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Soisic Belin © Sacha Lenormand

Prostitution en ligne : la jour­na­liste Soisic Belin en terres méconnues

Quel est aujourd’hui le quo­ti­dien d’une escort, une tra­vailleuse du sexe qui se pros­ti­tue via inter­net ? C’est à cette ques­tion com­plexe que Soisic Belin a vou­lu répondre au plus juste. Pour cela, elle a infil­tré pen­dant un an le milieu de la pros­ti­tu­tion. Un récit aus­si cru que documenté. 

En 2019 sor­tait l'ambivalent jour­nal La Maison, d'Emma Becker, qui y racon­tait son expé­rience de deux ans dans les murs d'une mai­son close ber­li­noise. Dérangeant mais fas­ci­nant, l'ouvrage sus­ci­ta la contro­verse et ral­lu­ma le débat au sein du mou­ve­ment fémi­niste : peut-​on se pros­ti­tuer véri­ta­ble­ment par choix et pour­quoi ? Et cette expé­rience peut-​elle être sin­cère si sa pro­ta­go­niste peut s'en extraire quand elle le sou­haite ? C'est cette année là aus­si que Soisic Belin, jour­na­liste spé­cia­liste des ques­tions de sexua­li­té, se trouve confron­tée, à l’occasion d’une enquête, à l’univers des tra­vailleuses du sexe. Elle y fait des ren­contres qui per­turbent tota­le­ment ses convic­tions. Bardée de cli­chés ‑elle l’avoue elle-​même- elle s’attend à inter­vie­wer des femmes vic­times, voire vul­né­rables, contraintes à des acti­vi­tés qui les rebutent. Elle se trouve au contraire face à « des per­sonnes moti­vées, aimant leur métier et en ayant une concep­tion saine ». Mais la jour­na­liste constate éga­le­ment que ces ‑rares- interlocuteur·trices « n’ont pas envie d’aller au-​delà d’un dis­cours syn­thé­tique lorsque [elle] leur demande de [lui] par­ler de leur métier ». Son enquête sur les escorts, les femmes et les hommes qui se pros­ti­tuent via inter­net, tourne court.

Soisic Belin a plu­sieurs fois pra­ti­qué l’immersion pour des sujets plu­tôt chauds et c’est, lorsqu’elle raconte cet échec à des amis, ce qu’on lui rap­pelle sur le ton de la blague. Mais l'idée va fina­le­ment se concré­ti­ser. Défi per­son­nel ‑elle effleure le sujet des moti­va­tions inconscientes- et déter­mi­na­tion pro­fes­sion­nelle en ban­dou­lière, la jour­na­liste décide d’infiltrer le milieu de la pros­ti­tu­tion numé­rique, en deve­nant elle-​même escort girl.

C’est cette expé­rience, pour­sui­vie pen­dant un an, qu’elle raconte aujourd’hui dans un livre, décri­vant de l’intérieur le quo­ti­dien d’une pros­ti­tuée du net. Depuis l’inscription sur le site dédié, le choix d’un per­son­nage qu’il faut incar­ner pour conser­ver une cer­taine dis­tan­cia­tion, les « spé­cia­li­tés » et leurs tarifs, en pas­sant par les rendez-​vous avec les client·es, leurs exi­gences et par­fois leur détresse, tout est soi­gneu­se­ment ‑et par­fois crûment- docu­men­té. Ni fausse pudeur, ni culpa­bi­li­sa­tion mais pas de pro­mo­tion de la pros­ti­tu­tion non plus, son témoi­gnage per­met de révi­ser les pré­ju­gés tou­jours vivaces sur la pros­ti­tu­tion 2.0. Mais aus­si de consta­ter que cer­tains cli­chés s’avèrent étran­ge­ment authen­tiques. Ainsi ces clients, nom­breux, qui paient davan­tage pour par­ler à quelqu’un que pour de véri­tables échanges sexuels, ain­si éga­le­ment tous ceux qui, payant pour un ser­vice don­né, oublient en quelques minutes le pro­to­cole qu’ils ont eux-​mêmes accep­té pour endos­ser la pano­plie du mâle dominant.

Aujourd’hui, des mois après la fin de cette expé­rience, Soizic Belin confie que celle-​ci a pro­fon­dé­ment modi­fié sa vision de la sexua­li­té. « J’ai appris à mieux aimer mon corps, à le voir dif­fé­rem­ment, à le res­pec­ter davan­tage. Et, contrai­re­ment à ce que les gens qui m’interrogent sous-​entendent sou­vent, je ne me suis pas du tout sen­tie salie par cette expé­rience. Je me sens au contraire bien plus forte. » Fort à parier que l'enquête immer­sive de la jour­na­liste sou­lève les mêmes ques­tion­ne­ments que, avant lui, La mai­son.

Le jour où je suis deve­nue escort 2.0 de Soizic Belin, Edition Albin Michel, 205 pages, 17,90 euros

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