table lamp turned-on near bed
© Jp Valery

Sexomnie : le som­nam­bu­lisme sexuel pourrait-​il per­mettre d'acquitter des accusé·es de viol ?

Depuis plusieurs semaines, certains hommes accusés de viol affirment ne pas se souvenir de leurs actes, invoquant un trouble sexuel du sommeil très rare, la sexomnie. Mais cet argument pourrait-il être accepté par la Justice française lors de procès ? Éléments de réponse avec l’avocate Séverine Dupuy-Busson.

Des violeur·ses somnambules, ça existe vraiment ? Réaliser un acte sexuel en dormant est bien le propre d'une pathologie extrêmement rare, dénommée « sexomnie ». Depuis plusieurs semaines, plusieurs hommes accusés de viol ont justifié des actes relevant du viol par le fait d'être sexomniaques et ne pas avoir été conscients lors des faits. Mais l’alibi de la sexomnie est-il un argument recevable par la Justice française ? Si en Suède, au Canada, ou au Royaume-Uni, quelques rares affaires de viol ou d’inceste se sont soldées par un acquittement pour cause de somnambulisme sexuel, aucune décision de justice n’a encore été prononcée à ce sujet en France. 

Récemment, à Nantes, un ancien serveur a invoqué cette maladie méconnue après avoir été accusé de viol par trois jeunes femmes, dont une qui indique avoir été réveillée par l’homme qui la pénétrait. La jeune femme a également raconté avoir signalé aux enquêteur·rices que le barman était en demande constante de sexe et qu'il utilisait ses problèmes de sommeil comme excuse. Lors de l’examen de sa demande de remise en liberté le 21 juillet, le serveur aurait certifié ne « pas se souvenir » des actes qu’il aurait commis, et aurait expliqué « souffrir de crises de somnambulisme sexuel », comme le rapporte Le Parisien. Pourtant, son explication n’a pas convaincu la Cour d’appel de Rennes (Ille-et-Vilaine), qui l’a placé en détention provisoire le lendemain, le 22 juillet. 

De la même manière, le youtubeur de vulgarisation scientifique Léo Grasset, mis en cause par une jeune femme pour viol, et par sept autres pour avoir subi des violences psychologiques ou sexuelles, aurait lui aussi plaidé son cas en alléguant la sexomnie. En effet, un message adressé à Marine Périn, Marinette sur Youtube, témoigne de sa compréhension limitée du mot « consentement », tout en justifiant sa conduite par de la sexomnie : « Je baise en dormant, des fois. […] Quand je suis dans cet état-là, j’suis un peu animal. […] Quand je suis éveillé, je fais vachement attention à l’autre […], alors que quand je dors, je m’en baleeeeeeeek », lui écrit-il. 

Être sexomniaque : qu’est-ce que c’est ?

La sexomnie, de quoi s’agit-il vraiment ? Cette pathologie s’apparente à un trouble du sommeil similaire au somnambulisme, qui peut entraîner le fait d’avoir envie de sexe en dormant, et qui s’accentue avec la consommation d’alcool ou de drogues. Selon une étude canadienne citée par TF1, cette pathologie, identifiée pour la première fois en 1996, représente 8% des personnes touchées par les troubles du sommeil, 11% des hommes et 4% des femmes. Ce trouble peut mener à de l'exhibitionnisme et des comportements involontaires durant le sommeil, tels que l’érection, la masturbation, des gémissements ou bien la pénétration.

