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Marie-​Bélen Pisano a‑t-​elle été tuée parce qu’elle était une femme ?

Le meurtrier présumé de Marie-Bélen Pisano est jugé cette semaine devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence pour « meurtre ayant pour objet de préparer ou faciliter un délit ». Sa famille se bat depuis quatre ans pour faire reconnaître symboliquement son meurtre par un inconnu comme un « féminicide non-intime ».

Juridiquement, c’est un meurtre. Symboliquement, c’est un féminicide. C’est en tout cas ce que s’affaire à faire reconnaître la famille de Marie-Bélen Pisano, jeune femme de 21 ans tuée en mars 2019. Le procès de son meurtrier présumé, poursuivi pour « meurtre ayant pour objet de préparer ou faciliter un délit » s’est ouvert lundi devant la cour d’assises des mineurs d’Aix-en-Provence. 

Le meurtrier présumé n’était ni le compagnon ni l’ex-compagnon de Marie-Bélen Pisano. Pour l’étudiante, il n’était qu’un inconnu croisé à l’entrée de la station de métro La Timone à Marseille le 17 mars 2019, alors qu’elle partait rejoindre des amies au restaurant. Les bandes-vidéo des caméras de surveillance montrent un bref échange entre Marie-Bélen et son meurtrier – au visage masqué par une capuche - qui la suivait depuis plusieurs minutes. On voit ce dernier asséner un coup de couteau à la jeune fille dans l’escalator de la station. Marie-Bélen tente alors de fuir en remontant l'escalier mécanique à contre-sens, poursuivie par son agresseur. La jeune femme parvient à sortir mais s’écroule en pleine rue. Identifié par son ADN dans les mois qui suivent, le jeune homme de 17 ans est mis en examen. Il a toujours nié les faits reprochés. Pour le meurtre de Marie-Belen Pisano, l’accusé mineur au moment des faits encourt vingt ans de réclusion criminelle.

« Les parents n’acceptent pas qu’on résume cette affaire à un vol de téléphone qui a mal tourné »

Beryl Brown, avocate de la famille de Marie-Bélen.

L’enquête judiciaire s’oriente tout de suite vers un vol de portable. Trois témoins indiquent aux policier·ières que l’homme a pris un objet sur la jeune fille avant de prendre la fuite. Son téléphone portable, un vieil Iphone d’une valeur d’une vingtaine d’euros, n’a jamais été retrouvé, pas plus que l’arme du crime. Mais dès le lendemain de la mort de leur fille, Ruben et Gisèle Pisano en sont certains : il s’agit d’un « féminicide non-intime ». « Ils n’acceptent pas qu’on résume cette affaire à un vol de téléphone qui a mal tourné », affirme leur avocate, maître Beryl Brown à Causette. L’avocate soutient qu’il n’y avait aucune motivation, aucun mobile derrière ce geste. « Pourquoi il la tue ?, interroge Beryl Brown. On est en droit de se demander si l’acte violent n’est pas déclenché par la frustration, par la haine de l’autre pour ce qu’elle est : une femme. »

Le combat de la famille Pisano est seulement symbolique puisque, rappelons-le, le féminicide n’existe pas dans la législation française. Selon l’article 132 du Code pénal, le meurtre par conjoint·e ou ex-conjoint·e est considéré comme une circonstance aggravante. Que la justice admette qu’il s’agit d’un féminicide ne changera donc rien à la peine requise contre l’accusé. Néanmoins, « résumer cela à un vol de téléphone c’est choisir la facilité, insiste Me Brown. Dans cette affaire, si on fait abstraction du vol qui a eu lieu après, vous avez deux personnes qui ne se connaissent pas. Il y a un homme qui aborde une jeune femme à l’entrée du métro, et qui lui assène un coup de couteau en plein cœur tout de suite après. »

Plaider le féminicide non-intime

Cette réflexion, l’avocate compte bien la distiller tout au long de sa plaidoirie. « Je vais plaider le féminicide non intime, assure-t-elle. Juridiquement, on ne peut pas requalifier en ce sens, mais mon rôle est d’interroger sur cette notion. Je vais m’intéresser au passage à l’acte de cet homme en questionnant : qu’est-ce qui peut conduire un jeune homme à tuer une jeune femme qu’il ne connait pas ? Je compte mettre les jurés face à cette question. » Le verdict du procès est attendu ce vendredi 10 février.

Vers une entrée du « féminicide » dans la législation ? 

En France, le terme « féminicide » né en Amérique latine au début des années 90 pour qualifier les meurtres de prostituées, désigne habituellement les crimes de femmes commis par des conjoint·es ou des ex-conjoint·es. Mais en janvier 2022, le collectif féministe Nous Toutes décidait d’étendre son décompte au-delà des seuls féminicides conjugaux, incluant ainsi la recension des meurtres et assassinats d’une femme en raison de son genre, et ce, quel que soient les circonstances.

À la question faudra-t-il un jour inclure le terme « féminicide » dans la législation française pour permettre aux crimes commis à l'encontre de femmes par un·e inconnu·e d'être reconnus - et donc jugés - comme cela ? L’avocate pénaliste répond par la prudence : « À l’heure actuelle, je ne peux pas apporter de réponse. Il serait bon d’appréhender le féminicide autrement que comme une circonstance aggravante, mais il faut faire attention aux conséquences complexes que cela pourrait engendrer, notamment sur l’égalité entre les femmes et les hommes. »

Lire aussi I Nous Toutes lance une inter-organisation pour « donner une vision plus représentative des féminicides en France »

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