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n écran géant retransmettant la conférence de presse de fin d'année du président russe Vladimir Poutine est visible sur la façade d'un immeuble résidentiel alors qu'une femme marche dans une rue de Moscou le 14 décembre 2023. © Natalia KOLESNIKOVA / AFP

Pour rele­ver son taux de nata­li­té en chute libre, la Russie s'en prend à l'avortement

Crise démo­gra­phique décen­nale, ravages du Covid et chair à canon sur le front ukrai­nien : en quête de nais­sances, la Russie de Poutine a l'avortement dans le viseur.

C'est une véri­table croi­sade nata­liste qui se joue en Russie. Cet hiver, une mul­ti­tude de régions russes ont com­men­cé à res­treindre l'accès à l'avortement dans les cli­niques pri­vées. Elles ont aus­si ren­du les contra­cep­tifs d'urgence plus dif­fi­ciles à obte­nir. Les auto­ri­tés sani­taires ont pour leur part deman­dé aux méde­cins des éta­blis­se­ments publics de faire tout ce qu'ils et elles peuvent pour dis­sua­der les femmes d'y avoir recours. Pour palier au manque de nais­sances, la doc­trine tou­jours plus conser­va­trice de Poutine s'attaque désor­mais féro­ce­ment à l'IVG.

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"L'État a inté­rêt à ce que le pro­blème démo­gra­phique se résolve de lui-​même si les femmes décident, après avoir appris qu'elles sont enceintes, de pré­ser­ver la vie de l'enfant", a décla­ré jeu­di Vladimir Poutine lors d'une allo­cu­tion. Si le chef de l'État russe s'est certes dit oppo­sé à l'interdiction de l'avortement, il a néan­moins mar­te­lé que les IVG étaient contre l'intérêt d'un pays. Face à un Occident jugé déca­dent car fémi­niste et tolé­rant à l'égard des LGBTQIA+, il se fait par ailleurs l'apôtre des familles nom­breuses au nom de "valeurs tra­di­tion­nelles" et patrio­tiques, mêlant morale et pro­blèmes démo­gra­phiques pour jus­ti­fier ses posi­tions. Briguant un nou­veau man­dat en mars 2024, Poutine a fait de la défense de ces valeurs fami­liales conser­va­trices un axe majeur de sa politique.

"Donnez nais­sance à plus de sol­dats"

Premier pays au monde à dépé­na­li­ser l'avortement en 1920 sous le bol­ché­visme, la Russie joue désor­mais la carte du conser­va­tisme nata­liste pour dévier sa tra­jec­toire démo­gra­phique catas­tro­phique depuis la fin de l'époque sovié­tique. Si le droit à l'avortement n'avait jamais été sérieu­se­ment remis en ques­tion jusqu'ici, des voix favo­rables à des res­tric­tions sont de plus en plus audibles, notam­ment depuis le début de l'assaut russe contre l'Ukraine. "Lorsqu'un pays est en guerre, cela s'accompagne géné­ra­le­ment de ce type de mesures", com­mente Leda Garina, mili­tante fémi­niste russe exi­lée en Géorgie. Pour elle, il s'agit de dire : "Donnez nais­sance à plus de sol­dats". Depuis des années, le Kremlin mul­ti­plie les inci­ta­tions finan­cières nata­listes, avec récem­ment une nou­velle signi­fi­ca­tion don­née à cette poli­tique depuis la guerre. "Ils consi­dèrent qu'il s'agit d'une ques­tion de sur­vie natio­nale", sou­ligne la poli­to­logue Tatiana Stanovaïa. Cette der­nière ajoute que le chef de l'État semble consi­dé­rer toute oppo­si­tion à ses posi­tions socié­tales comme l'illustration d'un com­plot rus­so­phobe occi­den­tal. De fait, "convaincre une femme d'avorter est un moyen d'aggraver le pro­blème démo­gra­phique de la Russie : c'est le plan de l'Occident", explicite-​t-​elle.

Pour la poli­to­logue Ekaterina Schulmann, les auto­ri­tés russes devraient plu­tôt "lut­ter contre la mor­ta­li­té pré­coce des hommes, prin­ci­pale cause de la dimi­nu­tion de la popu­la­tion, au lieu d'essayer d'inciter les femmes à avoir plus d'enfants". Hors de ques­tions néan­moins d'aborder le sujet, à l'heure où le Kremlin envoie par cen­taines de mil­liers des sol­dats sur le champ de bataille. Des observateur·ices craignent ain­si que le pou­voir décide pro­chai­ne­ment de ser­rer pro­gres­si­ve­ment la vis à l'avortement, par exemple en le reti­rant des soins acces­sibles dans le cadre de l'assurance mala­die. Pour Sergueï Zakharov, démo­graphe à l'université de Strasbourg en France, cette approche est vouée à l'échec : "Ce serait faire comme l'Espagne de Franco ou l'Italie de Mussolini (…) cela n'a jamais fonc­tion­né", analyse-​t-​il.

L'étau se resserre 

L'avortement est d'ores et déjà ren­du de moins en moins acces­sible. Dans cer­taines régions du pays, des primes finan­cières sont octroyées aux méde­cins qui par­viennent à convaincre une patiente de ne pas avor­ter. Si dans les cli­niques publiques, des consul­ta­tions des­ti­nées à dis­sua­der les femmes d'avorter sont déjà en place, de nou­velles recom­man­da­tions du minis­tère de la Santé pré­co­nisent désor­mais une stra­té­gie plus mus­clée. Selon l'éminente démo­graphe Viktoria Sakievitch, les hôpi­taux doivent désor­mais "les arrê­ter, faire pres­sion sur (les femmes), les effrayer". La plu­part des femmes avor­tant en Russie étant déjà des mères finan­ciè­re­ment dému­nies, Mme Sakievitch craint qu'une poli­tique répres­sive puisse conduire à l'émergence d'un dan­ge­reux mar­ché noir des pilules abor­tives, voire, à terme, à des inter­ven­tions chi­rur­gi­cales clan­des­tines. Ainsi, Valentina Matvienko, pré­si­dente de la chambre haute du Parlement, a aver­ti que l'interdiction de l'avortement aurait des "consé­quences tra­giques".

Lire aus­si I Daria Serenko, fémi­niste russe et oppo­sante à Poutine : « la vio­lence d’État et la vio­lence de genre sont extrê­me­ment liées »

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