Problème : cette pathologie très rare est encore difficile à diagnostiquer et à démontrer, même après une hospitalisation et des examens effectués pendant le sommeil. En raison de l’ambiguïté qu’elle revêt, cette maladie complexe doit être traitée avec une extrême précaution, comme le souligne Isabelle Arnulf, neurologue à l’unité du sommeil de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, interrogée par TF1 : « La sexomnie s’avère très grave, conduisant à des violences et générant une très grande honte des personnes atteintes. »

Une épineuse question judiciaire 

Si le sujet n’a pas encore atteint la jurisprudence française, l’argumentaire juridique autour de cette pathologie reste fascinant pour la profession du droit, car extrêmement complexe. Comme le souligne l’avocate en droit pénal Séverine Dupuy-Busson, pour défendre un·e client·e se revendiquant sexomniaque, tout repose autour du concept « d’altération du discernement ». « C’est un argumentaire qui m’intéresse beaucoup, tant du côté des victimes que du côté des auteurs pour voir si ça pourrait être un véritable élément de défense. Car en droit pénal, si on arrive à prouver que le discernement de la personne a été altéré au moment des faits, donc si la personne a une vraie pathologie, elle ne sera pas pénalement responsable », rapporte Me Dupuy-Busson à Causette. En effet, l’article 122-1 du code pénal établit le fait que : « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. » 

L’avocate s’imagine dans la position de la défense d’un·e client·e accusé·e d’agression ou de viol et plaidant la sexomnie. Pour elle, l’argument du somnambulisme sexuel dépendrait déjà des antécédents dans le dossier de son ou sa client·e : y a-t-il un suivi médical ou psychologique qui pourrait facilement attester de troubles du sommeil et démontrer la pathologie ? La personne suit-elle un traitement ou une thérapie ? Son entourage est-il témoin régulier de ces comportements ? Si l’accusé·e ne présente aucun élément lié à la sexomnie dans son dossier, l’avocate réfléchirait à deux fois avant de l’invoquer pour défendre son client. « Je pourrais essayer d’obtenir une expertise psy, mais c’est à double tranchant, car si j’ai un expert psy qui me savonne la planche, je me suis tirée une balle dans le pied toute seule. Je serais ultra vigilante pour ne pas utiliser ça comme un simple argument de défense farfelu », soutient Séverine Dupuy-Busson. 

« L'argumentaire sur cette pathologie reste très fragile et très balbutiant. Il doit être extrêmement fouillé et fondé pour espérer être recevable par la justice. »

Maître Séverine Dupuy-Busson
Un argument potentiellement utilisé à outrance ?

Le cœur de ce sujet : prouver le trouble psychique. « L'argumentaire sur cette pathologie reste très fragile et très balbutiant. Il doit être extrêmement fouillé et fondé pour espérer être recevable par la justice. Si j’avais des preuves tangibles pour montrer que le trouble psychique a aboli le contrôle des actes, au moment des faits, je pourrais alors plaider la relaxe », affirme l'avocate. Si le discernement n’a pas été totalement altéré au moment des faits, la personne demeure en effet punissable par la justice. Dans ce cas-là, un tribunal pourrait envisager des sanctions pénales : de la prison ou du sursis, des injonctions de soin…

Avec, pour l’heure, seulement une poignée de cas de sexomnie jugés à l’étranger, le sujet captive Me. Dupuy-Busson : « ​​C’est passionnant d’étudier la responsabilité pénale dans le spectre du somnambulisme. J’attends avec impatience les futurs délibérés sur les affaires qui invoquent ces éléments pour voir comment ils sont argumentés. » En revanche, l’avocate s’accorde à penser que cette maladie pourrait très simplement être utilisée à outrance comme argument. « Ça me paraît évident qu’on pourrait invoquer ce sujet comme un élément de défense outre mesure. Si un avocat arrive à obtenir la relaxe, ou à faire en sorte que le sujet rentre dans le champ des débats pour obtenir une peine atténuée, c’est sûr qu’en défense, on va tous s’engouffrer dans cette jurisprudence. Si ça passe une fois, on va avoir un boulevard », assure-t-elle.  

Soleda, une étudiante de 22 ans à l’époque et victime de viol par son compagnon prétendant être sexomniaque, écrivait dans les colonnes de L’Obs en 2016 que, sans précautions prises par ces personnes pour remédier à leur trouble, les « faire passer de la catégorie d’agresseurs à celles de "victimes" de leur maladie et de leurs "pulsions" sans plus de questionnements me paraît une piste très glissante, et bien trop dangereuse »

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.