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© Womanizer Toys

Deuil pré­coce : un groupe de parole en ligne pour une soro­ri­té entre femmes endeuillées

Comment se remet-on de la disparition prématurée de son grand amour ? Où trouver du réconfort pour assumer ce que la société qualifie de « veuvage précoce » ? Les Petites veuvries entre amies sont un groupe de paroles en visio où des femmes viennent échanger et se soutenir. Causette s’est invitée à l’une de ces rencontres.

« Mon mari, Ben, est mort à 40 ans d’un arrêt cardiaque le 14 février 2020. Il était en déplacement au Moyen-Orient. Il voyageait beaucoup. J’étais habitée à vivre sans lui. Ce n’est pas son absence qu’il me faut accepter mais le fait qu’il ne reviendra pas. » Grande mèche sur le côté, sourire bienveillant, Sophie-Charlotte Chapman raconte son histoire pour initier le tour de table en visio. 21h, un mercredi de novembre. La 2e édition de Petites veuvries entre amies vient de démarrer. Ce rendez-vous vespéral - pour permettre à celles qui ont des enfants d’être plus disponibles - est une déclinaison des « Apéros de la mort » lancés par la journaliste Sarah Dumont, fondatrice de Happy End, le portail dédié aux obsèques et au deuil. L’objectif ? Proposer à des femmes endeuillées d’échanger entre elles pendant environ deux heures.

Initiatrice du compte Instagram @vcommevie où elle offre à d’autres veuves de partager l’épreuve qu’elles traversent, Sophie-Charlotte anime cet espace de parole virtuel. Confrontée elle-aussi à un veuvage dit « précoce », cette jeune quadra est convaincue du bien-fondé du partage de la parole. « Nous faisons face à une situation de vie particulière. Les livres, les psys, nos amis n’ont pas forcément les réponse à nos questions. Ecouter celles qui comme nous, ont perdu leur amour, peut nous aider à être un peu plus fortes… »

Les femmes sont plus concernées par le veuvage précoce

En France, on estime que 500 000 personnes vivent en situation de veuvage précoce, c’est à dire âgées de moins de 55 ans. Un bouleversement qui touche davantage les femmes en raison d’un taux de mortalité supérieur chez les hommes.  Ainsi, si on assimile un peu hâtivement le veuvage aux personnes âgées, il existe de très nombreuses jeunes veuves qui, en plus d’affronter la perte de leur conjoint, doivent gérer la présence d’enfants parfois en bas âge.

C’est le cas de Céline1, 37 ans, qui prend la parole juste après Sophie-Charlotte. Eclairée par la douce lumière de son salon, elle fixe l’écran et se met à son tour à évoquer le drame qui l’a frappée. « Mon compagnon s’est suicidé un 24 décembre il y a trois ans, à la suite d’un burn out. J’étais enceinte de notre deuxième enfant », confie-t-elle calmement. Elle raconte comment elle a dû gérer le rapatriement de Hong Kong où ils travaillaient dans l’hôtellerie en tant qu’expatrié·es et organiser une nouvelle vie avec ses deux filles âgées de 5 ans et 2 ans et demi aujourd’hui. « Nous allons bien toutes les trois. Mais je sens que je suis encore fragile. »

Recroquevillée au fond de son canapé, Sonia, elle, a perdu son mari âgé de 38 ans il y a à peine trois mois, des suites d’un cancer. « Je crois que je n’ai pas encore bien réalisé ce qui nous arrive, reconnaît cette maman de deux enfants de 10 ans et 6 ans. J’ai l’impression d’être en mode pilotage automatique. » La voix s’étrangle. Les larmes montent. Sonia coupe alors sa caméra et s’excuse via la messagerie instantanée. Sophie-Charlotte Chapman l’incite à continuer de suivre les échanges et à revenir quand elle se sentira prête. Ce que la jeune femme fera quelques minutes plus tard.

