Mathieu Magnaudeix : « Le man­dat de Trump a mar­qué l’avènement des com­bats intersectionnels »

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Éditions La Découverte © DR

Dans son ouvrage Génération Ocasio-Cortez, les nouveaux activistes américains, le journaliste de Mediapart dresse le portrait d’une nouvelle génération militante où les femmes ont la part belle.

Ce livre donne envie de remercier Donald Trump. En général, on veut plutôt le maudire, lui et sa politique misogyne et raciste. Mais son arrivée au pouvoir a eu un grand mérite : réveiller les ardeurs politiques d’une catégorie méconnue d’activistes, les organizers. Si la pratique du community organizing, méthode de mobilisation locale, existe depuis les années 1930 aux États-Unis, elle a pris tout son sens depuis l’arrivée au pouvoir du twitto déchaîné @realDonaldTrump. « Face à lui, s’indigner ou protester ne suffit pas », écrit le journaliste Mathieu Magnaudeix, longtemps correspondant de Mediapart aux États-Unis, dans l’introduction de son livre Génération Ocasio-Cortez, les nouveaux activistes américains*. Il y dresse le portrait d’opposant·es, souvent jeunes, qui ont choisi de résister avec enthousiasme et créativité. Gros plan sur le réveil de la nouvelle gauche américaine, plus inclusive et plus jeune, à l’image d’Alexandria Ocasio-Cortez, qui incarne ce mouvement de fond. 

Causette : Dans votre livre, vous expliquez que le mouvement de résistance à la présidence Trump a démarré avec la « Women’s March », du 21 janvier 2017. Quel rôle a joué ce grand rassemblement ? 
Mathieu Magnaudeix : Cette marche a été un véritable catalyseur des luttes. L’élection de Trump a constitué un gros choc pour des millions d’Américaines. Souvenons-nous quand même que, durant la campagne, il a multiplié les propos sexistes, avec en point d’orgue cette fameuse phrase : « Grab them by the pussy » [il se vantait « d’attraper les femmes par la chatte », ndlr]. Il y a eu aussi la multiplication de témoignages de femmes, plus d’une dizaine, l’accusant d’agressions sexuelles. Mais, malgré tout ça, malgré ce tableau complet, il a quand même été élu. Et puis il a remporté l’élection face à une femme. Bien sûr, Hillary Clinton faisait l’objet de pas mal de critiques, mais le fait que ce personnage misogyne et raciste batte une femme, c’était trop.

Tout est donc parti de quelques femmes, comme Teresa Shook, une retraitée pas spécialement militante vivant sur l’île d’Hawaï. Le lendemain de l’annonce de la victoire de Trump, elle a créé un groupe Facebook pour appeler les femmes à se rassembler à Washington. L’appel a rencontré un écho très fort et des dizaines d’autres groupes similaires ont fleuri dans le pays. Le succès a été massif : 650 rassemblements et 4,1 millions de participantes. Cette marche, qui a eu lieu juste après l’investiture de Trump, a d’emblée installé un très haut niveau de mobilisation sociale dans le pays. Comme l’a défini l’essayiste Rebecca Traister dans son ouvrage Good and Mad, paru en 2018, le choc de la victoire de Trump a nourri « la rage politique des femmes ». 

Où en est cette rage politique des femmes, aujourd’hui ?
M. M. : Elle est toujours là et a permis à nombre d’entre elles de s’impliquer, de militer. Depuis, les motifs de colère et les combats se sont agrégés avec notamment les enjeux écologiques et environnementaux, et la problématique des violences policières et du racisme. Car tout se tient, évidemment. On sait que les femmes sont plus sévèrement touchées que les hommes par le changement climatique. Quant aux femmes noires, elles sont au croisement des problématiques raciales et sexistes. Et c’est la même chose pour les autres minorités. Le mandat de Trump a marqué l’avènement des combats intersectionnels. La notion, qui nous vient du féminisme noir des années 1970, a clairement gagné les esprits. 

Cette dimension est désormais affichée, revendiquée. En 2017, lors de la mise en place de la Women’s March, les organisatrices qui ont tenté de structurer le mouvement ont veillé à mettre en avant et rendre visibles des femmes racisées, queer ou latina qu’on avait moins l’habitude de voir en tête de cortèges. Désormais, tous les discours d’activistes ou de politiques comme l’élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez placent l’intersectionnalité au cœur de leur vision. Les questions ne se gèrent plus en silo, mais de façon commune. 

La notion d’intersectionnalité est donc moins contestée qu’en France ? 
M. M. : En France, le mot fait figure de repoussoir. Dès qu’il est mis en avant, on entend parler de « tyrannie des minorités » voire de « séparatisme » qui menacerait le modèle universel. Dès que des femmes noires, par exemple, essaient de se structurer ensemble, des voix s’élèvent pour hurler. La discussion est bloquée. Aux États-Unis, dans le camp démocrate, la notion a été digérée de longue date et il est désormais acquis que tout le monde n’a pas le même background, pas les mêmes expériences de vie, et que le sexisme et le racisme existent.

Une candidate comme Kamala Harris, désignée colistière de Joe Biden et première Afro-Américaine candidate à la vice-présidence, par exemple, bien qu’issue du centre droit, va certainement tenir des discours où ces questions se mêlent. Même si ça ne se traduit pas encore par des choix de politiques publiques plus inclusives. Mais tout le monde ne pense évidemment pas comme ça. En face, on trouve des réactions d’opposition qui estiment que « tout ça va trop loin », en référence à ce qui est parfois appelé cancel culture ou culture de l’indignation permanente, très présente sur les réseaux sociaux. 

Alexandria Ocasio-Cortez, qui donne son nom à votre ouvrage, incarne-t-elle toujours cette génération d’activistes ou a-t-elle basculé dans un autre registre, celui de la politique ? 
M. M. : Sa carrière politique est hyper récente. Elle n’est élue que depuis deux ans seulement. Sa personnalité incroyable et tellement brillante fait d’elle un phénomène, mais elle en est encore à ses débuts. Après l’engouement de la frange la plus à gauche du parti démocrate autour de Bernie Sanders, l’arrivée d’une jeune femme latina, serveuse dans une taqueria de Manhattan, dans le paysage démocrate collait parfaitement avec ce réveil de la mobilisation de terrain. Elle entrait parfaitement en résonance avec tous ces mouvements. Et c’est toujours le cas. Que fera-t-elle en cas de victoire d’une administration démocrate ? Certain·es craignent qu’elle n’en vienne à faire des compromis. Le rapport à la politique, à l’élection n’est pas le même chez tous et toutes les activistes. Certain·es n’y croient pas et regardent ça avec distance ou méfiance. D’autres, au contraire, pensent qu’il faut infiltrer les partis pour faire bouger les choses. 

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