David Fritz Goeppinger : sur­vivre au Bataclan

Le 13 novembre 2015 n’est pas qu’un jour dans notre vie. Il s’agit de l’attaque ter­ro­riste la plus san­glante de notre his­toire contem­po­raine, où 130 per­sonnes ont per­du la vie. Confronté à sa mort le 13 novembre au Bataclan, David Fritz Goeppinger publie, ce 14 octobre, Un jour dans notre vie aux édi­tions Pygmalion. De son vil­lage natal chi­lien à sa natu­ra­li­sa­tion fran­çaise au Panthéon, le 6 juillet 2017, en pas­sant par son mariage avec Doris, David revient sur cette nuit de novembre et sur les cinq der­nières années qui en découlent, comme une lueur d’espoir après l’obscurité.

dsc01483
© Doris Poe

En ce début d’après-midi d’octobre, les rues pari­siennes se sont vidées de leur agi­ta­tion. Seuls les rires des client·es s’échappent du Descartes, cou­vrant à peine le bruit des cou­verts de cette ins­ti­tu­tion du Ve arron­dis­se­ment de Paris. Au centre du café, atta­blé près du comp­toir en bois mas­sif, David Fritz Goeppinger, longs che­veux bruns atta­chés en chi­gnon et barbe de jais, nous attend en dégus­tant un expres­so bien ser­ré. À 28 ans, le jeune homme d’origine chi­lienne a choi­si un lieu fami­lier pour évo­quer son pre­mier livre, Un jour dans notre vie, qui sort ce 14 octobre aux édi­tions Pygmalion. 

Le 13 novembre 2015 a bou­le­ver­sé la vie de mil­liers de per­sonnes dont celle de David. Venu pro­fi­ter du concert d’Eagles of Death Metal au Bataclan, David se retrouve en pre­mière ligne de ce qu'il se passe ce soir-​là. Pris en otage par deux ter­ro­ristes pen­dant deux heures trente avec d’autres compagnon·nes d’infortune, il sur­vit aux ter­ribles attaques de Paris et Saint-​Denis – plus grand atten­tat ter­ro­riste sur le sol fran­çais – dans les­quels 130 per­sonnes trou­vèrent la mort.

« Là je vais mieux. Mais je ne sais pas si je répon­drai la même chose, lorsque le pro­cès des atten­tats de novembre 2015 s’ouvrira »
David Fritz Goeppinger

Cinq ans après, David Fritz Goeppinger a quit­té son job de bar­man pour deve­nir pho­to­graphe indé­pen­dant. Il a éga­le­ment quit­té son Essonne d’adoption, où il vivait jusqu’alors avec ses parents, pour s’installer à Paris avec son épouse Doris. Cinq ans après l’horreur, même si la plaie de cette nuit ne se refer­me­ra sans doute jamais, David donne l’impression d’avoir trou­vé un équi­libre entre les brû­lures du trau­ma­tisme et la lente cau­té­ri­sa­tion des plaies psy­chiques. « Là je vais mieux, affirme le jeune homme. Mais je ne sais pas si je répon­drai la même chose lorsque le pro­cès des atten­tats de novembre 2015 s’ouvrira. »

D’ailleurs si – sur les conseils de sa mai­son d’édition – il com­mence son récit par cette nuit mau­dite dont il relate les moindres détails en une tren­taine de pages, le 13 novembre 2015 n’est pas le cœur de l’ouvrage. « Ce livre raconte, d’une part, mon arri­vée en France et tout ce qui me mène au Bataclan. Et d’autre part, com­ment je me réveille le 14 novembre avec le long che­min de recons­truc­tion qui en découle. » Signe que David est rom­pu à l’exercice des entre­tiens jour­na­lis­tiques, il s’exprime d’une voix assurée. 

