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Le Palais de justice de Paris où s'est tenu le procès V13 ©A.T.

Série : Procès V13, et main­te­nant ? l La parole est aux avocates

Le 29 juin s’est achevée une audience historique de dix mois, réponse judiciaire d’une ampleur inédite à un crime d’une ampleur inédite. Pour les acteur·rices de ce procès qu’on a appelé V13, la machine judiciaire a été longue et intense. Beaucoup d’entre elles·eux ont traversé, presque chaque jour, les couloirs du Palais de justice pour tenter d’enfin comprendre ce qu’il s’est joué il y a sept ans. Comment ce procès hors-norme a-t-il alors impacté leur vie ? Et que restera-t-il de V13 ? Des parties civiles, des avocates, une journaliste et une dessinatrice apportent à Causette leurs ressentis.

« Je jure, comme Avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. » Ce serment, les 330 robes noires du procès V13 l’ont toutes prêté dans leur vie avant d’exercer. D’un côté il y a eu les centaines d’avocat·es des parties civiles qui ont plaidé les responsabilités distinctes des quatorze accusés présents au procès ainsi que la souffrance de leurs client·es. De l’autre, la trentaine d’avocat·es de la défense qui a accepté la mission de défendre ceux qui sont accusés du pire. Et d’un côté, comme de l’autre, des quotidiens et des carrières bousculées par dix mois d’audience. Pour tous·tes on peut le dire, ce dossier, c’est celui d’une vie. 

Pour Me Marine Schwalbert, ce procès aux Assises était d’autant plus important qu’il était le premier de sa carrière. L’avocate pénaliste de 26 ans a prêté serment en novembre, deux mois après le début des audiences. Comme son cabinet représentait six parties civiles, elle a pu rejoindre le navire judiciaire en cours de traversée. « J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir plaider dans ce procès », reconnaît-elle auprès de Causette. 

Boucle hors du temps 

Comme d’autres parties civiles, Me Schwalbert a le sentiment d’avoir vécu pendant dix mois dans une boucle hors du temps. Et comme pour les parties civiles, il n’est pas évident d’en sortir. « C’est difficile, convient-elle. Ça me fait le même effet qu’une bonne gueule de bois. » Difficile d’en sortir mais aussi difficile d’y entrer. Lorsqu'elle a su qu’elle assisterait ses collaborateur·rices à l’audience, elle a dû se plonger sans perdre de temps dans le dossier gorgé d’un million de pages de procédures. « Je n’avais pas hâte de l’ouvrir au début mais maintenant, j'ai du mal à le refermer. »

Me Schwalbert s’est rendue aux audiences chaque mercredi, jeudi et vendredi pendant dix mois, ses collaborateur·rices prenant le relai chaque début de semaine. À côté de V13, l’avocate a dû bosser sur d’autres dossiers. À la frustration de ne pas pouvoir se plonger pleinement dans la procédure s’est ajouté le rythme intense du procès. « J’ai fait attention de garder un équilibre mais évidemment, c’est compliqué de décrocher, admet la jeune avocate. Quand je rentrais le soir, j’étais en boucle, j’avais le besoin d’en parler avec mon compagnon et je ressens toujours ce besoin maintenant que c’est fini. »

« Même si on a l’habitude de voir des choses moches aux assises, à un moment, l'humain reprend le pas sur l’avocat. »

Marine Schwalbert, avocate de parties civiles

Ce sont notamment les deux longues phases de dépositions des parties civiles qui ont marqué la pénaliste. « Je porte la robe, je me dois de garder une posture professionnelle mais parfois il a fallu retenir ses larmes, surtout lorsque certaines parties civiles s'adressaient aux accusés en évoquant l’humanité de ce procès, c’était très puissant. » À demi-mot, comme pour ne pas raviver le souvenir, Marine Schwalbert évoque l’audio du Bataclan retransmis dans la salle d’audience à la demande du président de Life for Paris. « Il y a eu cette femme qui hurlait “Y a mon mari”, ça m’a glacé le sang. Même si on a l’habitude de voir des choses moches aux assises, à un moment, l'humain reprend le pas sur l’avocat. »

Assurer la défense 

Vivre un procès historique lorsqu’on est avocat·es ne s’appréhende pas de la même manière lorsqu’on défend un homme accusé de terrorisme. La trentaine de pénaliste de la défense a dû faire face à l’ampleur de la procédure mais aussi à l’opinion publique qui, dans cette enceinte chauffée à blanc, a scruté le moindre de leurs mots ou de leurs gestes.

