france family homestay for elders
© Maïté Baldi pour Causette

Familles d’accueil : chambre avec vieux

Avec l’âge vient souvent la dépendance. Alternative aux Ehpad, les familles d’accueil offrent une vie plus intime et chaleureuse aux personnes qui ne peuvent plus vivre seules. Un système qui, de plus, crée de l’emploi.

116 reportage France familles accueillates © Maïté Baldi pour Causette
Christiane Raoul, très coquette, raffole du rouge jusqu’au vernis à ongles
posé par Leïla. © Maïté Baldi pour Causette

Après sept heures de route, Simone Marceau, vieille dame à l’allure soignée, découvre, accompagnée de son fils unique, sa nouvelle chambre. Accrochée à sa canne et à son sac à main verni, la nonagénaire le regarde installer le peu de meubles qu’elle a voulu conserver ainsi que quelques photos, souvenirs d’une vie passée. « Je ne devrais pas le dire, mais je ne suis pas trop attirée par votre pays », ose la nouvelle pensionnaire, originaire de la Nièvre. Face à elle, Chantal Sabatier, Arlésienne depuis toujours, se contente de répondre par un sourire comme si elle savait que ça n’allait pas durer.

Il y a un an, elle a choisi, à l’âge de 56 ans, de devenir famille d’accueil pour personnes âgées. Après trente-six ans en tant qu’auxiliaire de vie, elle a souhaité continuer à prendre soin des autres en accueillant sous son toit des personnes âgées devenues trop dépendantes pour vivre seules.

Méconnue, cette alternative à l’héber­gement en établissement existe pourtant depuis plus de trente ans. Selon l’Institut de formation, de recherche et d’évaluation des pratiques médico–sociales (Ifrep), moins de 5 500 personnes âgées seraient logées chez des accueillant·es familiaux·liales. Une goutte d’eau comparée aux 600 000 lits proposés par les Ehpad.

Trois résident·es au maximum

Pour devenir accueillant·e, la ou le candidat·e doit obtenir un agrément du conseil départemental, qui gère ce type d’héber­gements. Après avoir rempli un épais dossier, elle ou il reçoit la visite d’un médecin et d’une assistante sociale, une manière de mieux cerner ses motivations et de vérifier les conditions d’accueil, la personne devant disposer d’une chambre par résident·e. Une fois l’agrément reçu, elle a un délai de deux ans pour suivre une formation de cinquante-quatre heures, dont douze heures à effectuer avant le premier accueil.

Une famille peut loger au maximum trois personnes. Elle signe avec chacune un contrat qui fixe les règles ainsi que la rémunération, autour de 1 800 euros par pensionnaire. « L’idée est qu’ils se sentent comme chez eux, comme en famille », affirme Chantal Sabatier, qui loge actuellement deux personnes. Et bientôt trois avec Simone Marceau. En devenant accueillante, elle voulait se « sentir utile ». Aider les anciens à « rompre leur solitude » et à rester le plus longtemps possible « autonomes ». C’est ce qui a plu à Philippe Marceau, moustachu à la silhouette généreuse et à la chemise fleurie. « Je pense qu’elle se sentira moins seule qu’en Ehpad », dit-il, tout en précisant qu’il était impossible pour lui de prendre sa mère à domicile. « Je pars le matin à 6 h 30, je rentre le soir à 20 h 30 et, en plus, mes chambres sont à l’étage… »

Une aventure en couple

Avant de sauter le pas, Chantal Sabatier a d’abord pris soin de son père malade. Pendant trois ans, elle s’en est occupée à domicile jour et nuit. Après sa mort et un « break de dix-huit mois », elle a recommencé avec André Dressaire, 98 ans, ancien propriétaire d’hôtel, devenu veuf. D’abord en lui rendant visite chez lui, puis, quand sa fille a envisagé un placement en établissement, Chantal Sabatier a entrepris les démarches pour devenir accueillante familiale et ainsi pouvoir s’occuper du retraité en toute légalité. « Je n’ai pas voulu d’une maison de retraite pour mon père, c’est pareil pour ceux dont je m’occupe. » Cette aventure, elle a décidé de la vivre avec Gilles, son époux. Ancien motard dans la police nationale, il trouvait « naturel » de faire lui aussi une demande d’agrément. « Si l’un de nous ne peut plus exercer à cause d’un problème de santé, il faut que l’autre puisse continuer. »

116 reportage France familles accueillates 2 © Maïté Baldi pour Causette 1
Chantal Sabatier reçoit ce jour-là sa nouvelle résidente, Simone Marceau, nonagénaire.
© Maïté Baldi pour Causette

Malgré ses 98 ans, André Dressaire est un homme « très autonome ». Il aime passer ses journées à lire le journal local. Et veille à se maintenir en forme. Ce matin-là, vêtu d’un short gris dévoilant des jambes chétives, le vieil homme entame sa gymnastique. Concentré sur sa tâche, il remue bras, jambes, bassin, en tournant autour de son lit. Quand il fait chaud, comme ce jour-là, il enfile volontiers son maillot de bain pour profiter du jacuzzi installé dans le jardin. « Ici, je me sens bien », confie-t-il.

