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©Taylor Flowe

Heure de sen­si­bi­li­sa­tion au har­cè­le­ment sco­laire dans les col­lèges : les remon­tées et les décep­tions du terrain

Comme annon­cé par le ministre de l’Éducation natio­nale le 12 juin, une heure de sen­si­bi­li­sa­tion au har­cè­le­ment sco­laire s’est tenue dans tous les col­lèges de France la semaine der­nière. Une CPE et une pro­fes­seure d’histoire-géographie racontent à Causette com­ment cela s’est dérou­lé sur le terrain. 

Pour Manon, la semaine der­nière a res­sem­blé à une longue et inter­mi­nable gueule de bois. La CPE de 26 ans a dû consa­crer une grande majo­ri­té de son temps à inter­ve­nir dans cha­cune des seize classes de son col­lège de l’Orne dans le cadre de l’heure de sen­si­bi­li­sa­tion au har­cè­le­ment sco­laire annon­cée lun­di 12 juin par le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye. Une heure mise en place après l’émotion natio­nale sus­ci­tée par le sui­cide de Lindsay – cette ado de 13 ans, vic­time de har­cè­le­ment sco­laire, qui a mis à ses jours le 12 mai dernier.

Si le ministre a écrit ven­dre­di 9 juin, aux 7 000 principaux·ales de col­lège pour qu’ils·elles orga­nisent une heure de sen­si­bi­li­sa­tion sur le thème « har­cè­le­ment et réseaux sociaux » dans la semaine du 12 au 16 juin, Manon l’a pour­tant appris lun­di matin dans la presse. « Le timing plus que ser­ré a été très mal accueilli par l’équipe édu­ca­tive du col­lège, per­sonne n’a com­pris, explique-​t-​elle à Causette. C’est impor­tant de par­ler de ce sujet à l’école, mais ça me dérange la façon dont cela a été fait. Ça sort com­plè­te­ment du cha­peau. » 

« Maltraitance professionnelle »

La demande du minis­tère de l’Éducation natio­nale a éga­le­ment fait bon­dir Coline, pro­fes­seure d’histoire-géographie dans un col­lège de Seine-​Saint-​Denis. Elle a reçu un mail de son pro­vi­seur dans la soi­rée du ven­dre­di lui deman­dant de réor­ga­ni­ser son emploi du temps pour per­mettre aux deux média­teurs du col­lège d’organiser leurs séances de sen­si­bi­li­sa­tion. Le duo a dû sen­si­bi­li­ser les 570 élèves du col­lège en sept jours. Un vrai défi. « Ils ont seule­ment eu le week-​end pour les pré­pa­rer, ce n’est clai­re­ment pas assez, déplore Coline auprès de Causette. Surtout qu’ils n’ont pas l’habitude d’être confron­tés à des classes entières, ils gèrent plu­tôt des conflits indi­vi­duels. Pour moi, c’est de la mal­trai­tance professionnelle. » 

Pour Coline, ce manque de pré­pa­ra­tion dû à un manque de temps s’est res­sen­ti lors de la séance avec les troi­sièmes à laquelle elle a assis­té mer­cre­di der­nier. « C’est logique, le har­cè­le­ment est un sujet com­plexe qui demande de la pré­pa­ra­tion pour ne pas tom­ber dans le, “ c’est bien/c’est mal”, ça se tra­vaille sur des mois voire des années, pas sur un week-​end », détaille la professeure. 

Comme pour Manon, la période n’était pas non plus des plus idéales. « Les élèves de troi­sième passent le bre­vet dans quelques jours, on est en pleine pré­pa­ra­tion des conseils de classe, c’était vrai­ment le timing par­fait », iro­nise Coline. Pour elle, cette annonce était sur­tout « une réponse ins­ti­tu­tion­nelle à des parents endeuillés ». C’est en effet dans la fou­lée de sa ren­contre avec les parents de Lindsay que Pap Ndiaye a fait cette annonce.

S'appuyer sur des res­sources déjà existantes 

Heureusement, les média­teurs de son col­lège ont pu s’appuyer sur des res­sources déjà exis­tantes pour mon­ter leur séance, notam­ment le clip « Et si l’autre, c’était toi » mis à dis­po­si­tion sur le site du minis­tère de l’Éducation. « Ils ont pas­sé ce clip puis il y a eu une dis­cus­sion sur le sujet avec les élèves qui ont été assez récep­tifs, note la prof. Il faut dire qu’on n’a pas atten­du le minis­tère pour s’emparer du pro­blème. » Cette année, il y a eu trois conseils de classe pour des cas de har­cè­le­ment dans son collège.

