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Visuel extrait de l'étude de l'AJL

Transidentité : une étude montre com­ment "Le Figaro" ou encore "Marianne" agitent la panique morale

L'Association des journalistes LGBT+ publie ce mercredi une étude fouillée sur le traitement médiatique de la transidentité en France. Le Huffington Post et l'AFP font figure de meilleurs élèves. Inquiétudes sur la santé mentale de CNews, en pleine dissonance cognitive entre le web et la télé.

« La façon de traiter des transidentités est un marqueur de positionnement politique : pour la presse conservatrice, il s’agit de dénoncer les dérives supposées que représente la visibilisation des personnes trans et de leurs droits. » Ce mercredi 22 février, l'Association des journalistes LGBT+ (AJL) publie l'étude Transidentités : de l'invisibilisation à l'obsession médiatique, dans laquelle elle analyse de façon fouillée le traitement de 434 articles parus dans 21 titres de presse entre fin août et novembre derniers afin de mesurer l'augmentation de la parole transphobe dans les médias. À noter que Causette ne fait pas partie du panel observé.

Pour mesurer la qualité des articles, l'AJL a retenu plusieurs critères : « utilisation du bon prénom et des pronoms des personnes citées ; absence de mégenrage ou de mention du deadname (morinom) ; respect de la dignité des personnes ; présence de personnes trans parmi les interviewé·e·s ; mention (ou non) de personnes notoirement transphobes ; mention d'une opposition entre femmes et personnes trans ; mise en scène d’un danger pour les enfants ; respect de la déontologie journalistique... » De quoi classer ensuite chaque article dans trois catégories : « bonne qualité », « à améliorer » et « mauvaise qualité ».

Le "HuffPost" se distingue en bien, le "Figaro" en pire

Résultat : Le Huffington Post apparaît comme le meilleur élève de la classe, avec 93,8% d'articles sur le sujet de « bonne qualité » et le reste de sa production (6,3%) « à améliorer ». Il est suivi par 20 Minutes (77,8% de « bonne qualité » ; 22,2% « à améliorer ») ou encore BFMTV (69,2% et 30,8%). Face à ces bons résultats, « il convient de louer la nette amélioration du traitement médiatique des transidentités, enfin perçues comme un sujet d’actualité à part entière », affirme l'AJL.

Mais les progrès demeurent « fragiles » aux yeux de l'association, notamment parce que de grandes disparités existent entre les 21 titres étudiés. Ainsi, ce sont L'Express, Marianne et Le Figaro qui obtiennent les moins bons scores, avec respectivement 60%, 58,3% et 57,1% de « mauvaise qualité ». Ce dernier a, durant la période observée, « particulièrement multiplié les articles injuriants et sensationnalistes, à travers notamment Le Figaro Vox », espace de tribunes transformé en « vitrine pour les discours transphobes », dénonce l'AJL.

Sensationnalisme & "femellistes"

Dans le détail, l'AJL explique que ces titres véhiculant une pensée transphobe le font souvent à l'occasion de faits d'actualité dont ils s'emparent à brûle-pourpoint. Ainsi de « l'affaire » du Planning familial qui, à la fin de l'été dernier, a diffusé un dessin d'homme trans enceint pour revendiquer la prise en charge par la structure associative de tous les publics. « Sur cette polémique, Le Figaro a publié 4 articles, L’Express 3 articles, Le Point 2 articles, Marianne 3 articles également », observe l'AJL, soit à eux seuls « 40% des articles sur le sujet, sur une vingtaine de médias étudiés ». Et analyse : « Cette affaire a été le prétexte, pour certains médias conservateurs, à la création d’un sujet médiatique, destiné à diaboliser et créer une panique morale autour des personnes trans et de leurs droits. »

À ces traitements « sensationnalistes » qui font grimper les audiences en ligne s'ajoute la diffusion des discours de « figures anti-trans » au détriment de la parole des personnes concernées. « Parmi les médias étudiés, Le Figaro est celui qui compte le plus d’articles interrogeant au moins une personne ouvertement transphobe : 25 articles sur 70, soit 35,7% », note l'AJL, suivi par Marianne et Le Point. Ces médias s'appuient sur des « personnalités phare de la droite et de l'extrême droite » type Eric Zemmour. Mais aussi sur d'autres qui ont fait de la lutte contre ce qu'elles considèrent comme des « dérives » de la transidentité un combat quotidien : « Les militantes "femellistes" Dora Moutot et Marguerite Stern », intéressantes pour ces médias en ce sens qu'elles disent se mobiliser pour défendre les femmes cis et le féminisme face au « péril » transidentitaire. Ou encore des figures du champ médical telles que « la psychanalyste Céline Masson et la pédopsychiatre Caroline Eliacheff, autrices de La Fabrique de l’enfant transgenre. »

L'AFP relève le niveau

D'ailleurs, c'est souvent la transidentité des mineur·es qui fait l'objet des crispations les plus intenses, niveau conservatismes. « Il y a eu un changement avec la médiatisation des enfants et ados trans, à partir du moment où le thème a été repris par les personnes tenant des rhétoriques anti-trans », observe Karine Espineira, sociologue des médias, dans un entretien donné à l'AJL et commentant l'étude. Celle qui date cette évolution à 2019 développe : « On ne parle quasiment plus de personnes trans comme moi. J’ai 55 ans, et c’est à six ans que j’ai compris. Les adultes trans d’aujourd’hui ont été des enfants un jour, mais on occulte cette parole dans les rhétoriques actuelles. »

Autre point saillant de l'étude : pour l'AJL, les bons scores de certains titres reposent souvent sur... le travail de l'Agence France Presse (AFP), dont ils reprennent les dépêches. « Dans un certain nombre de publications, le traitement respectueux des transidentités passe essentiellement par des dépêches AFP », affirme l'AJL. Si l'association concède qu'il convient « de louer le travail effectué par l’agence sur le sujet », elle prévient : « Sans l’AFP, les proportions [générales de l'étude] sont complètement différentes ». De 55,4% d'articles labellisés « bonne qualité » pour l'ensemble du corpus, on passerait sous la barre des 50%, à 49%.

Dissonance cognitive & café du commerce

Pire, à l'échelle du même média, cela se se traduit parfois par une grotesque situation de dissonance cognitive. Cela est particulièrement frappant chez CNews, relève l'AJL. Alors que la chaîne d'extrême droite « est coutumière des paniques morales à l’antenne », sur son site internet, « un seul article a été considéré de mauvaise qualité sur les 12 retenus dans l’étude ». En cause : la propension télévisuelle, comme dans la rubrique Figaro Vox citée plus haut, de traiter la transidentité sous le prisme du commentaire, tournant le plus souvent à l'outrance du café du commerce.

Sans que les écarts de traitement soient toujours aussi flagrants, l'AJL note enfin que les progrès « reposent souvent sur certaines bonnes volontés individuelles » au sein du même média. Et de citer des titres tels que Le Monde, Libération, Gala ou encore L'Obs dans lesquels une « différence de qualité » notable a été observée « selon les signatures ou les rubriques ». Pour ces élèves au milieu du panier, l'AJL pose la question de « la solidité des acquis » des rédactions : « Repose-t-elle sur les compétences individuelles des journalistes, ou sur une prise en charge collective et encadrée au sein des médias ? » 

Lire aussi l “La Panique woke”, le livre qui pourfend les méthodes pas très cathos des anti-wokes

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