2022 01 19 21 06 26 meeting Melenchon Strasbourg
© Thomas Bresson / Wikimedia

Israël-​Hamas : “Mélenchon a com­mis une faute morale et politique”

En refu­sant de recon­naître le carac­tère ter­ro­riste du Hamas et de l’attaque du 7 octobre, le lea­der de la France Insoumise risque-​t-​il de faire implo­ser son par­ti et la Nupes ? On fait le point avec Denis Sieffert, ancien direc­teur de la rédac­tion de Politis, auteur de Gauche : les ques­tions qui fâchent et d’Israël-​Palestine, une pas­sion fran­çaise.

Causette : Comment analysez-​vous le fait qu’une par­tie de La France Insoumise (LFI), Jean-​Luc Mélenchon en tête, per­siste à refu­ser de qua­li­fier offi­ciel­le­ment le Hamas d’“organisation ter­ro­riste” ? Pourquoi cam­per sur cette posi­tion qui, d’une part, isole LFI et, d’autre part, nour­rit les divi­sions au sein même des Insoumis ?
Denis Sieffert :
Il y a un pre­mier élé­ment, un peu irra­tion­nel, qui est la ten­dance de Mélenchon à vou­loir s’opposer. C’est celui qui dit non qui est cli­vant. Il en a fait une stra­té­gie poli­tique géné­rale. Et quand tout le monde dit qu’il y a un acte ter­ro­riste, il dit le contraire. Mais il y a une autre rai­son, peut-​être plus pro­fonde et plus inté­res­sante à ana­ly­ser. Je crois que Mélenchon et ses proches amis ont craint, en accep­tant de carac­té­ri­ser le Hamas et son action du 7 octobre comme ter­ro­ristes, de jeter le dis­cré­dit sur la cause pales­ti­nienne. Je pense qu’il y a eu un amal­game – ce qui est très para­doxal – entre les deux. Moi, je n’ai aucune crainte à dire que c’est un acte ter­ro­riste et que c’est un mou­ve­ment qui pra­tique le ter­ro­risme. Mais ça ne m’empêche pas de dire, aus­si­tôt après, que ce qui se passe à Gaza avec les bom­bar­de­ments israé­liens, c’est du ter­ro­risme d’État. 
C’est une erreur d’avoir redou­té, en accep­tant de qua­li­fier le Hamas comme ter­ro­riste, de ne plus pou­voir par­ler de la cause pales­ti­nienne. En tout cas, c’est une faute poli­tique de leur part et une faute morale. C’est très fâcheux pour tout le monde, et pour eux les pre­miers, parce que leur parole a été dis­cré­di­tée. Maintenant, quoi que dise Mélenchon, on le ren­voie à ça. La Première ministre, Élisabeth Borne, et d’autres se sont engouf­frés là-​dedans pour dire : “Il ne fait plus par­tie de l’arc répu­bli­cain.” Je ne sous­cris pas à ce dis­cours. Mais ils ont com­mis une faute poli­tique, qui leur ferme beau­coup de portes.

Les accu­sa­tions d’antisémitisme qui visent l’extrême gauche, et en par­ti­cu­lier LFI, sont-​elles fon­dées ?
D. S. : Ça peut être fon­dé chez cer­tains indi­vi­dus, mais je ne pense pas que la France insou­mise et pas même Mélenchon soient anti­sé­mites. C’est vrai­ment une stra­té­gie de la droite et du gou­ver­ne­ment de dis­cré­di­ter toute cri­tique d’Israël en l’assimilant à de l’antisémitisme. C’est non seule­ment faux, mais mal­hon­nête. La polé­mique récente autour de la visite de Yaël Braun-​Pivet en Israël n’a pas amé­lio­ré les choses et prouve bien que Mélenchon est main­te­nant dans le col­li­ma­teur. Dans son tweet, il a cri­ti­qué, à juste titre, la visite de Braun-​Pivet, qui a fait très fort dans l’encouragement à bom­bar­der Gaza. En revanche, il emploie l’expression “campe à Tel-​Aviv”. Immédiatement, il a été accu­sé d’antisémitisme. Je ne sais pas ce qu’il y avait der­rière ce mot et il est pos­sible que ce soit tout sim­ple­ment une mal­adresse de sa part. En tout cas, c’est la preuve que leur faute poli­tique a des conséquences.