Loto et confinement

À côté de sa chambre, il y a celle d’Alixias Gaillard, arrivée en février et diagnostiquée bipolaire. « Je n’arrivais plus à vivre seule, j’ai perdu mon mari puis ma mère, je suis un peu perturbée par tout ça », explique la presque septuagénaire sans parvenir à en dire davantage. Depuis l’installation de celle-ci, le couple a beaucoup de mal à l’occuper. « Mon but est de lui donner envie de faire des choses, mais je n’y suis pas encore arrivée », regrette Chantal Sabatier. Il y a bien le loto, mais elle a montré pendant le confinement qu’elle était « mauvaise perdante ».

Pendant deux mois et demi, le couple et leurs résident·es se sont totalement isolé·es, à l’exception de Gilles, qui allait faire les courses une fois par semaine. Résultat, aucun cas avéré chez eux comme dans les autres familles des Bouches-du-Rhône. Contrairement aux Ehpad dans lesquels plus de 150 personnes sont mortes depuis le début de l’épidémie, selon l’Agence régionale de santé. Pour garder une trace du quotidien, notamment en cas d’inspection du conseil départemental, Chantal Sabatier a continué à remplir les pages du carnet de bord des résident·es. « Toujours confinés au 22e jour. Tout se passe bien. Toujours la gym le matin. Promenade dans le jardin. Prend en même temps le soleil », peut-on d’ailleurs y lire à propos d’André Dressaire.

116 reportage France familles accueillates 5 © Maïté Baldi pour Causette
Alixias Gaillard, septuagénaire – la deuxième pensionnaire des Sabatier, arrivée en février dernier –, et André se préparent pour le déjeuner. © Maïté Baldi pour Causette

Parfois, quand la cohabitation devient trop compliquée, l’accueillant·e peut décider de rompre le contrat qui le ou la lie au ou à la résident·e. C’est ce qu’il s’est passé après le confinement avec une de ses pensionnaires. Atteinte de la maladie de Parkinson, la vieille dame était devenue « ingérable », se souvient Chantal Sabatier. Elle insultait ses colocataires. À tel point qu’André Dressaire avait perdu l’appétit. Elle a donc été placée en Ehpad. Partie en déambulateur, ­l’ancienne résidente se déplace désormais en fauteuil roulant. « Je sais qu’elle n’est pas bien, mais il fallait que je pense aux autres », rappelle Chantal Sabatier.

Installée dans une villa avec piscine située près de Châteauneuf-le-Rouge, Leïla Krelil aussi n’a pas toujours vécu de bonnes expériences. Elle se souvient de son premier contrat, signé il y a quatre ans, sans même rencontrer la personne. Erreur de débutante. La dame, atteinte d’une tumeur cérébrale, « passait de l’hystérie aux pleurs. J’étais complètement perdue », raconte cette femme coquette avec ses cheveux ramassés en chignon et sa robe noire. Depuis, elle a trouvé son rythme. De temps en temps, elle invite ses pensionnaires dans un bon restaurant et elle les accompagne deux fois par an en vacances. Elle aime aussi leur faire la manucure. « Une manière de maintenir leur identité en tant qu’être humain », dit-elle. Le métier d’accueillante, Leïla Krelil l’a découvert sur le tard. Il y a sept ans, après une carrière dans l’administratif, elle reprend des études de psychologie, mais ne parvient pas à valider son diplôme. Après plusieurs stages effectués en Ehpad, elle se renseigne pour travailler avec les personnes âgées. Elle découvre au fil de ses recherches le métier d’accueillant·e familial·e et la « polyvalence » qu’il offre. À la fois « aide-soignante, psychologue, coordinatrice et administrative », Leïla Krelil réalise qu’elle peut associer le soin psychique au soin physique. De quoi lui donner envie de se lancer.

« Il faut rester professionnelle tout en étant dans la bienveillance, mais sans mettre trop d’affect »

Leïla Krelil

Il y a quelques jours, elle a dû se séparer d’une de ses deux résidentes qui a été hospitalisée pour une fracture au bras, sa fille ayant ensuite décidé de la placer en établissement. La place libérée, les demandes ont aussitôt afflué, mais Leïla Krelil a appris à « prendre son temps » pour sélectionner une personne « adaptée à la famille ». Parmi les candidat·es, une ancienne professeure de théâtre, mais elle craint que ce profil ne colle pas avec celui de Christiane Raoul, sa pensionnaire depuis trois ans. Cette ancienne serveuse, qui adore la couleur rouge – on la retrouve sur ses ongles, ses lèvres et ses boucles d’oreilles –, a « un peu de mal avec les intellos ». Elle pencherait plus pour Dolores, une ancienne mère au foyer qui aime cuisiner.

