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150 ans de la nais­sance de Colette : une balade dans le « para­dis abso­lu » de l'écrivaine

Mieux qu’une simple demeure d’écrivain·e, la maison natale de Colette est une « maison-livre » où les pièces se visitent comme on tourne les pages de ses romans. Reportage à Saint-Sauveur-en-Puisaye, charmante localité de Bourgogne tant dépeinte par la romancière, à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de sa naissance, ce 28 janvier.

« En 1922, quand Colette écrit La Maison de Claudine, c’est celle-là. » La passion se devine tout de suite dans la voix de Jean-François Brégy lorsqu’il désigne de la main la grande bâtisse bourgignonne et bourgeoise qui s'offre à nos yeux. Comme pour accréditer ses paroles, il nous montre la petite plaque en marbre ronde sans prétention apposée sur la façade de craie blanche : « Ici, Colette est née » dit-elle. Il y a cent cinquante ans jour pour jour, le 28 janvier 1873, naissait ici Sidonie Gabrielle Colette. Dite Colette. « Elle passa ici les 18 premières années de sa vie dans un bonheur immense, quitter cette maison sera vécu comme un déchirement », raconte le président de l’association La Maison de Colette, qui gère les lieux depuis son ouverture au public en 2016.

L’année de sa naissance avait été marquée par un hiver glacial. Sympathique coïncidence, le vent glacial de ce mois de janvier en plein cœur de la Puisaye nous glace les mollets. « C’est tout de même dommage de ne pas visiter la maison au printemps, c’est à ce moment qu’elle est le plus à son avantage », précise Jean-François Brégy en riant. Il parle d’« elle » comme si c’était une femme faite de chair et de sang. Sûrement parce que l’illustre propriétaire jadis de ces lieux le faisait également. Plus que la charmante maison d’enfance d’une grande femme de lettres, le 10 rue Colette (autrefois rue de l'Hospice) est le personnage central qui traverse son œuvre, et ce dès son premier roman, Claudine à l’école, publié en 1900. Colette y dépeint le village de Montigny, qui est en vérité celui de Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).

« Paradis absolu » de Colette, cette grande maison n’est pas qu’une « maison livre », elle est aussi le lieu où s’est formée la personnalité et la sensibilité de l’écrivaine qui, jusqu’à sa mort en 1954 à 81 ans, choisit la liberté comme compagnonne de vie. C’est ici, à 180 kilomètres du fourmillement parisien, qu’elle acquit auprès de sa mère Sidonie, dite « Sido », sa connaissance des plantes et des bêtes, en somme l’attention délicate à tout ce qui peut vivre.

La plus belle maison du village

Nichée au cœur du petit village bourguignon, la maison natale de Colette est la plus belle de Saint-Sauveur. Ses larges fenêtres aux volets bleu gris, ses encadrements en pierre de taille et son toit en ardoise la distinguent d'emblée de ses voisines. Sauf, peut-être du château un peu plus haut, précise Jean-François Brégy. Le président prend une grande inspiration et voici que débute notre voyage dans la fin du XIXème siècle. Clin d’œil de l’histoire : sur le muret en pierre devant la maison, un gros chat tigré profite des rares rayons de soleil qui s’appliquent à faire fondre la neige sur les toits. On y voit forcément une réincarnation de Kiki la doucette, personnage félin de ses Dialogues de bêtes, ou encore de La Chatte, protagoniste d'un triangle amoureux délétère.

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Le salon. ©Christophe Lörsch

La visite de la maison natale commence toujours de l’autre côté de la rue. Dans « le jardin d’en face ». Les premiers propriétaires - les Robineau-Duclos - ont acheté ce petit carré pour se prémunir du vis-à-vis. « Un privilège que seuls peuvent s’offrir les bourgeois du XVIIIe siècle », indique Jean-François Brégy. Il offre désormais une première vue grandiose sur la bâtisse aux visiteur·ses. Ils·elles sont 15 000 par an depuis 2016, souligne-t-il.  

Un long travail de restauration

Sauvée de l’oubli en 2011 grâce à des fonds privés ainsi que des subventions publiques françaises et européennes, la maison se visite comme on tournerait les pages d’un roman de Colette. Et pour cause : la restauration de la bâtisse bourgeoise s’est uniquement appuyée sur de rares photos retrouvées, des inventaires de meubles éparpillés dans la région, et surtout, sur les descriptions très précises qu’en fait Colette dans ses livres. Ce qui permet aux visiteurs·teuses de voir par exemple la chocolatière, qui trône encore sur la table de chevet des parents, où, selon Sido, la nuit, une grosse araignée descendait du plafond pour y boire jusqu’à satiété avant de reprendre sa place au centre de son gréement de soie. Et comme le parti pris est de rester fidèle aux descriptions de Colette, puisque cette dernière passe sous silence la chambre de ses deux grands frères, l’association a choisi de laisser la pièce vide et d’y installer chaque été une exposition temporaire en lien avec l'autrice.

