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Travailleurs·euses handicapé·es en Esat : de nou­veaux droits, mais tou­jours exploité·es

Depuis le 1er janvier, les personnes handicapées qui travaillent dans les établissements et services d’aide par le travail (Esat) ont le droit de faire grève et de se syndiquer. Mais malgré cette avancée historique, ces travailleurs et travailleuses sous-payé·es sont toujours soumis·es à un statut d’exception, hors du droit du travail.

Ils et elles entretiennent des espaces verts, conditionnent des produits divers, restaurent des meubles, assemblent du matériel électronique, soudent des pièces de voiture, cousent des vêtements, font du maraîchage, de la floriculture, de la restauration ou de l’artisanat… Des travailleurs et travailleuses a priori comme les autres, si ce n’est qu’ils et elles exercent leur activité dans un établissement et service d’aide par le travail (Esat). Ces structures médico-sociales, qui visent à favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes en situation de handicap, permettent à celles et ceux qui ne peuvent travailler ni en milieu ordinaire ni en milieu adapté d’avoir une activité professionnelle. On en compte près de 1500 à travers la France, accueillant environ 119 000 personnes. Des petites mains bien souvent invisibles qui, depuis le 1er janvier, ont désormais le droit de faire grève et de se syndiquer.

Adoptée en novembre 2023, la loi “pour le plein emploi” a en effet octroyé de nouveaux droits à ces travailleurs et travailleuses handicapé·es. Des mesures dont bénéficient les salarié·es lambda – pour certaines, depuis belle lurette –, mais dont étaient jusqu’alors exclus les personnels des Esat. Désormais, ces derniers pourront faire valoir leur droit d’expression, d’alerte ou de retrait et auront la possibilité de participer à une instance représentative du personnel. À compter du 1er juillet, ils auront aussi droit aux remboursements de leurs frais de transport, à une complémentaire santé et pourront bénéficier des éventuels titres-restaurant ou chèques vacances proposés par la structure.

“Ces avancées, qui étaient prévues depuis quelques années, vont dans le bon sens. Mais ça reste insuffisant, car les travailleurs des Esat sont toujours considérés comme des usagers [de ces établissements, ndlr] et non comme des salariés. Ça ne va pas au bout de la logique de l’égalité des droits, pourtant promue par la loi de 2005”, regrette François Couturier, président de l’Association nationale de défense des malades invalides et handicapés (AMI).

Payé·es 60 % du Smic

Comme lui, le député écologiste Sébastien Peytavie (Génération.s) a publiquement pointé les limites de ces nouvelles mesures. “Le gouvernement se congratule d’une convergence historique des droits des personnes handicapées en Esat avec ceux des salariés. Mais en l’état, cette transposition des droits reste incomplète. Non, nous ne pouvons pas affirmer que les travailleurs en Esat disposent aujourd’hui des mêmes droits que les salariés dits en milieu ordinaire, alors qu’ils gagnent 5 euros de l’heure, qu’ils ne peuvent cotiser ni pour leur retraite ni pour le chômage, et quand la période d’essai en Esat est en moyenne d’un an”, a-t-il dénoncé dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, lors de l’examen du texte. 

C’est là le cœur du problème : les Esat étant des structures médico-sociales, les personnes handicapées qui y travaillent n’ont pas le statut de salarié·es, mais d’usager·ères. Relevant du Code de l’action sociale et des familles, et non du Code du travail, elles ne bénéficient donc pas des mêmes droits que les salarié·es. Fin 2022, un décret est venu leur ouvrir quelques-uns de ces droits, comme le doublement de la rémunération en cas d’activité le 1er mai, l’octroi d’un repos compensateur en cas de travail exceptionnel le dimanche, ou l’alignement sur le droit commun de la durée du congé exceptionnel en cas de décès d’un·e proche (passé de 3 à 7 jours), de mariage (4 jours), de naissance (3 jours)… Mais un an et une nouvelle loi plus tard, le compte n’y est toujours pas. 

