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Estelle Mouzin. ©Capture d'écran LCI

Vingt ans de la dis­pa­ri­tion d’Estelle Mouzin : pour­quoi l’affaire n’est jamais tom­bée dans l’oubli

Vingt ans après la disparition de la petite fille au pull-over rouge, notre société reste marquée par ce fait-divers au retentissement national.

En janvier 2003, j’ai neuf ans. Le même âge qu’Estelle Mouzin, une petite fille qui vient tout juste de disparaître sur le chemin du retour de son école à Guermantes, un petit village de Seine-et-Marne. Un passant affirme l’avoir vue près d’une boulangerie vers 18 heures, à 750 mètres de chez elle. Mais Estelle ne rentrera jamais à la maison. Un peu avant 20 heures, sa mère Suzanne prévient la gendarmerie de sa disparition. Ce soir du jeudi 9 janvier 2003 débute une longue et périlleuse enquête judiciaire. Depuis, les années ont passé. Deux décennies se sont écoulées précisément. Mais l’affaire continue de marquer notre société.

Estelle Mouzin, c’est un prénom et un nom. Mais surtout un visage sur une photo que personne - née avant les années 2000 - n’a oublié. Celui d’une petite brune aux yeux verts, un sourire timide, portant un pull-over en laine rouge sur fond bleu clair. À l'instar de la petite Marion Wagon disparue en 1996 et surnommée « la petite fille des briques de lait », le portrait d'Estelle devient le symbole des enfants disparu·es et s'invite dans des millions de foyers français. En janvier 2003, le dispositif Alerte-Enlèvement n’existe pas encore – il sera créé trois ans plus tard – mais déjà l’avis de recherche de la petite Estelle est placardé partout. Dans les journaux, sur des panneaux publicitaires, sur les vitrines des magasins, mais aussi dans les aéroports et les gares. La moindre avancée dans l’enquête fait la une des journaux télévisés et un portrait géant de la fillette est même déployé deux mois après sa disparition, au départ du semi-marathon de Paris. 

Le combat d’un père 

Ces actions ont permis d’imprimer son visage et son histoire dans notre mémoire. À elles, s’ajoutent les multiples ricochets qu’a connu l’enquête en vingt ans. « Les émotions liées au fait divers se réenclenchent au gré des rebondissements judiciaires. Ils ont maintenu un état de veille et d’alerte pendant toutes ces années », appuie la psychanalyste spécialiste en criminologie, Diane Baudry, auprès de Causette. Un état de veille consolidé par l’inlassable combat des parents Mouzin, à commencer par le père, Éric. Dans la foulée de la disparition de sa fille, il crée l'association « Estelle » - toujours active aujourd'hui- pour la retrouver. « La portée symbolique d’un fait-divers dépend du comportement des parents, explique Carole Damiani, psychologue clinicienne et directrice de l'association Paris Aide aux victimes. D’autres affaires de disparition d’enfant ont été médiatisées puis sont tombées rapidement dans l’oubli, car les parents ont fait le choix de se battre dans la discrétion. Dans celle d’Estelle Mouzin, son père s’est démené aux yeux du grand public. Ça a permis de ne pas l’oublier »

D'après la psychologue, la personnalité de l’auteur des faits entre également en compte dans l'intérêt porté à un fait divers. Dans l’affaire Estelle Mouzin, il y a celle, complexe et dangereuse, du tueur en série et pédocriminel Michel Fourniret – qui a avoué avoir enlevé, violé puis étranglé la fillette en 2020« Un criminel aussi pervers va toucher différemment les esprits, précise Carola Damiani.  Ce n’est pas un crime banal et impulsif, donc cela a forcément des répercussions sur les populations. » 

Car la disparition d’Estelle Mouzin est avant tout la disparition d’une enfant de neuf ans. « La disparition d’une fillette crée évidemment de l’émotion, l’impact sera beaucoup plus fort dans la mémoire collective à l’échelle nationale », note Diane Baudry. « Chaque parent se dit “Ça pourrait être notre fille”, il y a une identification très forte à cette fillette mais aussi à ce que traverse la famille », ajoute-t-elle.

