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De gauche à droite : Photographie de Mélinée Assadourian prise dans les années 1930 par le photographe arménien Hrand. Missak Manouchian Manouchian dans l’armée française. © Archives Manouchian / Roger-Viollet x2

Panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian : “C’est bien de rap­pe­ler que des étran­gers ont aus­si leur place dans le roman national” 

À l’occasion de la panthéonisation, mercredi 21 février, de Missak et Mélinée Manouchian, l’historienne Astrig Atamian revient sur l’engagement du couple d’Arménien·nes dans la résistance française et le combat de Mélinée pour faire vivre la mémoire de son mari.

Dans notre mémoire collective, le combat du résistant communiste arménien, Missak Manouchian, contre l’occupant nazi survivait depuis des décennies dans le poème d’Aragon, Strophes pour se souvenir (1955) et dans la chanson L’Affiche rouge, de Léo Ferré (1961). Son combat et celui de sa femme, Mélinée, survivront désormais dans le roman national. Demain, mercredi 21 février, Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon.

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Un hommage national, présidé par Emmanuel Macron, quatre-vingts ans précisément après l’exécution au Mont-Valérien par les nazis, de Missak, chef des Francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) et de vingt-deux hommes et une femme de son groupe. Jusqu’à sa mort en 1989, Mélinée Manouchian n’aura de cesse de se battre pour faire vivre sa mémoire.

À l’occasion de cette panthéonisation, l’historienne et spécialiste du mouvement communiste arménien en France, Astrig Atamian, coautrice avec les historien·nes Denis Peschanski et Claire Mouradian, du très beau livre Manouchian (Textuel, 2023) revient pour Causette, sur cet événement qui fera date et sur le combat du couple Manouchian.

Causette : Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon demain, mercredi 21 février, à l’occasion du 80e anniversaire de l’exécution de vingt-deux résistant·es immigré·es, dont Missak était le chef de file. Qu’en pensez-vous ?
Astrig Atamian :
C’est très émouvant, même si une panthéonisation est toujours un acte politique. Il faut savoir que la panthéonisation de Missak et des autres membres de son groupe était d’ailleurs déjà sur la table il y a dix ans pour les 70 ans de l’exécution de Manouchian et de ses camarades. La demande avait échoué parce qu’à ce moment-là, le président François Hollande avait préféré faire entrer au panthéon quatre autres figures de la résistance [Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, Pierre Brossolette et Jean Zay, ndlr]. La démarche a ensuite été reprise en 2021 par l’association Unité laïque, qui a vu en Missak une figure historique porteuse de valeurs universelles.
Le fait qu’ils entrent ensemble au Panthéon est aussi très beau. Il y a un lien tellement fort qui unit Missak et Mélinée. Ce sont deux orphelins, sans famille, qui se trouvent, s’accrochent l’un à l’autre et s’investissent dans le même combat politique.

C’est la première fois que des résistant·es étranger·ères entrent au Panthéon. Est-ce un symbole important deux mois après l’adoption du projet de loi immigration et à l’heure où le discours identitaire est de plus en plus prégnant en France ?
A.A. : Oui, d’une certaine manière, c’est comme si Missak et Mélinée étaient enfin reconnus par leur patrie d’accueil. Et c’est d’autant plus important qu’on voit que la société est aujourd’hui fracturée par le communautarisme. Manouchian est un homme de synthèse. Il prouve qu’on peut être à la fois un immigré, un homme qui chérit sa culture d’origine et qui aime sa patrie d’accueil. Aujourd’hui, on a tendance à mettre les gens dans des cases. J’ai le sentiment qu’on est obligé d’avoir une seule identité. Alors qu’en fait, on est fait de plein d’identités différentes. Missak Manouchian incarne cela. Il est fait de plusieurs influences, il se nourrit de tout ce qui l’entoure. Il a un rôle de passeur : il continue à écrire en arménien, mais il traduit aussi des œuvres françaises en arménien et inversement. Il voulait être un trait d’union entre les cultures. Et aujourd’hui, avec la montée des extrêmes, c’est bien de rappeler que des étrangers ont aussi leur place dans le roman national.