Il faut dire que David est deve­nu « célèbre » bien mal­gré lui. Il est l’homme de la vidéo cap­tée par un voi­sin du Bataclan dans la nuit meur­trière du 13 novembre, celle où l’on voit une sil­houette sus­pen­due aux rebords d’une des fenêtres de la salle de concert, s’accrochant déses­pé­ré­ment à la vie alors que, der­rière les murs, un mas­sacre est en cours. Plus tard, on a vu David face camé­ra cette fois, dans le docu­men­taire 13 Novembre : Fluctuat Nec Mergitur, des frères Jules et Gédéon Naudet, dif­fu­sé sur Netflix. Il y raconte en détail et avec une drôle de bon­ho­mie, typique de ceux et celles qui ont vécu le pire et choi­sissent d’en sou­rire, ces heures dans les­quelles sa vie fut à la mer­ci des pre­neurs d’otage.

De Pucón au Panthéon

L’histoire de David Fritz Goeppinger ne com­mence pas à Paris le 13 novembre 2015, mais de l’autre côté du globe, à 11 700 km de la France. Né en 1992 à Pucón, au sud du Chili, il rejoint à 4 ans, avec sa mère, son père déjà ins­tal­lé en France. De ses pre­miers sou­ve­nirs sur le sol fran­çais, David garde la sur­prise du nombre de feux rouges, bien plus impor­tants que dans son vil­lage natal. Il se sou­vient éga­le­ment de la froi­deur de l’administration fran­çaise à laquelle se heurte sa famille à chaque renou­vel­le­ment de leurs titres de séjour. « Comme beau­coup d’étrangers, on m’a fait com­prendre que j’étais chi­lien en France et fran­çais au Chili », se remé­more David. Le jeune homme n’a d’ailleurs jamais res­sen­ti le désir d’être fran­çais avant cette tra­gique nuit de novembre 2015. Dans l’étroit cou­loir où sont réunis les otages, l’un des ter­ro­ristes braque David de sa kalach­ni­kov et lui demande d’où il vient. « Je réponds natu­rel­le­ment que je suis chi­lien, mais avec le recul, j’aurais tant vou­lu répondre “je suis fran­çais”, car j’ai pris conscience de la chance que j’avais de vivre dans un pays libre de droits, qui m’a offert de par sa culture et sa richesse tous les ensei­gne­ments qui font de moi la per­sonne que je suis aujourd’hui », relate David en repla­çant une longue mèche brune der­rière son oreille.

« Tu viens d’où ? » Depuis les atten­tats, les mots du ter­ro­riste hantent l’esprit de David. Tout comme le vœu d’acquérir la natio­na­li­té fran­çaise. Un vœu qui s’exauce en 2016, lorsqu’il reçoit un coup de télé­phone alors même qu’il est accou­dé au comp­toir du Descartes comme aujourd’hui. Au bout du fil, le cabi­net du ministre de l’Intérieur lui pro­pose un entre­tien avec le chef du bureau des natu­ra­li­sa­tions à Paris. David est fina­le­ment convié le 6 juillet 2017 au Panthéon pour une céré­mo­nie d’accueil dans la citoyen­ne­té fran­çaise. « Jusqu’ici, j’étais le copain chi­lien de tout le monde ! À ce moment pré­cis, au Panthéon, je me sens enfin fran­çais », exprime-​t-​il avec un large sou­rire. De ses ori­gines chi­liennes, David a gar­dé la langue. « Quand il pense à sa famille, David pense en espa­gnol », sou­ligne d’ailleurs Doris, son épouse depuis 2018. 

En retrous­sant la manche de son pull noir, il laisse appa­raître plu­sieurs tatouages sur ses avant-​bras. Un en par­ti­cu­lier attire notre atten­tion. La date du 13 novembre 2015 en chiffre romain. David n’a pas été bles­sé griè­ve­ment pen­dant l’attentat, mais ce tatouage est une volon­té de maté­ria­li­ser ses cica­trices psy­chiques sur sa peau.