De son côté, coup de bol pour Manon qui avait de toute façon pré­vu de pas­ser pro­chai­ne­ment dans chaque classe pour dif­fu­ser une vidéo de sept minutes qu’elle avait tour­née au col­lège lors de la jour­née de lutte contre le har­cè­le­ment sco­laire en sep­tembre. Elle avait notam­ment fil­mé les échanges entre les professeur·es et les élèves. « Heureusement pour moi c'est plu­tôt bien tom­bé fina­le­ment, sinon je ne sais pas com­ment j’aurais fait, je n’ai reçu aucun outil ni aucune cir­cu­laire sur la marche à suivre », déplore-​t-​elle.

« Sur le har­cè­le­ment en ligne, on est com­plè­te­ment à la ramasse »

Coline, pro­fes­seure d'histoire-géographie dans un col­lège de Seine-Saint-Denis. 

Il lui a quand même fal­lu réor­ga­ni­ser tout son emploi du temps pour pou­voir pas­ser dans chaque classe au fil de la semaine. Elle leur a mon­tré la vidéo puis elle a posé des ques­tions aux élèves : « Qu’est-ce que le har­cè­le­ment ? », « Qu’est-ce que je risque si je har­cèle un cama­rade ? » ou encore « Que faire si je suis vic­time ? ». Dans l’ensemble, Manon estime que les séances se sont plu­tôt bien pas­sées. Les élèves ont été coopératif·tives et à l’écoute et ils·elles maî­trisent plu­tôt bien la défi­ni­tion du har­cè­le­ment sco­laire. Mais elle note un cer­tain « ras-​le-​bol » chez certain·es. « Ils ont l’impression d'entendre tout le temps par­ler du har­cè­le­ment sco­laire, explique-​t-​elle. Je me demande si au final ce genre d'annonce ce n'est pas contreproductif. » 

Pour la CPE, le har­cè­le­ment sco­laire devrait s’inscrire dans le pro­jet édu­ca­tif de chaque col­lège en incluant les professeur·e, les surveillant·es qui peuvent être témoins de har­cè­le­ment, mais sur­tout les élèves. « Les dis­cours et les vidéos, c’est bien, mais ils ont besoin d’être acteurs. La mise en place des ambas­sa­deurs [Les collégien·nes ambassadeur·drices inter­viennent dans les col­lège ou les écoles afin de sen­si­bi­li­ser les élèves au har­cè­le­ment, ndlr], c’est par exemple plu­tôt une bonne chose chez nous », note la CPE. Idem du côté de Coline pour qui la ques­tion des réseaux sociaux et du har­cè­le­ment en ligne n’est pas assez prise en compte. « Là-​dessus, on est com­plè­te­ment à la ramasse », constate-​t-​elle avec déception.

Prendre le temps 

Il faut sur­tout selon elle « prendre le temps ». « Ce serait inté­res­sant de faire de la sen­si­bi­li­sa­tion au har­cè­le­ment sco­laire sur quatre semaines à la ren­trée, indique Coline. À condi­tion tou­te­fois de mettre les moyens humains et finan­ciers pour cela ». Dans la fou­lée de cette heure de sen­si­bi­li­sa­tion, Pap Ndiaye a jus­te­ment annon­cé la semaine der­nière le lan­ce­ment d’une cam­pagne natio­nale de pré­ven­tion à la ren­trée. Elle sera menée à la télé­vi­sion, sur les réseaux sociaux et par voie d’affichage.

Quant au sujet de cette semaine de sen­si­bi­li­sa­tion, le ministre a assu­ré que cette heure n’était pas « une usine à gaz », mais un moyen de « pas­ser de nou­veau des mes­sages » et de per­mettre que chaque élève « parte en vacances en ayant par­fai­te­ment en tête les numé­ros » d’urgence 3018 (cybe­rhar­cè­le­ment) et 3020 (har­cè­le­ment sco­laire). Pas sûr pour autant que le mes­sage soit pas­sé par­tout. Pour Manon, la CPE de l'Orne, au mois de juin la majo­ri­té des élèves sont déjà en vacances dans leur tête.

Lire aus­si I « On a pris per­pet’ le 13 février 2013 » : dix ans après le sui­cide de sa fille Marion, Nora Fraisse se confie

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