Nombreux·euses ont été celles et ceux à avoir été accusés·es de défendre le diable. C'est le cas de Negar Haeri. L'avocate défendait Mohammed Amri, condamné à huit ans de prison pour avoir véhiculé les frères Abdeslam lors des préparatifs, puis d’être allé chercher Salah Adbeslam à Paris juste après les attentats et de l’avoir ramené à Bruxelles.« On pouvait se faire une idée monstrueuse de ces hommes a qui on impute des choses monstrueuses mais ça n'a pas été mon cas. Ça n'a jamais été compliqué pour moi d'être l'avocate d'un homme accusé de terrorisme. Ce qui était désagréable, ce sont les gens qui partaient du principe qu'il allait être condamné, soutien Negar Haeri. Il n'y avait pas de nuances. Or s'il n'y a plus de nuance, il n'y a pas défense, il n'y a plus de procès et alors il n'y a plus d'État de droit. »

Lire aussi l Procès V13, et maintenant ? l Les parties civiles, entre soulagement et colère remontée à la surface

Même son de cloche chez la plus jeune des avocat·es de la défense, Marie Violleau. L'avocate pénalisée de 32 ans a défendu Mohamed Abrini. Ce Belgo-Marocain de 37 ans proche de Salah Abdeslam, qui, pour avoir accompagné les membres du commando à Paris la veille des attaques, a été condamné à la prison à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans. « En tant qu'avocats de la défense, notre rôle n'est pas seulement de contester les arguments de la cour, des parties civiles et du parquet mais aussi de participer à la manifestation de la vérité. Nous étions là aussi pour avancer tous ensemble », estime-t-elle.

Lorsqu’elle a reçu la demande d’assistance juridique de Mohamed Abrini, l’avocate pénaliste n’a pas dit oui tout de suite. « J’ai un peu hésité car je n’avais jamais fait de procès en “terro” et je ne voulais pas être estampillée avocate de terroriste, ma clientèle c’est plutôt du trafic de stupéfiants, explique Marie Violleau à Causette. Je suis allée le voir à Bruxelles, on a longuement discuté et j’ai accepté. »

« Je n’ai rien lâché pendant un an si on compte la préparation, je me suis occupée de tout seule et j’ai très peu dormi. »

Marie Violleau

Marie Violleau est une bosseuse. En parallèle de la défense d’Abrini, l’avocate a dû maintenir à flot son cabinet qu’elle a monté seule en 2021. L’avocate, tombée enceinte au cours de l’audience, est donc sortie épuisée de ce marathon judiciaire. « Je n’ai rien lâché pendant un an si on compte la préparation, je me suis occupée de tout toute seule et j’ai très peu dormi », résume Marie Violleau. Elle considère finalement que de conserver d’autres dossiers lui a permis de prendre du recul et de garder la tête froide. 

Sur les bancs de la défense, une autre robe noire s’est démarquée. Celle de Negar Haeri. Elle aussi a défendu un accusé au cours du procès. Un « second couteau », comme on appelle le cercle extérieur aux commandos. Mohammed Amri. Elle aussi est une bosseuse acharnée.

Après avoir remporté le prestigieux concours d’éloquence de la conférence du stage pour l’année 2015, Negar Haeri est saisie la même année de la défense d’Amri en tant qu’avocate commise d’office. C’est le profil de bon nombre d’avocat·es de ce procès. « J’aurais pu refuser mais ça semblait tellement perdu d’avance que ça vous met au défi », dit-elle à Causette. Sa première rencontre avec Mohammed Amri, Negar Haeri en garde un souvenir intact : « Quand je l’ai vu débarquer au pôle antiterroriste escorté et cagoulé, le regard complètement apeuré, je me suis dit que je ne pouvais pas ne pas lui tendre la main. »

Sacrifice 

Pour mener sa défense, l’avocate de 41 ans a mis de côté sa vie personnelle au point, parfois, de la sacrifier. « Il fallait connaître le dossier par cœur pour pouvoir relever les erreurs factuelles tout au long du procès et mettre les doigts sur les inexactitudes », précise celle qui a fini par éliminer soirées et week-end pour se consacrer à sa charge. 

