IMG 6604
Le refuge solidaire de Briançon, son équipe et ses bénéficiaires © Tous migrants

À Briançon, l’accueil des migrants en sursis

Dans cette ville des Hautes-Alpes, près de la frontière franco-italienne, les associations qui prônent la solidarité envers les migrants viennent de remporter une bataille contre le maire. Un répit qui risque d’être de courte durée.

« Notre expulsion, on s’y attendait dès qu’on a vu le résultat des élections municipales», raconte Philippe Wyon, bénévole historique de l’association Refuges Solidaires. Avec l'arrivée du maire Les Républicains Arnaud Murgia à la tête de la ville, Briançon a basculé à droite en juin 2020. Parmi les premières décisions du nouvel édile : ne pas reconduire la convention grâce à laquelle la mairie met à disposition le refuge solidaire, un lieu utilisé par les associations pour la mise à l’abri d’urgence des migrants qui arrivent en traversant les montagnes franco-italiennes. « Mon prédécesseur [Gérard Fromm, divers gauche, ndlr] aurait pu reconduire la convention qui expirait en juin. Il ne l’a pas fait. Et pourtant il soutenait cette politique d’accueil », se défend Arnaud Murgia au téléphone. Selon Philippe Wyon, Gérard Fromm entendait bien reconduire le bail après sa réélection mais les résultats des municipales en ont décidé autrement. Les bénévoles ont donc reçu un courrier en juillet de la part de la nouvelle municipalité leur donnant ordre de libérer le lieu au 28 octobre.

Ce lieu, c’est une ancienne caserne des CRS de montagne (ça ne s’invente pas!), près de la gare de Briançon, remise en état par des bénévoles pour en faire un accueil d’urgence. Les pièces communes et les dortoirs permettent d’accueillir jusqu’à 35 personnes. Philippe Wyon fait partie de l’équipe d’entretien et gère les relations avec les associations nationales qui soutiennent et s’impliquent dans le dispositif : la Fondation de France, la fondation Abbé Pierre, Emmaüs, Médecins du Monde, Secours Catholique, Tous migrants. Ouvert en juillet 2017, le refuge permet aux migrants qui arrivent d’Italie de se réchauffer, se reposer, se nourrir et s’informer avant de continuer leur route. « Ils n’ont ni envie, ni vocation à rester à Briançon », précise le bénévole. Plus de 10 000 personnes sont passées par le refuge en trois ans, pour une durée de 1 à 3 jours. Un chiffre d’autant plus impressionnant que la ville compte 12 000 habitants.

Pétition, tribune, négociations

Alors forcément, l’annonce de l’expulsion a créé des remous et des soutiens de toutes parts. L’association Tous migrants a ouvert une pétition adressée au maire de Briançon et à la préfète des Hautes-Alpes, qui a recueilli près de 40 000 signatures. Une tribune signée par de nombreuses personnalités est parue dans Libération. Des élu·e·s sont monté·e·s au créneau. L’affaire a pris une tournure nationale, alors que les regards sont d'habitude tournés vers Calais. « Arnaud Murgia n’avait pas bien mesuré les conséquences de son courrier, mais peut-être qu'il n’est pas exactement au courant de tout le travail qu’on fait », avance Philippe Wyon.

Le maire l’assure : il discute avec les associations. « Je ne suis pas dans un rapport de force, j’aimerais que l’on trouve une solution à l’amiable pour qu’ils libèrent en bonne intelligence les locaux qu’ils occupent. Je ne veux pas en arriver à saisir un juge pour les expulser. » Son argument : le lieu ne respecte pas les normes des Établissements Recevant du Public (ERP), ce qui met les gens en danger et engage la responsabilité de sa mairie. La date d’expulsion se rapprochant, les négociations s’orientent vers un respect de la trêve hivernale, qui entre en vigueur au 1er novembre. Si ce répit se confirme, il marquera une petite victoire pour les associations, mais ne fera que reporter le problème au 1er avril. À Tous migrants, la co-fondatrice Stéphanie Besson évoque l’ancien maire. « Gérard Fromm était un humaniste qui est toujours allé dans le sens du pragmatisme pour positionner Briançon comme ville d'accueil. Cette image de dignité et de fraternité, les habitants y tiennent. »

Des maraudes dans les montagnes

Et pourtant, les Briançonnais ont voté à 49% pour un élu des Républicains qui n’a jamais caché sa volonté d’appliquer une immigration contrôlée et qui a bénéficié d’une gauche désunie pour gagner l’élection… Accompagnatrice en montagne depuis 25 ans, Stéphanie Besson vient de publier le livre Trouver refuge aux éditions Glénat, dans lequel elle et 56 protagonistes racontent l’hospitalité de ce territoire et les maraudes de Tous migrants. Ou comment des bénévoles sillonnent les cols pour secourir des exilé·e·s perdu·e·s, en hypothermie, à bout de forces, en évitant de croiser les patrouilles de la police aux frontières. Certain·es, venu·es d'Afghanistan ou d’Iran, font la traversée des montagnes avec des enfants en bas âge. « En montagne l’entraide est indispensable pour survivre. On ne laisse pas quelqu’un en difficulté », martèle Stéphanie Besson.

« Fermer le refuge solidaire serait catastrophique pour Briançon. Des gens arrivent par la montagne qu’on le veuille ou non, il sont épuisés, malades, parfois blessés, ils ont nulle part où aller, rappelle l'alpiniste. Le refuge n’est clairement pas idéal, mais sans ce lieu de répit, ils vont rester dans la rue. On pallie les services de l’Etat qui délaissent des gens vulnérables. Alors il faut que le maire continue d’aller dans le sens de la fraternité en place. » À la mairie, Arnaud Murgia renvoie aux responsabilités de l’Etat, rappelant que la compétence d’ouvrir des hébergements d’urgence appartient à la préfecture. « On ne peut pas laisser une commune de 12 000 habitants seule face à l’hébergement d’urgence. On arrive au bout d’un système qui est difficilement soutenable. Soit on applique une politique d’immigration ferme, soit on crée une vraie politique d’hébergement. » L’élu a sollicité un échange avec le ministre de l’Intérieur pour en parler.

En attendant, les associations devront trouver une alternative au refuge solidaire pour le printemps. Un bail immobilier dans le privé - ainsi que le suggère Arnaud Murgia - est l’une des pistes envisagées à contre-coeur, mais cela nécessite de trouver de nouveaux soutiens financiers. L’attitude du maire questionne chez Médecins du monde, qui s’implique à travers sa responsable des migrations transalpines Paméla Palvadeau. « C’est une grande erreur stratégique de penser que parce qu’on ferme un lieu, les gens passeront ailleurs. Les gens vont arriver. La question, c’est dans quel état et à quel prix. » Le but de Médecins du Monde : les accueillir, les emmener aux urgences et leur donner des soins. « Les gens qui ne sont pas mis à l’abri dans un lieu risquent de mourir dans les rues de Briançon. On va casser quelque chose qui marche, c’est contre-productif. »

Partager
Articles liés
cory mogk Wn77gCRoegs unsplash

“Des paroles en l’air jusqu’à preuve du contraire” : l’annonce du gou­ver­ne­ment d’une “aide excep­tion­nelle” pour les hôpi­taux déçoit les acteur·rices de la santé

Vendredi, le gouvernement déclarait débloquer une “aide exceptionnelle” de 500 millions d’euros pour soutenir les établissements de santé. Caroline Brémaud, urgentiste, se méfie des effets d’annonce, tandis que la Fédération des hôpitaux de France...

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.