Trauma collectif ? 

Peut-on pour autant parler d’un traumatisme collectif ? Pour Carole Damiani la réponse est complexe : « La population peut être choquée bien sûr mais il n’y aura pas de séquelles à la différence de la famille de la victime. Les proches vivent le traumatisme, le reste de la population s’y identifie ».  D’autant plus lorsque le drame se noue dans un petit village où tout le monde se connaît. « La disparition d’Estelle Mouzin a impacté, inquiété et alerté notre société sur les violences faites aux enfants. On est sortis d’une sorte de confiance où il était normal de laisser son enfant rentrer seul. On a davantage été dans une attitude de méfiance après cela », analyse Diane Baudry. 

En janvier 2003, moi aussi, je rentre de l’école seule, à pied. Et moi aussi je vis dans une petite ville où tout le monde se connaît. Comme beaucoup de mes amies, après la disparition d’Estelle, ma mère me répètera encore plus intensément de faire attention dans la rue et de ne jamais monter dans la voiture d’un inconnu. Dans les mois qui ont suivi, elle viendra même souvent me chercher le soir à la sortie de l’école.

Absence de corps 

Au cours des vingt dernières années, l’affaire Estelle Mouzin a souvent refait surface. Surtout judiciairement. En tout onze campagnes de fouilles se sont succédé et 150 personnes ont été placées en garde à vue dans ce dossier tentaculaire de 85 tomes (littéralement) dont toutes les pistes se sont toutes avérées être des impasses... jusqu'en 2019 avec le transfert du dossier du tribunal de Meaux à celui de Paris. « Le fait que cela à pris énormément de temps a forcément joué dans l’intérêt que l’on a porté à ce fait-divers. Et que l'on porte encore car il reste encore de nombreuses questions en suspens », estime Diane Baudry.

En mars 2020, celui qu’on surnomme tristement « l’Ogre des Ardennes »,  reconnaît « avoir pris la vie » d’Estelle Mouzin. De nouvelles fouilles sont alors lancées dans l’ancien domicile de Fourniret, en vain. L'homme meurt un an plus tard et le corps d’Estelle n’a, à ce jour, pas été retrouvé. Aujourd’hui, il ne reste que Monique Olivier, compagne du tueur, qui pourrait être jugée en 2023 pour complicité dans l’affaire Mouzin. 

L'ultime hommage

Selon Diane Baudry, l’absence de corps a amplifié l’intérêt autour de ce fait divers. « La perte d’un enfant est déjà un deuil impossible, pointe la psychanalyste. Alors quand on n’a pas de corps à enterrer, le deuil devient inconcevable. » Si l’affaire tombera certainement un jour définitivement dans les limbes de l’oubli, pour Diane Baudry, il reste nécessaire de découvrir le corps d’Estelle Mouzin. « Même si la réponse vient dans cinquante ans, on aura une réponse et c’est important pour la famille bien sûr mais aussi pour la société. Le récit sera le même, toujours terrible, mais il sera complet, il n’y aura plus de trou. » 

Estelle Mouzin aurait 29 ans aujourd’hui. Le 7 janvier dernier, Éric Mouzin a organisé – comme chaque premier week-end de janvier depuis vingt ans - une marche blanche à Guermantes. À la différence près qu’il s’agissait cette fois de la dernière. La dernière fois que le cortège silencieux s'est rendu de la place centrale du village, là-même où la fillette aurait disparu en quinze secondes le 9 janvier 2003, au cerisier japonais planté deux ans plus tard en sa mémoire. En attendant de retrouver, un jour peut-être, son corps, cet arbre reste l’unique lieu de recueillement. Et ce n'est pas un hasard s'il symbolise l'espoir.  

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