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© Camille Besse

Marielle Philip, tan­neuse de peaux de pois­son : « Faire du cuire avec des peaux, une belle façon de valo­ri­ser un déchet »

Marielle Philip a grandi sur le bassin d’Arcachon. Après des études en droit de l’environnement, elle a fondé, en 2013, la première entreprise
française de tannage végétal de peaux de poisson. Une pratique éthique inspirée d’un art ancestral lapon.

"Petite-fille et fille de pêcheur, je baigne depuis mon enfance dans l’univers maritime du bassin d’Arcachon, qui est petit à petit devenu le mien. C’est à 16 ans, grâce à ma mère, que j’ai découvert le tannage végétal des peaux de poisson, qui consiste à les transformer en cuir avec du tanin et des pigments naturels. Ma mère a découvert cet art ancestral lors d’un voyage en Laponie, en 2003. À son retour, elle a commencé à faire des essais de tannage dans notre garage. Je venais l’aider quand j’avais du temps, c’était drôle, ça ressemblait à une recette familiale. Mais à l’époque, j’étais jeune, et même si j’ai toujours eu cette attirance pour la mer, j’avais d’autres préoccupations. Et puis le cuir, je trouvais ça plutôt vieillot.

C’est plus tard, après mon master en droit de l’environnement et gestion des littoraux, que j’ai repensé aux peaux de poisson. Je me suis dit que faire du cuir avec ces peaux, c’était une belle façon de valoriser un déchet. Encore plus avec un tannage végétal. Mais ce qui a vraiment fait pencher la balance, c’est quand j’ai appris qu’une seule entreprise en Aquitaine pouvait jeter jusqu’à 900 tonnes de peaux de poisson par an. Là, je me suis dit qu’il y avait un problème. J’ai commencé à envoyer des peaux brutes, non colorées – qu’on tannait dans notre garage –, à des maroquineries pour avoir des premiers avis. Le patron de la première m’a répondu que le cuir lui faisait penser à sa grand-mère. Bon… Alors qu’au contraire, d’autres, séduits par l’idée, avaient envie d’en acheter. Ça a conforté mon envie de continuer l’aventure. J’avais raison, puisque j’ai été la première à faire du tannage végétal de poisson en France.

Dix ans après le voyage de ma mère en Laponie, nous avons créé ensemble notre boîte, qu’on a appelée Fémer peau marine *, pour le jeu de mots “fait mer”. Aujour­d’hui, si nous travaillons avec un Esat [Établissement ou service d’aide par le travail, qui emploie des travailleur·euses handicapé·es] pour le nettoyage des peaux, Fémer compte toujours deux employées, ma mère et moi. C’est un choix. Faire moins, mais mieux. J’ai épousé une démarche écoresponsable et artisanale. On a d’ailleurs obtenu récemment le label Artisan d’art. C’est une grande fierté, qui a aussi son revers. Pour l’instant, on ne se verse pas de salaire, nous rémunérons seulement les travailleurs de l’Esat. Ma mère est fonctionnaire territoriale en parallèle et, de mon côté, je travaille à mi-temps avec mon conjoint, qui est ostréiculteur sur le bassin. C’est d’ailleurs là-bas qu’on a installé la cabane de pêcheur qui abrite notre peausserie. 

« On récupère gratuitement les peaux issues des industries agroalimentaires et des poissonneries de la région »

À l’inverse de ma mère, je n’ai pas reçu de formation sur le tannage végétal. J’ai appris en la regardant faire, puis en faisant à mon tour. Il y a eu beaucoup d’essais et beaucoup d’échecs, mais ça en valait largement la peine. Ce qui me plaît, c’est de donner une seconde vie à une peau de poisson qui serait partie à la poubelle. On récupère gratuitement les peaux issues des industries agro­alimentaires et des poissonneries de la région. On n’en manque pas, car les gens mangent de plus en plus de poissons en filet et sans peau. On tanne la peau de toutes sortes de poissons, mais surtout celle du saumon, car notre seul critère, c’est la taille. Il faut qu’elle mesure 60 centimètres au minimum. Mais c’est intéressant de varier, toutes les espèces ont des empreintes d’écailles différentes.

Les travailleurs de l’Esat s’occupent de nettoyer les peaux, d’enlever à la main les écailles et la chair restante. Puis vient l’étape la plus importante du processus : le tannage végétal. Les peaux tournent pendant plusieurs jours dans une sorte de grosse machine à laver où le tanin pénètre la peau pour la transformer en cuir. À la différence du tannage chimique, qui utilise du chrome, le nôtre est fait à base de broyat d’écorce d’arbre. La recette est confidentielle, la seule chose que je peux révéler, c’est qu’elle est à base de mimosa. Je n’en dirai pas plus. On colore ensuite les peaux, ce qui est ma spécialité. Là aussi, la démarche est écologique. J’utilise uniquement des pigments sans sels métalliques. Ce qui limite l’éventail, mais me permet quand même d’avoir une gamme de dix-sept couleurs.

Lorsque les peaux sont colorées, on les étend et on les étire. Il faut compter une dizaine de jours pour passer de la peau crue à l’expédition. On applique éventuellement un vernis, comme on le ferait pour n’importe quel cuir animal, mais uniquement lorsque les clients le demandent. J’évite le plus possible, car ce n’est pas écologique et ma démarche est vraiment de tendre vers une peau brute, sans finition. Au début, je voulais d’ailleurs que mon cuir de poisson ressemble aux autres cuirs. Aujourd’hui, je préfère assumer qu’il soit différent. Évidemment, il ne sent pas le poisson. Je le précise ­toujours, car, au début, l’accueil du public était mitigé. Par ailleurs, les gens se sont rendu compte que la démarche est strictement la même que pour le cuir de vache. À tel point que les ­personnes véganes réprouvent aussi notre concept.

On peut faire ce qu’on veut du cuir de poisson. Sur mon site, je vends des peaux brutes à des maroquineries comme à des particuliers. Mais aussi toute une gamme de bracelets et des petites pièces de maroquinerie. Actuellement, je développe des partenariats avec des boutiques du bassin. J’ai investi dernièrement dans de nouvelles machines, plus performantes, qui me permettront d’ici quelques mois de me verser un salaire. J’aimerais, à terme, pouvoir créer un atelier-boutique pour vendre mes créations et faire découvrir mon art. Et puis, pourquoi pas, créer une école, un jour. Je reçois très souvent des demandes de formation de personnes en reconversion professionnelle, ce qui prouve que c’est un métier en devenir. »

* Femer.fr

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