« Ses com­pa­gnons de prise d’otage sont deve­nus des amis, David les appelle ses “potages” »
Doris, épouse de David Fritz Goeppinger

La tasse de café est vide, le temps file à toute allure au Descartes où les clients ont à pré­sent déser­té les lieux. Le patron, un homme aux che­veux gri­son­nants, s’approche et donne une longue acco­lade à David. Cet endroit, le jeune homme le connaît par cœur, il s’y pose qua­si­ment quo­ti­dien­ne­ment depuis 2014. Désormais, c’est avec ses « potages » – ces otages devenu·es ses potes après le 13 novembre – qu’il s’y rend. Une bulle d’humanité est née par­mi ces compagnon·nes d’infortunes dans cette nuit d’horreur. « C’est essen­tiel pour moi de par­ler du Bataclan avec des gens qui parlent la même langue », indique David en évo­quant Sébastien, Caroline, Grégory, Marie, Arnaud et Victor, qui figurent d’ailleurs par­mi le cahier pho­to pré­sent entre les pages. Des pho­to­gra­phies de ses ami·es, de sa famille, du Chili, mais éga­le­ment de la façade du Bataclan, une façon pour le lec­teur de cer­ner son uni­vers. Tout comme la longue dis­co­gra­phie de toutes les musiques qui l’ont accom­pa­gné pen­dant l’écriture. « La musique est très pré­sente dans la vie de David et son expé­rience est inti­me­ment liée à un concert, indique Florence Lottin, direc­trice édi­to­riale des édi­tions Pygmalion. De plus, David est pho­to­graphe, il était incon­ce­vable de ne pas mettre d’images dans son livre. »

La femme de sa vie d’après 

Si les ami·es et la famille de David prennent une place impor­tante dans son récit et sa vie, Doris, pré­sente dans une majo­ri­té des cha­pitres, est le véri­table fil rouge du livre. Depuis leur ren­contre à l’été 2014 dans un bar où David tra­vaille, la jeune femme hante ses pen­sées. « Jamais mon âme n’a vibré comme ça », confie-​il. Pendant un an, David aime­ra en secret la jeune femme aux che­veux roux. « Après le 13 novembre, Doris a été la pre­mière per­sonne à me dire qu’elle chan­ge­rait mes pan­se­ments. Elle ne par­lait pas de plaies phy­siques, mais psy­chiques, souligne-​t-​il avec une cer­taine émo­tion dans la voix. Quand je l’ai retrou­vée, le 15 novembre, j’ai su que c’était la femme de ma vie d’après. » 

photo 2 1
Un jour dans notre vie,
de David Fritz Goeppinger,
Éd Pygmalion, 19,90 euros.

Un jour dans notre vie s’ouvre par une cita­tion de Victor Hugo, « Le bon­heur est par­fois caché dans l’inconnu », tiré du recueil de poèmes Les Quatre Vents de l’esprit. « Depuis l’attentat, il n’y a pas eu un seul jour sans que je me demande : “Pourquoi j’ai vécu ça ?” Mais un ami m’a éga­le­ment deman­dé avec bien­veillance si ce n’était pas fina­le­ment “le plus beau jour de ma vie” », relate, amu­sé, David Fritz Goeppinger. Depuis le 13 novembre 2015, il y a eu certes beau­coup de cha­grin, mais éga­le­ment des choses extra­or­di­naires, des ami­tiés nées de l’horreur, la révé­la­tion de son amour avec Doris. Comme si, fina­le­ment, David avait trou­vé le bon­heur caché dans l’inconnu – les « abysses du Bataclan » et les rou­leaux des vagues le rame­nant à la vie.


Le 4 novembre pro­chain à 23 h 15 sera dif­fu­sé, sur France 3, le docu­men­taire 22 h 01, écrit et réa­li­sé par Mustapha Kessous sur un récit du jour­na­liste Daniel Psenny. Le 13 novembre 2015, Daniel Pseny est témoin de la san­glante attaque ter­ro­riste au Bataclan. Avec son télé­phone por­table, l’homme qui vit à quelques mètres de la salle de concert a enre­gis­tré l’unique film qui existe sur cet attentat. 


Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés