Roland Sicard, direc­teur d'un ins­ti­tut de can­cé­ro­lo­gie : « La crise de notre sys­tème de san­té doit deve­nir un sujet de la présidentielle »

Le directeur de l'Institut Sainte-Catherine, établissement d'excellence en matière de cancérologie à Avignon, pousse un cri d'alarme à l'adresse des aspirant·es président·es pour leur demander d'alléger les charges administratives des médecins et d'ouvrir de nouvelles écoles de soignant·es.

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Causette : Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire de Covid pour votre centre de cancérologie, l'Institut Sainte-Catherine ?
Roland Sicard :
Comme beaucoup d'hôpitaux [l'Institut Sainte-Catherine est un établissement privé de service public, ndlr], on touche à nos limites pour pouvoir répondre en temps et en heure à nos patients depuis plusieurs mois. D'une part, nous rattrapons des retards de diagnostics ou de prises en charge dus aux premiers mois de l'épidémie de Covid, qui a fait que de nombreuses personnes ne sont pas venues nous voir, d'autre part, nous subissons désormais de plein fouet très fort taux d'absence de nos personnels, frappés par la vague Omicron. Ce taux a triplé par rapport à l'avant Covid : d'habitude, sur 560 personnels médicaux, nous avons 5% d'absents. En moyenne en 2021, c'était 10% et j'anticipe que pour janvier, cela va être largement au-dessus de 15%. A noter que le personnel soignant réfractaire à la vaccination n'est plus un sujet, nous n'avons eu à déplorer que deux départs de jusqu'au-boutistes.

Comment vous organisez-vous pour faire face ?
R.S. :
En cancérologie, il n'est pas possible de retarder les traitements des patients. Nous en traitons 10 000, dont 250 hospitalisés. Or, il y a une pénurie dans le vivier des professionnels remplaçants, on ne trouve pas de manipulateur en radiologie disponible, par exemple. Notre personnel fait donc énormément d'heures supplémentaires, finissait régulièrement à 21h30 en 2021 plutôt qu'à 20h selon les horaires normaux de travail et désormais, il n'est pas rare que ce soit 22h30.
Nos équipes sont usées, certains craquent et se retrouvent en arrêt maladie. C'est une équation insoluble et, en tant que directeur d'établissement, je suis confronté à une dégradation de notre service de santé que j'ai du mal à accepter.
Néanmoins, il faut que les patients le sachent : même si c'est actuellement difficile de prendre un rendez-vous chez nous, il ne faut pas qu'ils hésitent à nous contacter, nous serons toujours là pour prendre en charge leurs cancers.

"Nous n'avons pas vocation à piller la Roumanie des médecins qu'elle a formés."

Pourquoi n'arrivez-vous pas à trouver ce personnel remplaçant ?
R.S. :
A mes yeux, nous payons avant tout le désastre du numerus clausus [qui imposait chaque année entre 1967 et 2020, par décret, un nombre limité d'étudiant·es en médecine. Pour la première fois lors de la rentrée 2021, le numerus clausus a sauté, ndlr]. Depuis des années, il n'y a pas assez de soignants sur le marché de l'emploi.
Cette phase Covid en est un puissant révélateur : la crise que nous traversons n'est pas qu'une affaire d'investissement ou de salaires. La situation critique de tension sur le marché de l'emploi du secteur qu’on aurait dû connaitre en 2024-25, nous la rencontrons aujourd'hui même, du fait de l'épidémie.
Les études de médecine prenant dix ans, on sait que la situation va s'aggraver, à la fois pour l'hôpital et pour la médecine libérale, durant la décennie qui vient. Il faut donc, en urgence, que le gouvernement réforme l'organisation de la médecine, pourquoi pas en délégant certains actes médicaux à des soignants. Maintenant que le numerus clausus a sauté, il faut aussi créer de nouvelles écoles pour pouvoir former les futurs médecins. Nous faisons appel à des médecins étrangers, et heureusement qu'ils sont là, mais nous n'avons pas vocation à piller la Roumanie des médecins qu'elle a formés.

Quels sont ces actes médicaux à déléguer ?
R.S. :
On croule sous un travail administratif de plus en plus lourd, de plus en plus complexe. Aujourd’hui, pour émettre une ordonnance de sortie, un médecin va prendre 30 à 45 minutes quand il en fallait 15 il y a vingt ans. Or, il est le seul habilité à le faire selon la réglementation actuelle. Il faudrait soulager les médecins en déléguant cette tâche à des assistants médicaux ou des infirmiers un peu plus qualifiés. Beaucoup d’expérimentations de ces délégations ont été faites ici ou là, avec succès, je crois qu’il faut maintenant les généraliser.

"Nous sommes nombreux à attendre que les programmes des candidats soient éclairés sur le sujet et que notre système de santé devienne un sujet majeur de la campagne."

Dans ce contexte, qu'attendez-vous des candidat·es à l'élection présidentielle ?
R.S. :
Qu'ils sortent des débats de court terme sur la gestion de la crise de Covid pour envisager l'avenir de la santé sur le long terme. En discutant avec d'autres directeurs de centres d'excellence de cancérologie ou avec des élus de collectivités territoriales qui subissent la pénurie des cabinets de médecins, je me rends compte que nous sommes nombreux à attendre que les programmes des candidats soient éclairés sur le sujet et que notre système de santé devienne un sujet majeur de la campagne. Enjeux prioritaires : les moyens humains et la délégation des actes administratifs.

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