2R4A4765 simple
De gauche à droite : Marie-Pierre, Elena, Nadia, Tonia et Inga en mars 2022 à Saint-Didier-de-Formans © Magali Corouge pour Causette

Témoignages : à quoi res­semble la vie de Tonia, réfu­giée ukrai­nienne, un an après son arri­vée en France

Où en sont les réfugié·es ukranien·nes et leurs familles d'accueil fran­çaises au bout d'un an de guerre ? Causette est repar­tie à leur ren­contre pour leur deman­der la suite de l'histoire.

En avril der­nier, Causette vous pro­po­sait un long récit à la ren­contre des réfugié·es ukranien·nes tout juste arrivé·es en France pour fuir la guerre mais aus­si des Français·es qui les ont accueilli·es à bras ouverts. Un an après le début de l’invasion de la Russie le 24 février, nous avons recueilli les témoi­gnages de ces per­sonnes, Ukrainiennes et Françaises, pour connaître la suite de l’histoire. 

Chantier admi­nis­tra­tif, quête d’un tra­vail et d’autonomie, sco­la­ri­sa­tion des enfants, retour au pays pour certain·es, pesante pro­mis­cui­té par­fois mais sur­tout nais­sance d’un lien sin­gu­lier : l’épopée des Ukrainien·nes en France et de leurs géné­reuses familles d’accueil raconte une soli­da­ri­té spon­ta­née qui n’a pas été sans contra­rié­tés mais qui res­te­ra gra­vée dans les mémoires des pro­ta­go­nistes. Dans le pre­mier article de cette série, nous retrou­vons Marie-​Pierre, pay­sa­giste cin­quan­te­naire à Saint-​Didier-​de-​Formans (Ain) et Tonia, une jeune femme ukra­nienne res­tée six mois chez Marie-​Pierre avec ses deux enfants, Nadia, 6 ans, et Micha, 2 ans.

Marie-​Pierre

“Début mars 2022, mon mari et moi avons accueilli dans notre mai­son Elena, 27 ans, Inga, 32 ans et Tonia, sa sœur, venue avec ses deux enfants. Leur arri­vée s’est faite 24 heures seule­ment après m’être por­tée volon­taire auprès de l’association Enfants Ukraine 01, qui avait sol­li­ci­té le réseau asso­cia­tif de Saint-​Didier pour trou­ver des per­sonnes prêtes à héber­ger. Notre vil­lage a accueilli une tren­taine de per­sonnes et la plu­part sont encore là aujourd’hui.

Dès le début, la coha­bi­ta­tion avec ces femmes qui ont dû fuir à la hâte leur pays a été pai­sible, très agréable. Ça a été plus com­pli­qué sur la durée, parce qu'au bout d'un moment, avoir quelqu'un chez vous qui n'est pas de votre famille, c'est for­cé­ment un peu com­pli­qué, comme ça l’était pour elles d’être ici en invi­tées. Même si j’ai la chance de pou­voir adap­ter mes horaires, le fait que nous tra­vaillons mon mari et moi les a ren­dues un peu livrées à elles-mêmes. 

"C'est ter­rible d'être chez des gens qui ne sont pas comme vous et en plus, de ne rien faire." 

Tout de suite, elles m'ont deman­dé com­ment faire pour aider dans la mai­son. J’ai dit que le plus simple, c'était qu'elles fassent les repas de midi et moi ceux du soir. Elles ont été très contentes de se sen­tir utiles. C'est ter­rible d'être chez des gens qui ne sont pas comme vous et en plus, de ne rien faire. 

En avril, j'ai embau­ché deux de ces jeunes femmes dans mon entre­prise parce que le prin­temps est une sai­son de grande acti­vi­té pour les pay­sa­gistes. Plutôt que de pro­po­ser un emploi à temps plein à l’une, j'ai pré­fé­ré faire deux mi-​temps, qu’ont pris Elena et Inga. Elles étaient très deman­deuses, en fait, dès le pre­mier jour elles deman­daient com­ment faire pour travailler.

Des béné­voles d’Enfants Ukraine 01 – en fait, l’association a été mon­tée sur le tas dans les semaines qui ont sui­vi l’arrivée des réfu­giés – ont pro­po­sé dans le vil­lage des cours de fran­çais tous les matins pour la tren­taine de per­sonnes accueillies dans le coin. Ensuite, plus les niveaux ont pro­gres­sé plus notre sou­tien non pro­fes­sion­nel a mon­tré ses limites et il a fal­lu trou­ver des cours plus sou­te­nus en ville.