"Nombreuses ont été les victimes à avoir un mot pour l’importance de la défense et de l'État de droit. Je dois dire qu'à plusieurs reprises, j’avais les larmes qui montaient."

Me Negar Haeri

Comme ses consœurs, Negar Haeri a été marquée par l’humanité qui a fait irruption lors du procès, notamment dans les témoignages des parties civiles. « J’ai ressenti rapidement une force extraordinaire qui ne demandait qu'à s'exprimer. En général, les audiences d’assises sont exclusivement violentes, assure-t-elle. Nombreuses ont été les victimes à avoir un mot pour l’importance de la défense et de l'État de droit. Je dois dire qu'à plusieurs reprises, j’avais les larmes qui montaient. »

Avant, après V13

Pour les trois avocates pénalistes, c’est sûr,  il y aura dans leur vie et dans leur carrière un avant et un après V13. L’avocate d’Abrini, Marion Violleau, explique que ce procès lui a appris à gérer la pression. Pour Negar Haeri, il lui a permis de « prendre confiance » et lui a donné « encore plus envie de s’impliquer dans la défense de ses clients ». Une défense qui a d’ailleurs aussi suscité chez la jeune pénaliste Marine Schwalbert la nécessité d’aller plus loin dans ses dossiers. « De disséquer le dossier de façon chirurgicale pour réussir à installer le doute », précise t-elle. 

Un avant et un après V13 également car Negar Haeri et Marie Violleau, les avocates de Mohamed Abrini et de Mohammed Amri, ont partagé la vie de leur client pendant plus de six ans. Avant le procès, il y a eu les nombreuses visites sous haute garde en prison pour appréhender et préparer les phases d'interrogatoires, puis à partir de septembre, les appels tard le soir après les audiences, lorsque les accusés regagnaient leur cellule. « Avec le temps, une confiance s'est établie avec Mohammed Amri », estime Negar Haeri.

« À un moment donné, la priorité c'est la liberté. La liberté prime sur la réputation salie et c'est tout à fait normal. »

Negar Haeri, avocate de Mohammed Amri.

Ni Mohammed Amri, condamné à huit ans, ni Mohamed Abrini, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de vingt-deux ans, n'ont fait appel des décisions de la cour. « Dans la mesure où mon client a déjà fait sept ans de détention provisoire, par le jeu des réductions de peine, ces huit années ne seront pas entièrement exécutées. Il devrait pouvoir sortir prochainement», explique Negar Haeri. Si l'avocate pénalise se dit « dépitée » de la décision de la cour de condamner son client et réfute la qualification d’association de malfaiteurs terroriste, elle ne peut que comprendre son refus de faire appel. « À un moment donné, la priorité c'est la liberté, déclare t-elle. La liberté prime sur la réputation salie et c'est tout à fait normal. »

Le client de Marie Violleau, lui, ne sortira pas de prison avant au moins deux décennies. « La perpétuité ce n'est pas rien, c'est une peine extrêmement lourde, ça retire tout espoir, déplore l'avocate. Ça a été difficile à encaisser pour lui comme pour moi. » À la différence de Negar Haeri, pour Marie Violleau, le marathon judiciaire n'est pas prêt de prendre fin : Mohamed Abrini vient d'être remis mardi à la Belgique où il doit être jugé à partir d'octobre pour les attentats de Bruxelles de mars 2016.

Tout comme les avocat·es, une autre confrérie a dû s'adapter à ce procès hors-norme et histroique : celle des journalistes et des dessinateur·rices d’audiences, véritable fenêtre sur le procès, comme nous le verrons demain dans le dernier chapitre de Procès V13, et maintenant ?. 

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