe afin de ne pas lais­ser sur le car­reau des familles dans le besoin. Chaque plat, à par­ta­ger en famille, est ven­du 13 euros. « Notre but était d’aider des femmes comme nous. On a livré dans des squats, des endroits miteux où des familles étaient entas­sées. La Seine-​Saint-​Denis a été par­ti­cu­liè­re­ment expo­sée au virus », détaille Mariame. À cette période, elles livrent une cin­quan­taine de mafés et de tieps tous les week-ends. 

Se péren­ni­ser grâce à l'événementiel

À la fin du mois de juin 2021, les livrai­sons pour les par­ti­cu­liers s’arrêtent en même temps que la levée pro­gres­sive du couvre-​feu. Durant l’été, la can­tine fonc­tionne au gré des actions de quar­tiers en Seine-​Saint-​Denis. Aujourd’hui, le ser­vice ori­gi­nel de trai­teur col­lec­tif de La Cantine reprend pro­gres­si­ve­ment : des dis­tri­bu­tions sont pré­vues à par­tir de début octobre à La Pépinière, près de la mai­rie d’Aubervilliers, puis à Argenteuil dès novembre prochain. 

Mais toutes n’ont pas encore réus­si à lais­ser l’instabilité der­rière elles. Si Aminata, enceinte de 8 mois et demi, Maité et Fatou ont eu accès à un loge­ment social, ce n’est pas le cas de Mariame. Elle vit encore dans un squat avec son fils de 3 ans à Épinay-​sur-​Seine (Val‑d’Oise), sans eau ni élec­tri­ci­té. « J’ai appe­lé le 115 [le Samu social, ndlr] pen­dant plus d’un an, on ne m’a jamais rien trou­vé. J’étais seule avec un fils en bas âge, mais rien », explique-​t-​elle sans cra­quer. Cette année, c’est la ren­trée en mater­nelle de son fils, elle l’a fiè­re­ment accom­pa­gné devant les grilles de l’école pour son pre­mier jour de classe.

Mais plus ques­tion de lais­ser dor­mir une « femme bat­tante » dans la rue. C’est le com­bat que s’est fixé Tarik, en charge de la logis­tique de La Cantine. « Nous sommes en train de trou­ver une solu­tion. La Cantine se foca­lise sur l’insertion par le tra­vail, mais aus­si par l’accompagnement admi­nis­tra­tif, c’est mon rôle », explique le jeune homme. À terme, La Cantine aime­rait se péren­ni­ser grâce aux évé­ne­ments, mais aus­si par la for­ma­tion de nou­velles cui­si­nières. « On nous a aidées, c’est à notre tour de for­mer des jeunes femmes pré­caires, afin qu’elles sortent de la misère », défend Aminata. La Cantine des femmes bat­tantes cherche aujourd’hui un nou­veau local, plus spa­cieux, afin d’accueillir davan­tage de cui­si­nières. Parallèlement, Mariame aime­rait un jour réa­li­ser son rêve à Saint-​Denis, ouvrir une épi­ce­rie fine de pro­duits ivoi­riens. Et confesse : « Je prie, mais je suis cer­taine qu’un jour je réus­si­rai. Je suis patiente, j’imagine déjà plein de rayons avec des pro­duits de chez moi, et ça me fait du bien. »

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