On pensait que tout avait été dit sur Missak et Mélinée Manouchian. À tort, puisque vous avez entrepris pour le livre, Manouchian, de nouvelles recherches dans des fonds publics et privés qui avaient jusqu’ici été très peu explorés. Racontez-nous ces recherches…
A.A : L’idée de départ était de faire un beau livre grand public. On pensait proposer une synthèse de la vie de Missak et Mélinée Manouchian à partir des travaux existants. On ne pensait pas du tout refaire une enquête. C’était la belle surprise du projet. Jusque-là, on n’avait jamais vraiment réinterrogé l’histoire de Missak Manouchian. On se contentait de ce qui existait déjà. Jusqu’à présent, la source principale pour retracer la trajectoire de Missak et Mélinée était la biographie de Missak écrite par Mélinée et publiée en 1974 [Manouchian, éd. Français réunis]. Mais comme c’est un témoignage indirect, Mélinée se fonde sur ce que Missak lui a raconté, il y a forcément des petites inexactitudes.
À un moment donné dans l’écriture, on s’est rendu compte qu’il y avait des pièces manquantes et cela nous a donné envie de retourner dans les archives. Les documents n’étaient pas forcément communicables autrefois – plus on avance dans le temps, plus on a le droit d’y avoir accès. On est donc retournés aux archives de la préfecture de police, aux archives nationales et aux services des archives du ministère de la Défense. On a découvert que Missak Manouchian avait demandé par deux fois, en 1933 et en 1940, à être naturalisé français, en vain. On a pu reconstituer plus précisément le puzzle de sa vie pendant l’entre-deux-guerres. En lisant les ouvrages sortis récemment sur Missak Manouchian, on s’est aperçu que ce sont des éléments que d’autres ont découverts plus ou moins au même moment. La perspective de la panthéonisation des Manouchian a motivé et a accéléré la recherche. On peut s’en féliciter !

Vous avez déniché de nombreux documents inédits sur l’histoire des Manouchian. Lesquels vous ont le plus marqué ?
A.A. :
Je dirais que ce sont les deux demandes de naturalisation faites par Missak. La première en août 1933, dans laquelle il dit vouloir être naturalisé afin de faire “au plus vite” son service militaire. On sent qu’il veut servir la France, qu’il veut être un soldat. La seconde, rejetée à nouveau, en janvier 1940, lorsqu’il est mobilisé dans l’armée française en Bretagne. On voit d’ailleurs que cette seconde demande est soutenue par ses supérieurs hiérarchiques, par le préfet du département notamment. C’était émouvant de découvrir cela en cours de projet, alors que la panthéonisation de Missak était déjà actée. Il se trouve qu’il est le premier résistant communiste et étranger à entrer au Panthéon et on découvre qu’il voulait déjà être Français et s’engager dans l’armée régulière avant même de s’engager dans la résistance et de combattre les nazis. Je trouve que ça ajoute encore plus de sens à cet hommage national.
Avec ces recherches, j’ai l’impression d’avoir redécouvert Missak Manouchian. C’était un homme avec plusieurs facettes. Il était communiste sans être stalinien. Il était intellectuel tout en étant ouvrier. Il était aussi proche des artistes, on a découvert qu’il a notamment posé nu pour eux. Il était Arménien, mais en même temps il se sentait très Français. D’ailleurs, il était francophile avant même d’arriver en France. Ce sont toutes ces identités multiples qui en font un personnage très intéressant selon moi. On a aussi découvert plein de choses sur Mélinée. Sur les difficultés qu’elle rencontre lorsqu’elle se réinstalle à Paris, en 1964, pour recevoir sa pension de veuve de guerre notamment.

Votre livre raconte l’exil forcé de Missak et Mélinée, qui, comme cent mille autres enfants sont des orphelin·es du génocide arménien de 1915. Derrière la trajectoire individuelle du couple, il y a aussi la trajectoire de milliers d’Arménien·nes.
A.A. : Oui, Missak et Mélinée partagent vraiment le sort de la cohorte de ces réfugiés dont beaucoup étaient des orphelins comme eux. Des enfants à qui on a appris des métiers dans les orphelinats du Liban, de Syrie ou de Grèce et qui sont une main-d’œuvre essentielle pour reconstruire la France après la saignée de la Première Guerre mondiale. C’est ce qui explique peut-être le fait que les Arméniens se sentent aussi sensibles à l’histoire de Missak, il a vraiment le parcours type de leur grand-père ou de leur arrière-grand-père.

