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Photo : Paola Breizh

Chlordécone aux Antilles : les député·es recon­naissent la “res­pon­sa­bi­li­té” de l’État

Le texte reconnaissant symboliquement la “responsabilité” de l’État dans les ravages du chlordécone a été voté à l’unanimité des 101 votant·es, les groupes de la majorité s’étant abstenus, et va poursuivre son chemin parlementaire au Sénat.

L’Assemblée nationale a adopté, jeudi 29 février, en première lecture, une proposition de loi reconnaissant symboliquement la “responsabilité” de l’État dans les dégâts du chlordécone, un pesticide utilisé aux Antilles jusqu’en 1993 malgré les alertes sur sa nocivité. Ce vote unanime “est une victoire de la représentation nationale, une victoire de la République de la fraternité”, a salué dans l’hémicycle le député PS de Guadeloupe et porteur du texte, Élie Califer, à l’issue des débats. “Nous avons fait un travail que nos territoires vont regarder”.

La proposition de loi prévoit que la "République française reconna[isse] sa responsabilité dans les préjudices sanitaires, moraux, écologiques et économiques" causés par l'utilisation de ce pesticide en Martinique et en Guadeloupe. La France doit avoir pour objectif "la dépollution des terres" et "l'indemnisation de toutes les victimes de cette contamination, qu'elles aient eu lieu ou non dans le cadre d'une activité professionnelle", poursuit le texte.

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Plusieurs amendements portés par les groupes GDR (à majorité communiste), LFI ou Écologistes ont toutefois été ajoutés, parfois contre l’avis même d’Élie Califer. Le texte établit ainsi que la République française doit reconnaître les préjudices “moraux” du scandale, une mention qui ne figurait pas dans la version initiale. A aussi été adopté un amendement visant à la “mise en place d’une campagne de prévention sur l’ensemble du territoire national”.

La France s’assigne en outre “l’objectif d’établir publiquement la responsabilité des décideurs politiques dans ce scandale d’État”, une expression qui a provoqué d’âpres débats. “Il ne faut pas vouloir partir dans tous les sens”, a ainsi regretté le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux. La députée macroniste Charlotte Parmentier-Lecocq a quant à elle souligné que les faits remontent à “plus de trente ans” et dit craindre une chasse aux sorcières.

"Responsabilité des décideurs"

Le chlordécone, pesticide répandu dans les bananeraies pour lutter contre le charançon, a été interdit aux États-Unis dès 1975, mais est resté autorisé en France jusqu’en 1990, et même jusqu’en 1993 – quinze ans après les premières alertes de l’OMS – aux Antilles, où elle a bénéficié d’une dérogation.

Plusieurs élu·es ont en outre souligné les prévalences de maladie comme le cancer de la prostate. Un amendement prévoit la mise en place d'un dépistage systématique du cancer de la prostate à partir de 45 ans pour les populations de Guadeloupe et Martinique.

Les député·es macronistes, très réservé·es, avaient retiré avant la séance un amendement visant à remplacer l'idée de "responsabilité" de l'État par "sa part de responsabilité dans l'ampleur des dommages". Durant les débats, Charlotte Parmentier-Lecocq a estimé qu'il n'y avait "aucune ambiguïté" quant à la "part de responsabilité" de l'État, mais que "d'autres responsabilités ont été à l'œuvre", celles de propriétaires d'exploitation ou d'élu·es locaux·ales de l'époque.

Un autre amendement, actant la création d’une “instance indépendante” pour évaluer les actions de dépollution et de protection des populations, avec la remise d’un rapport au plus tard pour fin 2025, a été adopté.

Pour la MoDem Maud Petit, dont le groupe s'est abstenu en raison des changements "incohérents" apportés, les responsabilités sont "à la fois scientifiques, économiques et politiques". "Malheureusement, les débats se sont déroulés de telle manière que j'ai l'impression que nous avons parfois dressé des gibets", a renchéri le LR Philippe Juvin.

Aux Antilles, où le non-lieu prononcé en janvier 2023 par deux juges d’instruction parisiennes enquêtant sur le scandale avait provoqué beaucoup d’amertume, le vote était scruté de près. Le collectif “Lyannaj pou dépoliyé Gwadloup” (Alliance pour la dépollution de la Guadeloupe) regrettait notamment un texte qui ne va pas assez loin, notamment en n’impliquant pas les producteur·rices de l’époque. “Nous sommes favorables, bien sûr, à une reconnaissance de la responsabilité de l’État”, souligne Laurence Maquiaba, membre de ce collectif, “mais nous ne pouvons pas considérer que l’État est seul responsable, les pollueurs doivent aussi être concernés”.

En Martinique aussi, les militant·es en attendent plus. Pour Philippe Pierre-Charles, porte-parole du collectif “Matinik doubout, gaoulé kont chlordécone” (Martinique debout – révolte contre le chlordécone), cette reconnaissance est “un élément non négligeable”, mais doit ouvrir la porte à un “programme de réparation”. “Et là, ce n’est pas encore ce qui est mis clairement sur la table”, regrette-t-il.

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