Iran Manif
Le 24 septembre à Paris, une manifestation en soutien aux femmes iraniennes © A.C.

Rapport annuel d'Amnesty International : « À chaque fois que les droits des femmes ont été atta­qués, des ras­sem­ble­ments à l'échelle inter­na­tio­nale ont eu lieu »

Ce mardi, Amnesty International a publié son rapport annuel sur 2022. Une année particulièrement marquée par la dégradation des droits des femmes et la montée des mouvements féministes internationaux. Analyse avec Lola Schulmann, spécialiste des droits des femmes à Amnesty International.

Viols de guerre en République centrafricaine et au Soudan du Sud, révocation du droit fédéral d'avorter aux Etats-Unis, décrets liberticides en Afghanistan, répression du mouvement féministe en Iran... L'année 2022 a été particulièrement dévastatrice pour les droits des femmes. Dans son rapport annuel publié ce mardi 28 mars, l'ONG Amnesty International dénonce « une année [de] tournant pour les droits humains… en pire. » Un bilan alarmant alors que le 10 décembre prochain, nous célèbrerons le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Lola Schulmann, spécialiste des droits des femmes à Amnesty International analyse l'état des droits des femmes décrié sur l'année 2022.

Causette : Pourquoi avoir dédié tout un chapitre de votre rapport 2022 sur les droits des femmes ?
Lola Schulmann : Le bilan de l’année 2022 est très inquiétant, on constate que l’ensemble des droits sont menacés et particulièrement ceux des femmes. En fonction des pays et des régions, on observe une dégradation de leurs droits. Mais ce qui a été surtout marquant, c'est le nombre important de mobilisations qu'il y a eues partout dans le monde. À chaque fois que les droits des femmes ont été attaqués, des rassemblements à l'échelle internationale se sont organisés. Je trouve que c'est important de montrer cette solidarité internationale des mouvements féministes.

Il est écrit dans le rapport que les « droits des femmes et la liberté de manifester sont menacés par les États », faites-vous particulièrement référence à ce qu’il se passe en Iran et en Afghanistan ?
L. S. : Oui, l'année a été marquée en Iran par des manifestations et des soulèvements. Les femmes se sont organisées, ont pris la rue, ont pris la parole, ont mené des protestations et ce malgré la répression. Elles ont résisté et elles ont brandi ce slogan « Femmes, vie, liberté ». Tout comme en Afghanistan, où quelques femmes ont osé prendre la rue dès 2021. Pourtant, depuis le retour des talibans, le régime n'a cessé de restreindre la question des droits des femmes par des lois cherchant à contrôler à la fois leur corps et leur liberté. Les Iraniennes et les Afghanes veulent remettre en question ces systèmes d'oppressions qui menacent leur liberté de manifester.

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L’année 2022 a été marquée par le recul historique du droit à l’avortement en Occident, de quoi cela est-il la conséquence ? 
L. S. : Cela est dû à des logiques qui sont anciennes. Il y a de nombreux Etats en Europe où le droit à l’avortement est quasiment interdit depuis longtemps. C'est le cas de Malte par exemple. En Andorre, il est même complètement interdit. Récemment, dans la principauté, il y a une défenseuse des droits humains qui s'appelle Vanessa Mendoza Cortés qui s'est retrouvée devant le tribunal pour avoir fait usage de sa liberté d'expression. Pour avoir dit que le droit à l'avortement était interdit, la principauté d'Andorre l'a poursuivie pour délit « contre le prestige des institutions ». Il faut retenir que pour les femmes, les droits ne sont pas acquis. Cela s'est confirmé aux États-Unis avec l'annulation de l'arrêt Roe vs wade (arrêt qui garantissait aux Américaines l'accès à l'avortement ndlr). Les droits des femmes sont sans cesse menacés, et c'est essentiel de se mobiliser dans des mouvements de solidarité pour créer justement un rapport de force politique.

Est-ce qu’il y a des avancées notables à retenir concernant les droits des femmes sur l’année 2022 ? 
L. S. : Oui, on voit des cadres législatifs qui évoluent. En Espagne, une loi a été adoptée sur les questions des violences sexuelles et sexistes, avec notamment un changement dans la définition du viol, qui intègre maintenant la question du consentement. On a aussi la Colombie et l'État du Mexique qui ont avancé sur cette question. En France, on parle d'inscrire le droit à l'avortement dans la constitution, c'est aussi une évolution positive. Il y a certains pays, en Europe notamment, qui ont supprimé des restrictions et davantage libéralisé l'accès à l'avortement. Et le Zimbabwe a adopté une législation pour interdire les mariages précoces et mariages d’enfants. 

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Comment explique-t-on que les crimes commis à l’égard des femmes dans de nombreux pays, dont l'Afghanistan, l'Iran ou encore le mexique, restent impunis ?
L. S. : On est sur des contextes politiques différents selon les pays, avec des cadres législatifs qui sont extrêmement différents, inexistants ou existants mais malheureusement trop fragiles. C’est évidemment une question de volonté politique de l’Etat et de moyen dédié pour justement qu'il y ait justice et réparation. Au Mexique, par exemple, il y a dix femmes assassinées par jours dont une grande partie sont des féminicides conjugaux. Et les proches des femmes qui ont été assassinées n'ont pas d'accès à la justice, les enquêtes sont bâclées et les crimes restent dans l'impunité. La réponse politique n'est pas adaptée parce que les Etats cherchent à maintenir les femmes dans ce système patriarcal où elles sont sans cesse dans la peur de subir aussi ces violences. 

Qu’attendez-vous des pays qui exercent des violences vis-à-vis des femmes ?
L. S. : Les attentes sont différentes suivant les Etats. Mais des cadres législatifs doivent être mis en place et s’aligner sur les textes internationaux qui protègent les droits des femmes. Cela passe notamment par la mise en place de moyens financiers et humains pour avoir des politiques qui permettent de combattre réellement les violences sexistes et sexuelles partout dans le monde. Il faut s’appuyer sur les cadres internationaux qui existent, comme la Convention d'Istanbul qui permet de doter les États d'un cadre législatif essentiel pour combattre les violences sexistes et sexuelles partout dans le monde en misant sur l’accessibilité à la justice. 

Le 10 décembre nous fêterons les 75 ans de la Déclaration universelle des droits de l'homme, pour vous, cette année doit marquer un tournant en termes de protection des droits des femmes ?
L. S. : Évidemment. Ce qu’on a vu sur l’année 2022, c'est que malheureusement rien n'est acquis concernant les droits des femmes. Mais on a aussi vu que les femmes se mobilisent et ne se taisent pas lorsque leurs droits sont menacés. Il faut donc qu'en 2023, les États adoptent des lois pour justement défendre et respecter les droits des femmes et des minorités de genre. Il faut espérer qu’en 2023, les mouvements de solidarité du monde entier permettent de combattre les régimes répressifs et de faire entendre les voix des femmes. 

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