Il y a la France des ronds-points, qui peine déjà à joindre les deux bouts. Et puis il y a la France des recoins. Qui n’a même pas de bouts à joindre. Dans ces recoins se cachent les « invisibles ». Les femmes de la rue. 38 % des sans-domicile fixe sont des femmes. Deux sur cinq. Mais le plus souvent, on ne les voit pas. Un film poignant leur rend hommage. L’occasion pour Causette de leur donner la parole et de comprendre leur quotidien.
Le 7 novembre 2018, dans une salle bondée de l’UGC Ciné Cité Lille, dans le Nord, une trentaine de femmes montent sur l’estrade, resplendissantes et émues. Elles sont les « invisibles » du film éponyme de Louis-Julien Petit, projeté ce soir-là en avant-première. L’histoire, tristement banale, d’un centre d’accueil de jour pour femmes sans abri, L’Envol, qui doit fermer ses portes pour des raisons budgétaires. Grâce à l’union émulatrice des travailleuses sociales du centre et des femmes qui le fréquentent, ces dernières vont réussir à se sortir par le haut, collectivement et une par une, de la fatalité.
C’est après avoir découvert le documentaire Femmes invisibles, survivre dans la rue, de Claire Lajeunie, que Louis-Julien Petit a eu envie d’en faire une fiction, à la fois réaliste, drôle et pleine d’espoir. Pour cela, il a décidé de réunir un casting d’actrices professionnelles. Corinne Masiero, qui interprète la géniale directrice de L’Envol ; Audrey Lamy, l’assistante sociale au grand cœur, qui se laisse déborder par son métier ; Noémie Lvovsky, la bénévole qui cherche un sens à sa vie ; et Déborah Lukumuena, dans le rôle d’une animatrice, elle-même tout juste sortie de la rue. Pour jouer les femmes accueillies, Louis-Julien Petit a choisi de faire travailler des non-professionnelles qui ont connu la rue ou la très grande précarité.
« Leur faire jouer les rôles des SDF de l’histoire était essentiel pour mêler fiction et vraie réalité sociale », explique Louis-Julien Petit. Pour ce faire, son équipe et lui ont lancé des castings d’inconnues – désormais dans une situation plus stable – auprès d’entreprises de réinsertion ou de boîtes d’intérim d’insertion. Laetitia, Kouka, Marianne, Adolpha, mais aussi Lina, Stéphanie…, toutes ont été, à un moment ou à un autre de leur existence, à la marge de notre société. Toutes ont rebondi, après des années de galère, grâce à la solidarité familiale, l’amour, au travail des assistantes sociales et des services de l’État, celui des associations, à un employé de mairie compatissant et même à des curés.
Ce sont elles, ces femmes si émouvantes, qui font le sel de ce film. Et qui montent, ce soir-là, sur la scène lilloise. Celles qu’on s’est habitué à ne pas voir quand on les croise près des supérettes, à côté des gares. Celles qui, tels des caméléons, ont épousé la couleur du gris de nos villes pour se fondre dans le décor, discrétion nécessaire à la survie face aux dangers de la rue. Mais ce soir, les « invisibles » sont là, bien là, fières et joyeuses, sous les regards des spectateurs et spectatrices, des journalistes et de leurs proches venu·es voir leur prestation. Le réalisateur passe le micro à chacune pour qu’elles disent un mot. Les « merci Louis-Julien » pleuvent, de la part des comédiennes professionnelles comme de celles pour qui c’était la première expérience de cinéma.
Durant le tournage, il y a un an, ces femmes ont repris confiance en elles. Toutes racontent avoir vécu un chaleureux moment de sororité, qui les a tirées vers le haut. Toutes espèrent que Les Invisibles sera vu dans les salons confortables de la République et que de cette œuvre naîtra un haut-le-cœur collectif pour que des solutions concrètes – le logement étant hautement prioritaire – soient apportées à leurs sœurs de[…]