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Chambre à coucher des parents de Colette. ©DR

La restauration des lieux a pris du temps. Lorsque l’association rachète la maison en 2011, le toit menace de s’effondrer. Cinq années de travaux et 1,5 million d'euros, sont nécessaires pour la reconstituer telle qu'elle était entre 1873 et 1891. Grâce à des ventes et des dons de « colettophiles », 30 % du mobilier est aujourd’hui d’origine. Le piano du salon est ainsi celui où les quatre enfants de Sido ont posé leurs doigts. Le reste est reconstitué plus que fidèlement, jusqu’aux livres de la bibliothèque du capitaine – Jules, le père de Colette – placés dans l’ordre où ils étaient rangés à l’époque.

Certains chantiers ont demandé beaucoup d’efforts. « Des enquêtes stratigraphiques ont permis de retrouver, derrière les revêtements contemporains, des fragments des couleurs et des décors bourgeois du passé que les peintres ont ensuite reconstitués le plus fidèlement possible », souligne Jean-François Brégy. Ainsi, tous les papiers peints ont été reproduits avec les techniques d’époque. « Ils retrouvent le même état de fraîcheur et la même fragilité que lorsque Sido les a choisis en arrivant à Saint-Sauveur après son mariage », précise-t-il. Un choix qui a un certain coût. « Ce n'était pas négociable de faire autrement pour nous », affirme Jean-François Brégy. Aujourd'hui, la petite structure, propriété d'une association, ne bénéficie d'aucune subvention et dépend exclusivement des entrées payantes et des dons privés.

L’amour fusionnel d’une mère

Au fil de la visite, on remonte également le fil de l’enfance de l'ancienne propriétaire des lieux. De sa naissance dans le lit de sa mère, à ses premières années dans sa petite chambre située juste au-dessus qu’elle occupera jusqu’à l’âge de onze ans avant de récupérer la grande de l’étage, libérée par le mariage de sa demi-sœur, Juliette. « Le passage à l’étage fut une grande joie pour la petite mais un désespoir pour sa mère », soutient Jean-François Brégy ajoutant parmi ses nombreuses anecdotes, que plus d’une fois, Colette se réveillera dans son ancienne chambre, enlevée par sa mère dans la nuit.

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Première chambre de Colette. ©Clier

Le paradis absolu de Colette ne se limite pas à la maison. Elle cache à l’arrière un jardin, lui aussi reproduit d’après les descriptions de l'écrivaine. C’est ainsi que le potager pu retrouver sa place initiale en remplaçant la piscine creusée par les précédents proprios. Seule la glycine monumentale a connu Colette enfant. « Je n’ai jamais connu cette grille que tordue, arrachée au ciment de son mur, emportée et brandie en l’air par les bras invincibles d’une glycine bicentenaire », écrit-elle dans La Maison de Claudine.

Réhabilitation

À la différence d’autres illustres maisons d’écrivain·es, celle de Colette n’est pas un lieu de création. Lorsqu’elle publie Claudine à l’école, elle a déjà quitté Saint-Sauveur depuis dix ans. Colette a en effet dix-huit ans lorsqu’avec sa famille ruinée, elle doit quitter sa maison et le village de Saint-Sauveur-en-Puisaye. « Elle ne se remettra jamais de ce départ », glisse Jean François Brégy. Elle en récupère l’usufruit bien des années plus tard, à l’âge de 52 ans, grâce à un riche lyonnais et admirateur de l’écrivaine qui se porte acquéreur de la bâtisse pour lui en offrir la jouissance. Colette a d’abord pensé s'y réinstaller avant d’y renoncer, en raison de l’hostilité du village. « Pour écrire Claudine à l’école, Colette avait trempé sa plume dans l’acide en caricaturant les habitants de Saint-Sauveur, tout le monde est passé à la moulinette », indique Jean-François Brégy qui raconte qu’à l’inauguration de la plaque en marbre sur la façade, l’écrivaine ne put sortir de sa voiture car les villageois·es l’attendaient avec des pierres. La maison est revendue et c’est dans ses livres, désormais, qu'elle vivra... jusqu’à aujourd’hui.

Pour célébrer le 150e anniversaire de sa naissance, un buste en bronze de Colette, réalisé par l’artiste française Nacéra Kainou, a été inauguré ce samedi matin au fond du jardin d’en face. « J’appartiens à un pays que j’ai quitté », écrivait-elle dans Les Vrilles de la vigne en 1908. Soixante-neuf ans après sa mort, Colette a symboliquement retrouvé ce pays tant aimé d’où elle peut désormais admirer son « paradis » pour l’éternité.

La maison de Colette est ouverte du 1er avril au 12 novembre de 10h30 à 18h.
Tarif : 12 euros pour les adultes. 6 euros pour les enfants de 6 à 17 ans et gratuit pour les moins de 5 ans.
Réservation vivement conseillée sur le site.

Lire aussi I C'est la Sainte-Colette ! Voici deux idées pour célébrer la géniale écrivaine

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