Officiellement, une seule femme, Golda Bancic (plus connue sous le prénom d’Olga) est membre officielle du réseau de résistant·es dirigé par Missak Manouchian. Peut-on dire néanmoins que Mélinée est aussi une résistante ?
A.A. : De façon générale, le rôle des femmes dans la résistance a été largement invisibilisé. Comme elles ne combattaient pas forcément les armes à la main, on a longtemps pensé qu’elles avaient eu un rôle secondaire, mais pas du tout. Certes, Mélinée n’a pas eu un rôle aussi important que celui d’Olga Bancic, mais elle a œuvré dans la résistance. Elle a pris des risques. Elle a été au cœur d’un dispositif de production de littérature clandestine. Elle tapait des tracts antinazis en arménien qu’elle allait ensuite distribuer dans les boîtes aux lettres des quartiers arméniens de la banlieue parisienne. L’objectif était de mettre en garde les Arméniens contre les Allemands en rappelant le rôle qu’avait eu l’Allemagne aux côtés des Turcs pendant le génocide arménien. C’était un levier hyper puissant : beaucoup d’Arméniens vont se mobiliser dans la résistance après ça. Mélinée sera aussi secrétaire des FTP-MOI. Elle tapera notamment le compte-rendu des actions. Elle savait donc beaucoup de choses. C’est pour cela d’ailleurs qu’elle s’est immédiatement planquée pendant de longs mois après l’arrestation de Missak. Elle a tenu un rôle important dans le mouvement, mais ce n’est pas pour ces faits de résistance qu’elle entre au Panthéon. Elle y entre, car elle accompagne Missak.

Mélinée s’est battue toute sa vie pour la reconnaissance et la mémoire de son mari. Cette panthéonisation, le 21 février prochain, est-elle l’aboutissement de cet inlassable combat ?
A.A. :
Oui, on ne peut pas imaginer un aboutissement plus éclatant pour une femme qui a consacré toute sa vie à ce qu’on n’oublie pas l’engagement et le sacrifice de l’homme qu’elle aimait. À son retour en France, en 1964, elle œuvre sans relâche pour faire vivre la mémoire de Missak. Elle mènera aussi d’autres combats pour les Arméniens. Dans les années 1980, elle témoigne à un procès de quatre militants arméniens de l’Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie accusés d’avoir attaqué et pris en otage les membres du consulat de Turquie à Paris, le 24 septembre 1981 [Ils demandent la libération de certains prisonniers politiques arméniens détenus en Turquie]. Elle vient témoigner à la barre et fait le parallèle entre leur combat pour la justice et les actions de Manouchian. Elle rappelle que Missak était un orphelin du génocide, elle s’engage pour la reconnaissance du génocide arménien à travers cette déposition. Mais il y a encore tant de choses à creuser sur sa vie et sur son parcours.

Une tribune publiée fin novembre dans Le Monde à l’initiative de l’historienne Annette Wieviorka, signée par Serge et Beate Klarsfeld mais aussi par des descendant·es de plusieurs membres du groupe Manouchian, appelait à faire entrer au Panthéon l’ensemble du commando responsable de 229 attentats et actes de sabotages contre l’occupant nazi. “Isoler un nom c’est rompre la fraternité”, disaient-ils·elles Qu’en pensez-vous ?
A.A. : Il semblerait que certains signataires ne savaient pas que tous les noms des membres des FTP-MOI ainsi que celui d’Olga Bancic et Joseph Epstein seraient gravés en lettres d’or à l’intérieur du monument. Cette initiative vaut panthéonisation. Ce mausolée républicain ne contient pas que des dépouilles mais aussi de nombreux noms. Le nom de Missak Manouchian est entré dans la mémoire collective grâce au poème d’Aragon en 1955 inspiré de la lettre d’adieu de Missak à Mélinée et, depuis, c’est ce nom qui incarne tous les résistants communistes étrangers qu’ils soient juifs, italiens, espagnols, arméniens… À travers lui, on leur rend hommage.

Atamian Mouradian Peschanski Manouchian couverture plat 1

Manouchian, d’Astrig Atamian, Denis Peschanski et Claire Mouradian. Textuel, 192 pages.

© Editions Textuel.

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