Une par­tie des élu·es insoumis·es (Clémentine Autin, François Ruffin, Raquel Garrido, Alexis Corbière…) a affi­ché publi­que­ment son désac­cord avec la ligne offi­cielle du par­ti. Cette divi­sion interne préexistait-​elle au sein de LFI, ou est-​ce la crise actuelle qui a géné­ré cette frac­ture ?
D. S. : Elle exis­tait déjà. Cette affaire, c’est un peu la goutte d’eau qui a fait débor­der le vase, sur une thé­ma­tique par­ti­cu­liè­re­ment sen­sible. Mais ça fai­sait des mois qu’il y avait une diver­gence assez pro­fonde entre Ruffin, Autain, Corbière, Garrido – et sans doute quelques autres – et Mélenchon et sa garde rap­pro­chée, essen­tiel­le­ment sur la ques­tion de la démo­cra­tie interne du par­ti. Ça fait des mois, peut-​être même des années, qu’il y a une diver­gence sur la façon dont fonc­tionne la France insou­mise, sur le fait qu’il n’y ait pas de vote interne, pas de congrès, etc. Tout ça a été très cri­ti­qué à voix basse assez long­temps. Aujourd’hui, ça émerge sur la place publique parce qu’il y a cette actua­li­té au Moyen-​Orient et cette faute de Mélenchon. Mais c’est le révé­la­teur de quelque chose d’ancien, qui aurait écla­té tôt ou tard.


Ce cli­vage peut-​il faire explo­ser la France Insoumise ?
D. S. : À terme, oui. Mais la ques­tion est de savoir quand sera le terme, en l’occurrence. Parce qu’on voit bien qu’actuellement, les proches de Mélenchon disent à ceux qui ont mani­fes­té leur désac­cord : “Cassez-​vous”. Mais ils ne veulent pas se cas­ser, et ils n’ont aucune rai­son de quit­ter la mai­son, alors qu’ils pensent avoir rai­son sur ces ques­tions de prin­cipe comme sur les ques­tions de démo­cra­tie interne. Et d’une cer­taine façon, Mélenchon est vic­time de sa propre stra­té­gie à l’intérieur de la France insou­mise : comme il n’y a pas de struc­ture qui élit ou qui vote, il n’y en a pas non plus qui exclut. Donc à moins que les “fron­deurs” décident de par­tir – ce qui n’a pas l’air d’être du tout leur volon­té pour l’instant – ils sont ame­nés à coha­bi­ter dans une ambiance qui n’a pas l’air d’être des meilleures.

Ces der­niers jours, Le Parti socia­liste, puis le Parti com­mu­niste ont pris leurs dis­tances avec leurs alliés de LFI. La Nupes pourra-​t-​elle se rele­ver de cette crise ?
D. S. : À mon avis, non. Là, les choses sont trop avan­cées. Ne par­lons même pas de Roussel et du Parti com­mu­niste, où la rup­ture est presque consom­mée. S’agissant des écolo­gistes et du PS, ils sont par­ti­sans de la Nupes, donc ils n’ont pas de rai­son de prendre l’initiative de la rup­ture. Mais j’ai vu que Mélenchon a dit : “C’est allé trop loin, main­te­nant c’est irré­ver­sible.” Et on peut aus­si pen­ser que Mélenchon n’est pas très fâché que la Nupes implose – pas plus que Roussel d’ailleurs – parce que ça lui laisse les mains libres pour un pro­chain ave­nir, peut-​être pour se décla­rer can­di­dat à la pré­si­den­tielle. Or si la Nupes per­dure, il va devoir se sou­mettre à un mode de dési­gna­tion col­lec­tif, ce qui n’est pas trop son genre. Donc je crois que la Nupes est plu­tôt compromise.

La crise actuelle ne fait-​elle que ravi­ver les divi­sions his­to­riques de la gauche sur la ques­tion israélo-​palestinienne ou révèle-​t-​elle une frac­ture nou­velle ?
D. S. : C’est dif­fi­cile à dire. Il est vrai que le vieux Parti socia­liste, du temps de Guy Mollet ou même sous Mitterrand, avait un tro­pisme très pro-​israélien. Ce vieux Parti socia­liste, il a lais­sé des traces, par exemple avec un per­son­nage comme Valls – qui n’en fait plus par­tie. De ce fait, on peut pen­ser qu’il y a en effet des traces his­to­riques de ces diver­gences avec une gauche plus radi­cale qui, elle, était très pro­pa­les­ti­nienne et très anti­co­lo­niale. Donc, ce débat sur le colo­nia­lisme a exis­té his­to­ri­que­ment. Maintenant, je ne me hasar­de­rais pas à dire qu’Olivier Faure est l’héritier de Guy Mollet. Je ne le crois pas du tout. Je pense que les socia­listes ont beau­coup avan­cé là-​dessus et qu’ils ont des posi­tions sur le Moyen-​Orient qui sont inté­res­santes. Et d’ailleurs, ce n’est pas parce qu’ils qua­li­fient le Hamas d’organisation ter­ro­riste qu’ils se rat­tachent à cette généa­lo­gie très ancienne.

gauche les questions qui fachent et quelques raisons d esperer

Gauche : les ques­tions qui fâchent… et quelques rai­sons d’espérer, de Denis Sieffert. Les Petits Matins, 2021, 230 pages, 16 euros.

9782348061257

Israël-​Palestine, une pas­sion fran­çaise, de Denis Sieffert. La Découverte, 2004, 269 pages, 19 euros.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.