01 LND 2072
© LE NOUVEAU DÉTECTIVE

« Le Nouveau Détective », à l’heure du post-#METOO

Le Nouveau Détective, seul maga­zine fran­çais exclu­si­ve­ment consa­cré aux faits divers, réflé­chit à la déno­mi­na­tion du fémi­ni­cide dans ses colonnes. Causette a vou­lu en savoir plus auprès de Julie Rigoulet, sa rédac­trice en chef.

Depuis 1928, la recette du Nouveau Détective est inchan­gée. Des crimes d’une vio­lence hors du com­mun, des enquêtes rigou­reuses et un récit des faits hale­tant. Et des pho­tos qui n’épargnent aucun détail. Quatre-​vingtquinze ans après sa créa­tion, il affiche 990 240 lecteur·rices par semaine. Qui dit mieux dans la presse fran­çaise ? Les récits d’assassinats de femmes par leur com­pa­gnon contri­buent à ce suc­cès : un quart des articles y est aujourd’hui consa­cré. Pourtant, cet éter­nel clas­sique du genre confronte Le Nouveau Détective à ses contra­dic­tions. Car #MeToo et la vague fémi­niste sont pas­sés par là. Sa rédac­trice en chef, Julie Rigoulet, inter­ro­gée par Causette, le déclare net­te­ment : « Le fémi­ni­cide ne relève plus des faits divers. » Pour un maga­zine cen­sé se consa­crer uni­que­ment à ces der­niers, cela devrait signi­fier l’élimination du fémi­ni­cide de ses pages. Pourtant, il n’en est rien.

Causette : Le Nouveau Détective uti­lise abon­dam­ment le terme bien pré­cis de fémi­ni­cide. Les crimes qu’il recouvre ne font donc plus par­tie du domaine du fait divers à vos yeux ?

Julie Rigoulet : Pour nous, un fémi­ni­cide n’est clai­re­ment pas un fait divers. C’est un phé­no­mène de masse et de socié­té. La répé­ti­ti­vi­té avec laquelle on en parle empêche qu’on le voie autre­ment. On en publie quatre par semaine, sur une dou­zaine d’histoires. C’est sans fin. C’est ter­rible. Et on voit bien le méca­nisme : une his­toire d’amour, et ça déraille. Un gars qui casse son jouet – comme une manette de PlayStation… C’est l’expression de la bas­sesse humaine, assise sur un modèle dépas­sé de domi­na­tion patriarcale.

« Pour nous, un fémi­ni­cide n’est clai­re­ment pas un fait divers. C’est un phé­no­mène de masse et de socié­té »

Après #MeToo, vous avez chan­gé de dis­cours. Plus de « dis­putes amou­reuses qui tournent mal », comme du temps de l’assassinat de Marie Trintignant en 2003, où Le Nouveau Détective avait pu titrer sur « Ce qui a ren­du fou Bertrand Cantat », sous-​entendant qu’il y avait des rai­sons à son acte. C’est venu de vous, ou d’une exi­gence de vos lecteur·rices ?

J. R. : On ne modèle pas notre époque. On l’accompagne. On se nour­rit de notre lec­to­rat, auquel on répond. Il est essen­tiel­le­ment consti­tué de jeunes mères avec des enfants en bas âge, de milieux popu­laires. Si on est sen­sible au contexte #MeToo, c’est aus­si grâce à elles. Dans les retours qu’elles nous font, elles disent qu’elles s’identifient aux vic­times. Nous choi­sis­sons de racon­ter essen­tiel­le­ment des his­toires qui ont lieu dans les milieux popu­laires. Elles les lisent, nous disent-​elles, pour se pro­té­ger du mal. Pour adop­ter les bons réflexes. Un exemple : régu­liè­re­ment, les vic­times font l’erreur de retour­ner cher­cher leurs affaires après avoir subi de pre­mières vio­lences de leur com­pa­gnon. Nos lec­trices retiennent de ne jamais faire cela. On a beau­coup de retours sur notre page Facebook, mais aus­si des cour­riers manus­crits, très à l’ancienne. On est avec nos lec­trices, proches d’elles. Par exemple, notre « comp­teur fémi­ni­cide », cette pas­tille par­fois ajou­tée en cou­ver­ture, répond à leur demande récur­rente : « Mais c’est la com­bien­tième ? » C’est pour elles que nous l’avons ajoutée.