« S’octroyer du temps »

Avec le temps, l’accueillante a aussi fini par trouver « la bonne distance ». « Il faut rester professionnelle tout en étant dans la bienveillance, mais sans mettre trop d’affect », analyse-t-elle, tout en précisant combien c’est « gratifiant d’offrir une belle fin de vie. On est là pour assurer le bien-être de la personne, pour qu’elle soit comprise, sans être infantilisée ». C’est d’ailleurs pourquoi elle tient à vouvoyer ses pensionnaires.

Elle veille également à préserver son équilibre familial. « Pour bien faire ce métier, il faut s’octroyer du temps », pense-t-elle, bien qu’il soit difficile de trouver une remplaçante lorsqu’elle veut prendre des congés. Il y a un an, Leïla Krelil a également décidé de ne plus partager les dîners avec ses pensionnaires. « Mon mari supportait difficilement de les voir cracher dans leur assiette ou poser leur dentier sur la table. Je me suis retrouvée face à un conflit, je voulais qu’elles participent à la vie de famille sans que personne ne souffre. »

116 reportage France familles accueillates 4 © Maïté Baldi pour Causette
Après sa séance de gym, André part se rafraîchir dans le jacuzzi sous l’œil rieur de Chantal. © Maïté Baldi pour Causette

C’est en discutant avec le conseil départemental qu’elle a trouvé cette solution. Elle peut aussi aborder ce genre de questionnements lors des visites à domicile effectuées par le médecin ou l’assistante sociale en fonction des besoins ou s’il y a des plaintes. Ces questionnements, Leïla Krelil peut aussi les soulever lors des journées de formation continue.

« Les conseils départementaux ont du mal à trouver des familles volontaires bien qu’elles soient rémunérées », constate Bénédicte Merabet, qui a participé, en 2012, à l’ouvrage collectif Dépendance des personnes âgées, un défi pour l’État social. « C’est un travail qui demande une grande disponibilité et qui peut difficilement être pratiqué en milieu urbain, car il faut avoir un grand logement. » Autre frein, l’impossibilité, en cas de perte d’emploi, de bénéficier de l’assurance chômage, le contrat signé entre les deux parties n’étant pas un contrat de travail mais un contrat de gré à gré, dans lequel chaque point est négocié. Ce dispositif a pourtant de nombreux avantages pour les personnes âgées, fait valoir Bénédicte Merabet. « On peut rester dans le cadre familial tout en bénéficiant de manière permanente d’une assistance. » Un argument de taille dans un contexte de crise sanitaire et au vu des prévisions démographiques : « Les projections montrent que le nombre de personnes de plus de 85 ans va exploser au fil des années, il faut que la société s’empare de cette question, il faut les accompagner de façon digne. Dans une société solidaire, on ne peut pas parler de ces gens qu’au travers des coûts qu’ils peuvent générer », ajoute Bénédicte Merabet.

D’autant que cette formule peut aussi permettre à des personnes vivant en milieu rural de trouver des débouchés professionnels. Ce fut le cas pour Séverine Bellier, 47 ans, qui réside dans l’Orne. Quand, il y a dix ans, elle se retrouve au chômage après un « licenciement abusif », Séverine Bellier décroche un travail de nuit, puis devient aide à domicile. Elle se retrouve à parcourir des dizaines de kilomètres par jour. Lui vient l’envie de faire autre chose. Mais « difficile quand on sait à peine lire et écrire de se présenter dans une entreprise », reconnaît celle qui vient de raconter son expérience dans un livre*.

116 reportage France familles accueillates 1 © Maïté Baldi pour Causette
Christiane vit depuis trois ans chez Leïla Krelil, accueillante familiale depuis quatre ans, près d’Aix-en-Provence.
© Maïté Baldi pour Causette
Une famille à part entière

En six ans, Séverine Bellier a accueilli pas moins de quatorze personnes. Autant de rencontres, souvent heureuses, parfois tumultueuses. Il y a celles qui s’inventent des maladies, d’autres qui en cachent de grosses. Celles qui deviennent un membre à part entière de la famille, puis les autres, qui préfèrent garder leur distance. Il y a aussi ces moments tragiques, comme la mort de cette pensionnaire, survenue en plein repas, devant son époux et ses trois enfants. Mais après tout ce temps, Séverine Bellier a toujours autant d’émotion dans la voix quand elle évoque sa fonction : rendre « heureux » celles et ceux qu’elle accueille, atténuer leurs « douleurs » et surtout le sentiment de « solitude » parfois très lourd quand on parvient au crépuscule de sa vie. « J’aime le contact des personnes âgées, j’aime la tendresse qu’ils me donnent et j’aime les pouponner », confie-t-elle.

L’accueillante, qui a grandi dans une famille de onze enfants, n’a jamais ressenti le besoin de préserver sa vie de famille. « Ils font partie de ma famille, lance-t-elle d’une voix à la fois assurée et rassurante. Partout où je vais, je les emmène. » Car ce qu’elle veut avant tout, c’est donner à ces hommes et ces femmes « du bonheur jusqu’au dernier souffle ».

*Bienvenue chez Séverine, de Séverine Bellier avec Catherine Siguret. Éd. Flammarion.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.