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© Christelle Hayek / Unsplash

Suppression de l’Aide médi­cale d’État : “un choix idéo­lo­gique basé sur des fantasmes”

Alors que le Sénat a voté la suppression de l’Aide médicale d’État (AME), Jean-François Corty, médecin généraliste et vice-président de Médecins du monde, dénonce une mesure idéologique “aberrante” qui, en plus de prendre les plus précaires pour des boucs émissaires, met en danger la santé publique.

“Le vote du Sénat nous a déçus et, surtout, choqués. Les sénateurs ont voté selon une approche idéologique, en dépit des nombreux arguments rationnels et scientifiques. Au-delà des questions de solidarité, ce sont bien des principes de santé publique qui ont été bafoués. Car cette décision s’inscrit contre la santé publique et contre la santé pour tous.

De nombreuses études ont montré qu’il n’y a pas de phénomène d’’appel d’air’ migratoire en lien avec l’existence de droits sociaux [c’est l’un des principaux arguments avancés par les détracteurs·rices de l’AME, ndlr], que ce soit en France ou en Europe. Il y a très clairement un fantasme autour de ça. La grande majorité des personnes qui migrent le font pour des raisons d’insécurité ou de grande précarité – accentuées notamment par la crise climatique. Dans les consultations que Médecins du monde fait en France – entre 14 000 et 15 000 par an –, nous avons montré que deux tiers des personnes qui venaient nous voir et qui étaient dans une situation administrative précaire n’étaient même pas au courant de l’existence de l’AME. D’ailleurs, à l’échelle nationale, le taux de non-recours s’élève à 50 %. Donc le phénomène d’appel d’air est une vue de l’esprit.

Faire croire aux Français précaires qu’en supprimant 0,4 % du budget de la santé, on va améliorer la lutte contre les inégalités, c’est un mensonge

Jean-François Corty, vice-président de Médecins du monde

Quant au coût de ce dispositif [autre argument phare mobilisé contre l’AME], de nombreux rapports montrent qu’il est maîtrisé, qu’il n’y a pas plus d’abus que pour n’importe quel autre dispositif social, et qu’il représente 0,4 à 0,5 % du budget total de dépenses de santé. Quand certains détracteurs disent que ce coût empêche les Français précaires d’être soignés correctement, c’est un mensonge. Il y a 15 % de la population française qui vit sous le seuil de pauvreté et leurs difficultés d’accès aux soins relèvent, en réalité, des effets de seuil sur l’accès aux mutuelles (qui restent chères), de difficultés à trouver les médecins qui ne font pas de dépassement d’honoraires, aux difficultés globales de l’hôpital en crise… Faire croire aux Français précaires qu’en supprimant 0,4 % du budget de la santé, on va améliorer la lutte contre les inégalités, c’est un mensonge. Ça montre bien qu’on est dans une logique de bouc émissaire, pour masquer la non-volonté de développer des politiques de lutte contre les inégalités. Il y a une forme de lâcheté à s’attaquer aux plus précaires qui est insupportable.

Cette décision vient aussi bousculer un principe de santé publique, puisqu’on sait que plus les inégalités de santé sont importantes au sein d’une population, plus l’état global de cette population sera mauvais. En voulant limiter l’accès aux droits et aux soins des populations les plus précaires – dans un contexte qui est déjà celui du non-recours – les détracteurs de l’AME mettent donc en danger la santé de tous, Français compris. C’est une aberration.

"On méprise le travail des scientifiques, des médecins, des chercheurs en économie de la santé, au profit de convictions basées sur des fantasmes"

Jean-François Corty, vice-président de Médecins du monde

Selon les détracteurs de l’AME, nous devrions nous en tenir à une prise en charge des maladies qui engagent le pronostic vital à court terme – par exemple l’infarctus. C’est stupide. Car en fonction de son stade clinique, une maladie va engager le pronostic vital à court ou moyen terme. Par exemple, quand une tuberculose est diagnostiquée, on risque d’en mourir six mois plus tard. Donc la notion de gravité en lien avec l’imminence de la mort n’est pas efficiente. Ou alors, c’est considérer qu’il faut attendre le dernier moment avant de soigner quelqu’un. Ce qui grève ses chances de pouvoir être guéri dans de bonnes conditions, et vient plomber le budget de santé. Car, lorsqu’on attend trop, des maladies qui auraient pu être prises en charge à des stades peu graves vont nécessiter une prise en charge hospitalière, parfois en réanimation. C’est beaucoup plus coûteux économiquement. Et ça crée les conditions pour venir saturer des dispositifs de soins qui sont déjà en tension – je ne vous refais pas le tableau sur la crise de l’hôpital.

Encore une fois, tous ces éléments montrent que la suppression de l’AME est un choix idéologique qui n’a rien à voir avec la santé publique. Au fond, on néglige et on méprise le travail des scientifiques, des médecins, des chercheurs en économie de la santé, au profit de convictions basées sur des fantasmes. Cela pose une vraie question : à quoi bon produire de la recherche, si les politiques ne les prennent pas en compte – surtout dans le champ de la santé et de la vie des gens ?”

Lire aussi I Répression, menace du droit du sol… les associations interpellent le gouvernement face à ses projets pour l’immigration

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