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© National Cancer Institute

Débat : faut-​il contraindre les méde­cins à s’installer dans les déserts médicaux ?

Le Conseil national de la refondation consacré à la santé et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2023 ont évoqué la création d'une quatrième année d’internat de médecine pour inciter les jeunes internes à s’installer dans les déserts médicaux.

Le Conseil national de la refondation consacré à la santé et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2023, discuté cet automne à l’Assemblée nationale, tentent de trouver des solutions pour lutter contre les déserts médicaux. Selon les estimations du ministère de la Santé, près de quatre millions de Français∙es vivent dans un territoire sous-doté en médecins généralistes, et plus de six millions n’ont pas de médecin traitant. Des chiffres qui pourraient exploser dans les années à venir avec le vieillissement de la population. Parmi les pistes envisagées, celle de créer une quatrième année d’internat et d’encourager les jeunes internes à s’installer dans les zones faiblement dotées grâce à des incitations financières. Si l’idée d’une forme de contrainte à l’installation des médecins a souvent été envisagée par les pouvoirs publics, elle n’a encore jamais été mise en place. Sur le fond, s’agirait-il d’une solution injuste ou d’un remède nécessaire ?

Olivia Fraigneau

Présidente de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI)

« Nous sommes contre cette mesure qui ferait des internes la variable d’ajustement du système médical. Imaginez un peu : vous avez 30 ans, dix années d’études derrière vous dans une même ville, celle où se trouve la fac de médecine et le CHU. Vous avez construit votre vie avec un ou une partenaire et avez tissé un réseau professionnel et amical. D’un coup, il faudrait tout quitter et aller faire une année supplémentaire dans une zone isolée. Certes, on vous promet de l’argent et un logement, mais pour nous, ça ne compense absolument pas les conséquences de
ce changement. L’internat, c’est déjà une période précaire où on travaille beaucoup sans toujours avoir notre mot à dire sur nos choix de stage. Ajouter à cette précarité un risque d’isolement géographique me paraît très problématique, surtout quand on sait que plus de 30 % des jeunes médecins internes sont en situation de dépression à cause de leur charge de travail.
En tant que futurs médecins, nous sommes sensibles à la problématique des déserts médicaux, évidemment. Mais nous préconisons d’autres solutions. Nous pensons par exemple qu’il serait utile de permettre aux infirmiers et infirmières de suivre des patients souffrant d’une maladie chronique ou de lever certaines barrières d’installation pour permettre aux médecins de travailler dans plusieurs endroits : hôpital, cabinet… Pourquoi ne pas proposer des stages aux médecins dès la première année d’internat dans des zones en tension, pour leur donner envie de s’installer. C’est mieux que de les catapulter quelque part en fin de cursus. »

Laure Artru

Rhumatologue et vice-présidente de l’association des citoyens contre les déserts médicaux

« Ce projet d’une quatrième année me semble assez mal ficelé, notamment car les
incitations ne sont pas assez importantes. Il faudrait que les internes soient payés comme des médecins et pas comme des juniors. Je comprends leur colère. De toute
façon, l’incitation ne marche plus. Des dispositifs ont été mis en place ces dernières
années, mais rien ne marche. Il faut en passer par une régulation stricte de l’installation des médecins sur le territoire dans l’intérêt des patients. Il s’agit d’un métier de service, donc il me semble logique d’aller là où sont les besoins. Les syndicats sont arc-boutés sur la liberté d’installation, mais quand la liberté des uns peut entraîner la mort des autres, ça ne fonctionne plus.
Bien sûr, il faut former plus de médecins, et la réforme du numerus clausus devrait le permettre, mais elle ne réglera pas le problème des déserts médicaux. Il faut absolument réfléchir à la répartition des médecins, sinon on va en trouver encore plus là où ils sont déjà : dans les grandes villes ou au bord de la mer. Au sein de l’association, nous militons notamment pour un conventionnement plus strict parmi les spécialistes. En clair, qu’il soit, par exemple, rendu impossible à des cardiologues de s’installer dans une région déjà bien pourvue. »

Mickaël Portela

Chef de mission à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et coauteur du rapport « Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques. Les leçons de la littérature internationale » (2021)

« Parmi les pays qui régulent l’installation des médecins, on trouve trois démarches. Premièrement, il y a ceux où les médecins sont salariés, comme c’est le cas dans les pays du nord de l’Europe, où les places sont ouvertes là où il y en a besoin. Deuxièmement, ceux qui pratiquent une régulation pour certains médecins : au Royaume-Uni ou aux États-Unis, par exemple, les médecins formés à l’étranger (qui représentent 25 % dans ces pays) ont une obligation d’installation dans certaines zones. Et troisièmement, ceux où les nouveaux médecins ont une obligation d’installation pendant plusieurs années, comme le pratiquent le Royaume-Uni, le Canada, l’Autriche, et comme l’a longtemps fait l’Allemagne.
La plupart du temps, ces politiques de régulation s’accompagnent d’autres mesures d’incitation, ce qui les rend très difficiles à évaluer. Mais dans l’étude que nous avons menée sur la Norvège, le Danemark et la Finlande, il apparaît quand même que, d’un point de vue global, cela semble mieux fonctionner qu’en France, mais cela n’évite pas les pénuries dans certaines zones très éloignées. En Allemagne, on a pu voir que cette régulation avait tendance à réduire le risque de pénurie de médecins. Ces faisceaux d’informations nous laissent donc à penser que ces politiques de contrainte à l’installation ont un effet positif.
Après, il y a deux autres dispositifs qui fonctionnent bien : les politiques de formation qui visent à former des étudiants issus de zones sous-dotées, et les politiques de soutien à l’activité des médecins (prise en charge des remplacements, des gardes…). La vraie solution, c’est sans doute des politiques qui combinent ces trois leviers : amélioration des conditions de travail, formation de jeunes issus de zones sous-dotées et régulation de l’installation. »

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