Le sou­tien asso­cia­tif, des ins­tits ou encore des maires à ces réfu­giés a été indis­pen­sable dans la rura­li­té mais je consi­dère que l’État a bien fait son bou­lot en ce qui concerne les faci­li­ta­tions admi­nis­tra­tives. Je suis encore impres­sion­née par la vitesse à laquelle Tonia, Inga et Elena ont obte­nu des papiers. Au bout de trois jours, elles avaient déjà toutes une carte leur don­nant accès à la CMU [Couverture mala­die uni­ver­selle, ndlr]. Trois semaines après leur arri­vée, elles rece­vaient un per­mis de séjour leur per­met­tant de res­ter et de tra­vailler. Il n'y a aucun autre étran­ger qui est trai­té comme ça. Dès que j'appelais quelque part, qu’il s’agisse de l'école, de la crèche, de la PMI ou encore de la pré­fec­ture, j’obtenais une réponse immé­diate, un contact dans l’administration et une prise en charge. C’était super efficace.

"Tonia a déci­dé qu'elles ne ren­tre­raient pas en Ukraine avant juin, afin de finir l’année sco­laire des enfants. Nadia, en CP, s'est alors beau­coup plus inves­tie et fait désor­mais ses devoirs."

Dès leur arri­vée, j’ai enta­mé des démarches pour qu’elles obtiennent un loge­ment social. Tonia et Inga, les deux sœurs, en ont décro­ché un. Elles l’ont payé elles-​mêmes avec leurs propres reve­nus. Tonia jongle entre un emploi dans la res­tau­ra­tion où elle fait le ser­vice du midi, des heures de ménage et un poste de dame de com­pa­gnie pour per­sonne âgée pour com­plé­ter. Elles ont aus­si fait un peu de maraî­chage, lorsqu’il y a eu des besoins pour le ramas­sage des fruits. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut cumu­ler pour avoir un salaire cor­rect à la fin.

C’est dur, mais elles étaient conscientes que de toute façon, il valait mieux prendre un petit emploi que rien, parce que ça les sor­tait de chez elles et d’un état dépres­sif au tra­vers duquel cha­cune est for­cé­ment pas­sée, à cause de l’anxiété pour les proches res­tés en Ukraine et le manque du pays. Par ailleurs, c’était des femmes très actives en Ukraine, indé­pen­dantes finan­ciè­re­ment. Tonia par exemple avait une petite entre­prise d’esthétique.

Vers la fin, c'était très bien que la coha­bi­ta­tion s'arrête, parce que for­cé­ment, on com­mence à trou­ver la coha­bi­ta­tion un peu lourde, on perd un petit peu de patience. Côté dif­fé­rences entre nous, ce qui m’a mar­quée, c’est un rap­port dif­fé­rent au futur. Les Ukraniens semblent avoir plus de mal que les Français à se pro­je­ter dans les semaines ou les mois qui viennent pour orga­ni­ser les choses, les vacances par exemple. Ça a pu don­ner des qui­pro­quos, comme quand on invite l’un d’eux à venir man­ger à la mai­son la semaine pro­chaine, et qu’au der­nier moment, il se rend au ciné­ma parce qu’il a reçu une autre proposition. 

Le pré­sident de notre asso­cia­tion dit que c’est dans le tem­pé­ra­ment slave mais l’instabilité due à la guerre ren­force bien sûr cela. Elles sont sur le qui-​vive de la pos­si­bi­li­té de ren­trer. Par exemple, Tonia et sa nou­velle amie ukra­nienne Dina ont eu du mal en sep­tembre à réins­crire leurs enfants à l’école en France, ou à signer un bail de trois ans. Elles ont peur que ça les oblige à res­ter ici. Nous les avons ras­su­rées pour leur dire que si elles par­taient, elles par­taient et n’auraient pas de compte à rendre. 

Finalement, Tonia et Dina ont déci­dé ensemble que, quoi qu’il arrive, elles ne ren­tre­raient pas en Ukraine avant juin, afin de finir l’année sco­laire des enfants. Chez la petite Nadia, qui est en CP, ça a été radi­cal : alors qu’elle ne fai­sait que des­si­ner en classe lorsqu’elle a été sco­la­ri­sée au prin­temps der­nier, elle s’est cette fois beau­coup plus inves­tie et fait ses devoirs.

