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© LE NOUVEAU DÉTECTIVE

« Le Nouveau Détective », à l’heure du post-#METOO

Le Nouveau Détective, seul magazine français exclusivement consacré aux faits divers, réfléchit à la dénomination du féminicide dans ses colonnes. Causette a voulu en savoir plus auprès de Julie Rigoulet, sa rédactrice en chef.

Depuis 1928, la recette du Nouveau Détective est inchangée. Des crimes d’une violence hors du commun, des enquêtes rigoureuses et un récit des faits haletant. Et des photos qui n’épargnent aucun détail. Quatre-vingtquinze ans après sa création, il affiche 990 240 lecteur·rices par semaine. Qui dit mieux dans la presse française ? Les récits d’assassinats de femmes par leur compagnon contribuent à ce succès : un quart des articles y est aujourd’hui consacré. Pourtant, cet éternel classique du genre confronte Le Nouveau Détective à ses contradictions. Car #MeToo et la vague féministe sont passés par là. Sa rédactrice en chef, Julie Rigoulet, interrogée par Causette, le déclare nettement : « Le féminicide ne relève plus des faits divers. » Pour un magazine censé se consacrer uniquement à ces derniers, cela devrait signifier l’élimination du féminicide de ses pages. Pourtant, il n’en est rien.

Causette : Le Nouveau Détective utilise abondamment le terme bien précis de féminicide. Les crimes qu’il recouvre ne font donc plus partie du domaine du fait divers à vos yeux?

Julie Rigoulet : Pour nous, un féminicide n’est clairement pas un fait divers. C’est un phénomène de masse et de société. La répétitivité avec laquelle on en parle empêche qu’on le voie autrement. On en publie quatre par semaine, sur une douzaine d’histoires. C’est sans fin. C’est terrible. Et on voit bien le mécanisme : une histoire d’amour, et ça déraille. Un gars qui casse son jouet – comme une manette de PlayStation… C’est l’expression de la bassesse humaine, assise sur un modèle dépassé de domination patriarcale.

« Pour nous, un féminicide n’est clairement pas un fait divers. C’est un phénomène de masse et de société »

Après #MeToo, vous avez changé de discours. Plus de « disputes amoureuses qui tournent mal », comme du temps de l’assassinat de Marie Trintignant en 2003, où Le Nouveau Détective avait pu titrer sur « Ce qui a rendu fou Bertrand Cantat », sous-entendant qu’il y avait des raisons à son acte. C’est venu de vous, ou d’une exigence de vos lecteur·rices ?

J. R. : On ne modèle pas notre époque. On l’accompagne. On se nourrit de notre lectorat, auquel on répond. Il est essentiellement constitué de jeunes mères avec des enfants en bas âge, de milieux populaires. Si on est sensible au contexte #MeToo, c’est aussi grâce à elles. Dans les retours qu’elles nous font, elles disent qu’elles s’identifient aux victimes. Nous choisissons de raconter essentiellement des histoires qui ont lieu dans les milieux populaires. Elles les lisent, nous disent-elles, pour se protéger du mal. Pour adopter les bons réflexes. Un exemple : régulièrement, les victimes font l’erreur de retourner chercher leurs affaires après avoir subi de premières violences de leur compagnon. Nos lectrices retiennent de ne jamais faire cela. On a beaucoup de retours sur notre page Facebook, mais aussi des courriers manuscrits, très à l’ancienne. On est avec nos lectrices, proches d’elles. Par exemple, notre « compteur féminicide », cette pastille parfois ajoutée en couverture, répond à leur demande récurrente : «  Mais c’est la combientième  ? » C’est pour elles que nous l’avons ajoutée.

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© LE NOUVEAU DÉTECTIVE

Comment obtenez-vous ce style particulier ? Est-ce que Le Nouveau Détective a des « secrets de fabrication » ?

J. R. : Bien sûr ! Le fait divers, c’est une façon de raconter un drame humain. Nous faisons du «  journalisme narratif » : tout est vrai dans Le Nouveau
Détective 
; on met simplement la littérature au service du récit de crime. On accroche le lecteur grâce à cette façon de raconter. Notre procédé de fabrication est le suivant. On a quatre reporters : deux hommes, deux femmes. Dès qu’on repère un bon sujet, on les envoie sur le terrain. Ils enquêtent chez les voisin·es, auprès des policier·ères, des avocat·es : du classique. Ils préparent une « bande » : c’est ainsi que nous appelons l’enquête brute. La bande est envoyée à nos « plumes », dont les noms ne figurent pas dans le journal. Les «  plumes » racontent en se plaçant toujours du côté de la victime, de son point de vue. Nous avons parfois de grandes plumes, mais qui ne souhaitent pas se faire connaître sous ce jour-là. J’aimerais bien avoir Houellebecq, pour l’instant on ne l’a pas eu. On m’a dit qu’il aimait beaucoup Détective. Ça se fera peut-être, Inch’Allah! (Rires).

« On est friands du stéréotype " amour et crime ", c’est un fait. Mais c’est juste l’emballage »

Malgré les changements post-MeToo, l’ADN ancien du journal transparaît parfois encore : dans le numéro spécial « Crimes et Passion », on trouve des titres tels que « De l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas ». Faire perdurer la vieille idée patriarcale qu’aimer peut mener à tuer, c’est atténuer la gravité du féminicide. Pourquoi ne pas renoncer totalement à cette rhétorique ?

J. R. : Ah, le « Crimes & Passion »… Il est publié tous les ans. Il est très
attendu. Ce sont des mots clés. Il n’y a pas trente-six façons de thématiser le crime, et ce sont les recettes du succès ! Forcément, notre magazine évolue, mais il conserve aussi son ADN premier.

D’où certaines contradictions ?

J. R. : Je réfléchis : comment aurais-je pu le titrer autrement ?… Je ne vois pas. En tout cas pas avec le mot « féminicide ». C’est trop réducteur par rapport à ce hors série, où il n’y a pas 100 % de victimes femmes. Ce sont aussi des histoires de couple. Alors oui, on a recours au stéréotype « amour et crime », c’est vrai : on en est friand, c’est un fait. Mais c’est juste l’emballage. Il faut aller au-delà. Pour l’instant, je ne vois pas comment remplacer « De l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas », mais peut-être que je changerai. La presse traditionnelle titrerait : « Une jeune fille massacrée de coups dans son hall d’immeuble », de façon purement factuelle. Mais notre magazine est entièrement consacré aux faits divers, donc il nous faut une accroche en plus, sinon ce serait extrêmement ennuyeux. Nous, on est du côté de la victime, et au moins pour elle, à l’origine, il y a eu un semblant d’amour, sinon l’histoire n’aurait pas commencé. C’est parce qu’on adopte son point de vue à elle que nos histoires touchent nos lectrices.

Le Nouveau Détective, 1,99 euro, en kiosque tous les mercredis.

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