À commencer par la rémunération – qui n’est pas un salaire, mais une “indemnisation”. Financée à la fois par l’État (à hauteur de 50,7 % du Smic) et par l’Esat (au moins 5 % du Smic), celle-ci est comprise entre 55 % et 110 % du salaire minimum. Du moins, en théorie. Car dans les faits, la part de rémunération brute prise en charge par les Esat s’élève en moyenne à 11 % du Smic. Et selon le dernier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), ces travailleurs et travailleuses sont rémunéré·es 800 euros net par mois, en moyenne, pour un temps plein… Soit environ 60 % du salaire minimum. “Bien sûr, on nous dira qu’il y a l’AAH [Allocation adulte handicapée] pour compenser. Mais l’allocation ne permet pas de cotiser pour la retraite ni pour le chômage”, pointe François Couturier, de l’AMI, qui milite, avec d’autres, pour que les usager·ères des Esat accèdent au statut de salarié·es. 

À qui profitent les Esat ?

Mais les fédérations gestionnaires d’Esat ne l’entendent pas de cette oreille et défendent, au contraire, le statut spécifique des travailleurs et travailleuses des Esat. “L’objection étant que, s’ils deviennent salariés, ils pourront être licenciés et seraient donc moins protégés. Or aujourd’hui, une direction d’Esat qui veut se séparer d’un usager est en possibilité de le faire. Et l’on pourrait penser un statut de travailleur ordinaire, avec des protections spécifiques, comme cela existe pour les travailleurs intérimaires ou les associations d’insertion, par exemple”, argue François Couturier.

Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’un changement de statut mettrait à mal le modèle économique des Esat. Un secteur qui dégage un chiffre d’affaires d’environ 2 milliards d’euros par an et où certain·es n’hésitent pas à faire du handicap un argument commercial. Car la sous-traitance aux Esat ne permet pas seulement de favoriser l’insertion des personnes handicapées ou de bénéficier d’une main-d’oeuvre à bas coût, elle permet aussi aux entreprises qui n’emploient pas 6 % de personnes handicapées de baisser le montant de la taxe Agefiph (pour Association pour la gestion des fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) à laquelle elles sont soumises.

“Économisez près de 11 000 euros par travailleur handicapé manquant à votre effectif”, vante par exemple une entreprise qui vend des ramettes de papier conditionnées en Esat. “Plus de 175 travailleurs handicapés sont prêts à répondre à vos besoins à un coût défiant l’externalisation tout en vous permettant de réduire votre taxe Agefiph”, promettait une autre sur les réseaux sociaux. Loin, bien loin, des ambitions d’insertion sociale et professionnelle affichées sur le papier.

Sous-payé·es, bien souvent astreint·es à des tâches répétitives, les usager·ères des Esat sont également très peu à pouvoir espérer une quelconque évolution professionnelle. Comme le souligne l’Igas, “le passage vers le milieu ordinaire de travail concerne environ cinq cents personnes, soit un taux de sortie de 0,47 % par an (une à deux personnes par an et par Esat en moyenne)”. Dans un avis rendu en septembre 2022, le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU appelait d’ailleurs à en finir avec cette forme d’“emploi ségrégué”. “Avant de parler de les fermer, donnons déjà aux travailleurs des Esat un statut de salarié”, nuance François Couturier, de l’AMI. Début décembre, cette dernière a adressé une lettre en ce sens à la Première ministre, cosignée par huit autres associations et – fait nouveau – par trois organisations syndicales. Courrier resté sans réponse pour le moment. 

Pour aller plus loin :

71MvxwMuqL. SL1274

Handicap à vendre, une enquête de Thibault Petit. Les Arènes, 2022, 240 pages, 21 euros.

Lire aussi I Scolarité et handicap : quand les parents pallient eux-mêmes les défaillances de l’État

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