Capture d’écran 2023 06 09 à 18.06.22
© LE NOUVEAU DÉTECTIVE

Comment obtenez-​vous ce style par­ti­cu­lier ? Est-​ce que Le Nouveau Détective a des « secrets de fabrication » ?

J. R. : Bien sûr ! Le fait divers, c’est une façon de racon­ter un drame humain. Nous fai­sons du « jour­na­lisme nar­ra­tif » : tout est vrai dans Le Nouveau
Détective 
; on met sim­ple­ment la lit­té­ra­ture au ser­vice du récit de crime. On accroche le lec­teur grâce à cette façon de racon­ter. Notre pro­cé­dé de fabri­ca­tion est le sui­vant. On a quatre repor­ters : deux hommes, deux femmes. Dès qu’on repère un bon sujet, on les envoie sur le ter­rain. Ils enquêtent chez les voisin·es, auprès des policier·ères, des avocat·es : du clas­sique. Ils pré­parent une « bande » : c’est ain­si que nous appe­lons l’enquête brute. La bande est envoyée à nos « plumes », dont les noms ne figurent pas dans le jour­nal. Les « plumes » racontent en se pla­çant tou­jours du côté de la vic­time, de son point de vue. Nous avons par­fois de grandes plumes, mais qui ne sou­haitent pas se faire connaître sous ce jour-​là. J’aimerais bien avoir Houellebecq, pour l’instant on ne l’a pas eu. On m’a dit qu’il aimait beau­coup Détective. Ça se fera peut-​être, Inch’Allah! (Rires).

« On est friands du sté­réo­type " amour et crime ", c’est un fait. Mais c’est juste l’emballage »

Malgré les chan­ge­ments post-MeToo, l’ADN ancien du jour­nal trans­pa­raît par­fois encore : dans le numé­ro spé­cial « Crimes et Passion », on trouve des titres tels que « De l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas ». Faire per­du­rer la vieille idée patriar­cale qu’aimer peut mener à tuer, c’est atté­nuer la gra­vi­té du fémi­ni­cide. Pourquoi ne pas renon­cer tota­le­ment à cette rhétorique ?

J. R. : Ah, le « Crimes & Passion »… Il est publié tous les ans. Il est très
atten­du. Ce sont des mots clés. Il n’y a pas trente-​six façons de thé­ma­ti­ser le crime, et ce sont les recettes du suc­cès ! Forcément, notre maga­zine évo­lue, mais il conserve aus­si son ADN premier.

D’où cer­taines contradictions ?

J. R. : Je réflé­chis : com­ment aurais-​je pu le titrer autre­ment ?… Je ne vois pas. En tout cas pas avec le mot « fémi­ni­cide ». C’est trop réduc­teur par rap­port à ce hors série, où il n’y a pas 100 % de vic­times femmes. Ce sont aus­si des his­toires de couple. Alors oui, on a recours au sté­réo­type « amour et crime », c’est vrai : on en est friand, c’est un fait. Mais c’est juste l’emballage. Il faut aller au-​delà. Pour l’instant, je ne vois pas com­ment rem­pla­cer « De l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas », mais peut-​être que je chan­ge­rai. La presse tra­di­tion­nelle titre­rait : « Une jeune fille mas­sa­crée de coups dans son hall d’immeuble », de façon pure­ment fac­tuelle. Mais notre maga­zine est entiè­re­ment consa­cré aux faits divers, donc il nous faut une accroche en plus, sinon ce serait extrê­me­ment ennuyeux. Nous, on est du côté de la vic­time, et au moins pour elle, à l’origine, il y a eu un sem­blant d’amour, sinon l’histoire n’aurait pas com­men­cé. C’est parce qu’on adopte son point de vue à elle que nos his­toires touchent nos lectrices.

Le Nouveau Détective, 1,99 euro, en kiosque tous les mercredis.

Partager
Articles liés
Cryptobros1

Cryptomonnaies : concours de bitcoins

De nombreuses communautés issues de la « manosphère », ces espaces virtuels réservés aux hommes, ont fait des cryptomonnaies et des NFT leur nouveau cheval de bataille. Un nouvel espace où leur vision de la virilité, qui oscille entre haine des...

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.