"Ces femmes sont deve­nues mes amies, il y a bien sûr quelque chose d’un peu mater­nel dans notre lien. Leur pré­sence a aus­si fait beau­coup de bien au vil­lage puisqu’elle a per­mis aux familles d’accueil de créer du lien." 

Ces trois jeunes femmes ne nous mon­traient rien de leurs déchi­rures, de leurs souf­frances. La preuve, ce n’est qu’au bout de trois mois qu’Inga nous a confié qu’elle avait une fille, res­tée en Ukraine auprès de son père. C’est pour sa fille qu’Inga a fait le choix de repar­tir en sep­tembre. De son côté, Elena a, au bout de quelques mois chez nous, ten­té sa chance à Paris, où un contact lui avait trou­vé un emploi dans un res­tau­rant turc. Les condi­tions de tra­vail se sont révé­lées être hor­ribles, et au bout de deux semaines, elle a deman­dé de l’aide à la Croix Rouge qui lui a trou­vé un centre d’accueil à Brest. Nous ne sommes plus en contact régu­lier mais hier, elle m’a envoyé une petite vidéo de Ouessan, où elle a dégô­té un CDD de six mois pour ser­vir dans un res­tau­rant. Elle avait l’air ravie.

L’ensemble de la dou­zaine de familles ukrai­niennes res­tées à Saint-​Didier s’est sta­bi­li­sé : toutes ont aujourd’hui un loge­ment et un tra­vail pour les adultes. Il y a eu des moments moins faciles, c’est sûr, notam­ment parce qu’une ou deux femmes ont noyé leurs angoisses dans l’alcool. D'elles-mêmes, jamais elles ne vien­dront vous dire un matin « une bombe est tom­bée dans la rue de ma mère ». Mais on a pris l'habitude de régu­liè­re­ment deman­der des nou­velles, on savait que le frère d'une avait été enrô­lé, on savait que la maman d’une autre avait sa mai­son détruite et qu'elle était relo­gée ailleurs… Quand on demande des nou­velles, elles répondent tou­jours car elles sont contentes d'en par­ler. Elles res­tent en lien quo­ti­dien avec leur famille là-​bas. Quant à nous, nous sommes tou­jours pré­sents pour renou­ve­ler les démarches admi­nis­tra­tives puisque par exemple, pour la CAF, il faut faire signe tous les six mois pour assu­rer la conti­nui­té des allocations.

Ces femmes sont deve­nues mes amies. Il y a bien sûr aus­si quelque chose d’un peu mater­nel dans notre lien, eu égard à la dif­fé­rence d’âge et au fait qu’elles ont eu besoin d’aide. Leur pré­sence a aus­si fait beau­coup de bien au vil­lage puisqu’elle a per­mis aux familles d’accueil de mieux se connaître, de créer là encore du lien. 

"Je ne pen­sais qu’aux pro­blèmes à résoudre des Ukrainiennes, je ne par­lais que de ça. Je me suis même ren­du compte après coup que je suis pas­sée un peu à côté de l’accouchement d’une de mes filles qui a eu lieu en mai."

En ce qui concerne le besoin de souf­fler pour les familles accueillantes, j'ai réus­si à mon­ter un dos­sier avec la MSA [la sécu­ri­té sociale agri­cole] pour offrir aux familles ukrai­niennes – ain­si qu’à deux familles fran­çaises en dif­fi­cul­té dans le vil­lage – une semaine à la mon­tagne dans un hôtel-​vacances de la MSA au début de l’été. A ce moment-​là, on avait tous besoin d'un peu de vacances. Les Ukrainiens en gardent un sou­ve­nir extra­or­di­naire – l’Ukraine est un pays assez plat – et de l’autre côté, ça a don­né un coup de souffle à toutes les familles fran­çaises extra­or­di­naires, qui ont enfin pu pen­ser à autre chose. 

De mon côté, je ne m'en étais pas ren­du compte, mais j'étais un petit peu à bout, ner­veu­se­ment par­lant. Je ne pen­sais qu’aux pro­blèmes à résoudre des Ukrainiennes, je ne par­lais que de ça. Je me suis même ren­du compte après coup que je suis pas­sée un peu à côté de l’accouchement d’une de mes filles qui a eu lieu en mai. En tant que grand-​mère, j'aurais dû être plus tour­née vers ma fille, mais l’aide aux Ukrainiens enva­his­sait tout.

