Après un mois de guerre, 26 000 réfugié·es sont arrivé·es en France, demain, ils·elles seront 50 000, voire 100 000. Pour fuir l’enfer, certain·es ont pris des bus
au hasard, d’autres ont rejoint des proches. Dès les premiers jours, la solidarité des Français·es a été massive et, petit à petit, à travers l’Hexagone, l’accueil s’organise, collectivement et individuellement.
« Atlético ! Football ! » Près de la gare de l’Est, à Paris, où Causette est en reportage, un vieux monsieur avec un accent ukrainien tente de se faire comprendre en criant. Puis, il fait le geste de mettre un panier de basket. Football + basket = sport. Nous lui demandons s’il cherche le gymnase. En entendant le mot, ses yeux bleu givré s’illuminent. Alors qu’il boite, il se met à courir dans la direction que nous lui avons indiquée, se retourne, joint les mains pour dire merci et prononce une phrase sûrement apprise par cœur : « Je cherche une maison. »
Le gymnase sera le premier pied-à-terre de sa vie post-guerre. Depuis la veille, le 9 mars, près des gares, la Ville de Paris a mis deux complexes sportifs à disposition pour l’accueil d’urgence des réfugié·es ayant fui l’Ukraine. C’est l’association Aurore qui les gère. Et c’est la Croix-Rouge qui oriente les arrivant·es à la sortie des trains vers ce premier lieu de répit, où ils·elles peuvent rester quelques heures ou quelques jours, le temps d’être orienté·es. Dans la plupart des grandes villes, comme à Nice, deuxième plus gros point d’arrivée des Ukrainien·nes en France, le système est grosso modo le même.
Gymnases et lits picots
Au gymnase, près de la gare de l’Est, ont atterri Vicka et Ielena, deux psychologues pour enfants en situation de handicap. Vicka et Ielena sont cousines. À 36 ans toutes les deux, elles ont quitté leur pays avec leurs enfants – cinq au total –, la mère d’Ielena et Micha, l’ado d’une amie médecin qui, elle, n’a pas pu quitter l’Ukraine. Elles sont parties de Kiev il y a une semaine. « On a pris le dernier train. Au début, il n’était pas plein, car personne ne savait que c’était le dernier. On a attendu qu’il se remplisse. Après, ils ont bloqué tous les ponts. » Elles sont passées par la Hongrie, la République tchèque, l’Allemagne puis la France. Leur but : atteindre Tenerife, en Espagne, où elles connaissent « une amie de la fac ». Une importante diaspora ukrainienne vit dans la péninsule Ibérique. Elles ne resteront ici que quelques heures, avant de prendre un énième train pour Barcelone. Le temps pour la petite Anya, 6 ans, de dessiner le lieu d’accueil : de gros rectangles verts côte à côte – ce sont les soixante-quinze lits d’urgence – devant la cage de foot. Il y a aussi un buffet et des tables. Sur chacune, un gros paquet de mouchoirs. Ielena ne cesse de sourire. Puis lâche : « Je resterais bien ici, si l’amour n’était pas en Ukraine. » C’est le sujet que les assos interdisent aux journalistes d’aborder avec les réfugié·es : les maris, frères, pères et amis restés sur le front, à cause de la loi martiale. Cela fait trop pleurer. Elle ne s’éternise pas. La priorité, c’est la douche. Mais le verrou du vestiaire des femmes ne fonctionne pas. La fille de Vicka, 15 ans, demande à notre photographe de faire le guet.

Vicka et sa fille Tania sont hébergées dans un gymnase près de la gare de l’Est, à Paris, avant de repartir pour Barcelone, puis Tenerife. © Magali Corouge pour Causette
Aux guichets des ONG
Celles et ceux qui souhaitent rester en France doivent se rendre à la préfecture locale, s’ils·elles sont hors de Paris, ou à l’Accueil Ukraine, s’ils·elles sont à Paris (d’abord installé porte de la Chapelle, ce lieu d’accueil a été transféré porte de Versailles). C’est là-bas que sont attribuées les places d’hébergement payées par l’État, souvent en hôtel, le temps d’obtenir des papiers. L’accueil parisien est géré par France Terre d’asile. La première semaine de la guerre, l’asso y recevait jusqu’à deux cents réfugié·es par jour. La deuxième semaine, l’affluence avait déjà quasi triplé. On y entend l’histoire d’une femme qui s’est cassé les dents à force de les serrer, de peur. On y croise mille valises, des familles avec enfants en situation de handicap, des gens venus avec leur caniche ou leur rat en cage, une famille russo-ukrainienne dont une partie a déserté la Russie en passant par l’Asie, « pour ne pas être appelée au front », et l’autre a fui l’Ukraine. « Protégez votre paix, enjoint une des réfugié·es, pour ne pas subir la même chose. » Plus loin, une femme demande un médecin pour son mari de 77 ans. Il a raté un rendez-vous médical pour son cancer, prévu après le début du conflit.
L’urgence du retour
Il y a aussi Elena, 81 ans, jamais sortie d’Ukraine, venue avec sa fille, Natalya, 52 ans, rejoindre sa petite fille, Evelina, 21 ans, étudiante en France. « Ma mère ne voulait pas partir, raconte Natalya, on est restées six jours chez des amis d’amis à la montagne. Quand elle a vu les images des villes où il n’y avait plus de fenêtres, elle a compris qu’il fallait y aller. En partant, elle disait : “Tu penses que quelqu’un nous attend là-bas ?” C’est difficile pour les personnes âgées. Elle est malade des reins. On a demandé un logement avec cuisine pour pouvoir adapter ses repas. » La « babouchka », comme elles l’appellent, refuse pour l’instant de s’asseoir. Peu importe qu’elle vienne de traverser l’Europe en train. Sa petite-fille la pense un peu en dépression. « Elle dit qu’elle retournera en Ukraine “à pied s’il le faut” », confie-t-elle. L’ensemble des réfugié·es partagent cette urgence du retour. Beaucoup pensent qu’il sera possible bientôt. En attendant, elles rejoindront un[…]