"Le premier anniversaire de sa mort - pourquoi dit-on anniversaire d’ailleurs, il n’y a rien à célébrer -  a été un moment très douloureux"

Elodie

Elodie enchaîne. Le 9 novembre 2020, « l’homme de [sa] vie » est mort brutalement. Rien ne le laissait présager. En fin d’après-midi, elle l’a retrouvé sans vie, assis sur le canapé. « Quand le deuil surgit, on n’a pas le choix : on avance. C’est ce que j’ai fait, un pas après l’autre. Je me suis mise à fond dans le travail. Mais le premier anniversaire de sa mort - pourquoi dit-on anniversaire d’ailleurs, il n’y a rien à célébrer -  a été un moment très douloureux. »

Même quand l’apaisement se fait sentir, il n’est pas rare de rechuter, ou de voir la douleur se raviver. « La durée du deuil est très variable d'une personne à l'autre, de quelques mois à plusieurs années. Chacune avance à son rythme et cherche des solutions pour aller mieux », reconnaît Sophie-Charlotte Chapman.

"Je veux qu’on continue d’évoquer Olivier. Je ne veux pas qu’on fasse comme s’il n’avait jamais existé."

Sandrine

Ce groupe de parole en visio est un nouveau lieu d’échanges où tout peut être dit et partagé. Car selon Sarah Dumont, « les personnes endeuillées ont besoin de mettre des mots sur le deuil qu’elles traversent ». Le nombre de participantes est plafonné à une quinzaine pour que tout le monde ait le temps de s’exprimer. « Mes amis, mes collègues de travail ont tellement peur que ça me fasse mal qu’ils me parlent de moins en moins de lui, explique Sandrine dont le conjoint est décédé d’une rupture d’anévrisme il y a cinq mois. Or je veux qu’on continue d’évoquer Olivier. Je ne veux pas qu’on fasse comme s’il n’avait jamais existé. » Comme le constate Sophie-Charlotte, le veuvage précoce est encore tabou dans notre société. On constate même une invisibilisation des personnes concernées remise un peu en question par une libération de la parole salvatrice via les réseaux sociaux. Déjà présente à la première édition des Petites veuvries, Sandrine confie en avoir retiré beaucoup d’apaisement.

Compte Facebook encore actif

Pour aller mieux, chacune a ses petits rituels que Sophie-Charlotte les incite à partager. Elodie, par exemple, a fait fabriquer un coussin « tout doux » avec une photo de son amoureux. Elle assume de le serrer contre elle quand le manque se fait sentir trop vivement. « J’ai aussi gardé son compte facebook actif et je partage des souvenirs de lui régulièrement. », explique-t-elle. Maman de deux jeunes enfants, Anne a dû assumer le départ de son mari d’un cancer foudroyant il y a un an. Très vite, elle a confectionné un livre photos pour son fils de 5 ans. Ils le feuillettent tous les soirs avant de se coucher à sa demande. Pour « ne pas oublier papa ».

Prochaines Petites veuvries entre amies le 15 décembre 2021


Traverser la foule, une odyssée du deuil « flamboyante »

Un soir de décembre 2017, Dorothée Caratini a retrouvé l’homme qu’elle aimait, et avec lequel elle avait deux fillettes âgées alors de 2 ans et de quelques mois, pendu au milieu de leur salon. Moment de stupeur, d’effarement, impuissance, puis obligation de se relever pour ses filles… Dans un beau premier roman largement autobiographique, elle raconte le choc et les conséquences de devenir tout à la fois veuve et maman isolée. Avec une écriture insoumise et un style très personnel, elle met en mots ce que traverse une trentenaire qui doit faire face au deuil prématuré de son amoureux : la montagne de démarches en tous genres, les injonctions de l’entourage à « aller mieux », à « prendre soin » d’elle, l’incompréhension face à sa pulsion de vie. Mais aussi la solidarité qui a grandi autour d’elle, dans la vraie vie et aussi sur les réseaux sociaux (@Do-Letsdance). Si elle confie être toujours en colère, malgré la vie qui avance, elle est parvenue à dompter ce torrent d’émotions. Notamment grâce à l’écriture. Ce que Dorothée redoutait le plus était d’être réduite à ce statut de « veuve ». Elle apporte la brillante démonstration qu’on peut « traverser la foule », la haute tête, qu’on peut ajouter de la légèreté à la vie même quand celle-ci se fait trop pesante.

Traverser la foule, édition Bouquins, septembre 2021.

  1. Tous les prénoms ont été modifiés[]
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