Les enfants, je pense qu’ils sont heu­reux ici. Ils vont à l'école, au centre aéré. C'est la sécu­ri­té des enfants qui a fait res­ter beau­coup de familles arri­vées à Saint-​Didier. Nadia et Micha vont bien, ils ont des amis, parlent bien le fran­çais main­te­nant. Avec l’asso, nous avons orga­ni­sé avant Noël des ate­liers de déco­ra­tion pour les enfants du groupe, comme ça, ils ont pu offrir un petit cadeau à leurs mamans. À Noël, on a orga­ni­sé un goû­ter franco-​ukranien qui a réuni une soixan­taine de per­sonnes dans la salle des fêtes du vil­lage. À 17h30, je vais cher­cher Nadia et sa petite copine pour les ame­ner à leur cours de danse. Je suis une sorte de baba [grand-​mère] fran­çaise de sub­sti­tu­tion pour les petits.

Et puis, l'association a déjà orga­ni­sé deux convois huma­ni­taires vers l’Ukraine, pour don­ner essen­tiel­le­ment du maté­riel médi­cal, des cou­ver­tures, des bou­gies, des lampes de poches pour pal­lier les cou­pures d’électricité, etc. La ville de Lyon nous a même don­né une ambu­lance, par­tie pleine à cra­quer de maté­riel juste avant Noël ! Un futur convoi qui est en route, là, une autre com­mune a fait don d’un camion incen­die. L’enjeu est d’entretenir l’élan de soli­da­ri­té du début, parce que les besoins sont récur­rents, et, pour l’heure, la géné­ro­si­té est tou­jours au rendez-vous.”

Tonia

"Aujourd’hui, je vis dans mon appar­te­ment à Saint-​Didier, je suis heu­reuse de ne plus être dépen­dante de quelqu’un et de pou­voir me débrouiller seule. J’ai un tra­vail dans un res­tau­rant le midi et je fais quelques ménage pour com­plé­ter mes reve­nus. Les enfants vont à l’école. Ils tra­vaillent bien et s’intègrent à la vie ici.

Nadia fait de la danse et moi je fais des cours de gym, nous arri­vons à trou­ver un équi­libre ici. Pour les enfants, l’intégration et l’adaptation est assez simple, ils ne se posent pas de ques­tion. Pour moi, cela se passe bien mais ce n’est pas tou­jours facile. Je pense à notre pays. Et aux petites choses qui me manquent de chez moi et bien enten­du, à ma famille.

"La bar­rière de la langue est pour moi beau­coup plus dif­fi­cile que pour mes enfants."

La vie en France est agréable, il y a eu des périodes plus dif­fi­ciles que d’autres, une adap­ta­tion néces­saire, une com­pré­hen­sion de la culture. Tout ça, en pre­nant en compte de la bar­rière de la langue qui est pour moi beau­coup plus dif­fi­cile que pour mes enfants. L’association Enfants Ukraine 01 nous aide beau­coup et orga­nise des choses et des évé­ne­ments pour nous.

Ma sœur Inga est ren­trée en Ukraine. Ça se passe bien pour elle pour le moment. Pour ma maman, cela va bien éga­le­ment mais il y a beau­coup de stress et la situa­tion n’est pas agréable. Il n’y a pas d’électricité tout le temps. Quand les sirènes sonnent tout le monde arrête de tra­vailler, ils se réfu­gient dans les sous-​sols et le bruit des bombes est régu­lier. Je n’ai pas beau­coup d’information et de com­mu­ni­ca­tion avec mon ex-mari.

"Ce que je sais, c’est que la situa­tion pour le moment est bien meilleure ici pour moi et mes enfants et que j’ai tout le temps pour réflé­chir à l’avenir."

Concernant l’avenir, c’est une très bonne ques­tion. Je suis très bien en France pour le moment mais mon pays me manque. Ce que je sais, c’est que la situa­tion pour le moment est bien meilleure ici pour moi et mes enfants et que j’ai tout le temps pour réflé­chir à l’avenir."

Lire aus­si l Accueil des exilé·es ukrainien·nes : l’élan solidaire

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés